Au milieu de l’Atlantique, l’archipel le plus isolé d’Europe est la destination idéale pour renouer avec la nature, observer les baleines ou faire le plein d’air iodé à travers neuf îles volcaniques éblouissantes.

Bien sûr, il y a le fameux anticyclone qui fait la pluie et le beau temps sur l’Europe. Mais que sait-on des Açores, sinon que parfois elles offrent la garantie d’un refuge salutaire lors d’une course transatlantique à la voile ? Et à quoi peuvent bien ressembler ces îles dont la position géographique, pour beaucoup d’entre nous, reste floue ? Très vite, en survolant cet archipel portugais planté presque au milieu de l’Atlantique, à deux heures d’avion de Lisbonne, on obtient un semblant de réponse. Pas la moindre trace de plage de sable blanc parsemée de cocotiers, mais des terres volcaniques à la croisée des vents, des îles prairies copieusement arrosées où les odeurs de l’iode et du bétail se mélangent. L’endroit semble émerger d’un autre temps, même si peu à peu il rattrape les siècles, aménage ses routes et développe ses infrastructures. Et chacune des neuf îles (réparties naturellement en trois groupes : orientales, centrales et occidentales), suspendues entre Europe et Amérique, a ses spécificités, ses traditions, son histoire et ses drames. Car sous leur apparente sérénité, les Açores restent la proie de secousses telluriques et d’éruptions volcaniques. Dernière en date : celle du géant Capelinhos survenue sur l’île de Faial en 1957 et qui, en treize mois d’activité, détruisit des centaines de maisons en déversant des falaises de lave. De cette catastrophe, il ne reste aujourd’hui qu’une montagne de cendres. Un paysage lunaire où seul subsiste l’ancien phare du cap, qui abrite désormais un musée commémoratif. Ces îles rudes ont engendré des hommes qui savent aussi affronter les avis de tempête. Et même si la pratique de la chasse à la baleine révulse, il leur fallait bien du courage pour embarquer sur de frêles embarcations, harpon à la main et peur au ventre. En témoignent l’étonnant musée des Baleiniers, à Lajes, et celui de l’Industrie baleinière, à São Roque, sur l’île de Pico, où jadis la traque faisait vivre toute une population.

Mais ces temps-là sont révolus, protection des espèces menacées oblige. Maintenant, les baleines qui croisent au large des côtes rocheuses sont observées à la jumelle depuis d’anciens postes de vigie. Entre mai et septembre, au départ des îles de Faial et de Pico, on peut suivre leur sillage à la trace à bord d’un Zodiac. Un spectacle qui laisse pantois…

SOUPÇON D’ALENTEJO

Si l’agriculture occupe toujours beaucoup de bras dans l’archipel qui compte autant d’animaux (veaux, vaches, cochons) que d’habitants (250 000), depuis quelque temps, les Açores représentent un objectif touristique, et pas seulement une halte épisodique vers d’autres terres lointaines, tant les curiosités sont multiples. A commencer par l’envoûtante ville d’Angra do Heroismo, construite au XVIe siècle et inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Avec les impérios (chapelles), véritables chefs-d’oeuvre de l’architecture populaire, l’île de Terceira reste le rendez-vous incontournable de l’art et de l’Histoire au milieu de l’Océan. Depuis l’aéroport de Lajes, au nord-est, la route côtière traverse des bourgades blanches comme celles de l’Alentejo, région portugaise qui a fourni l’essentiel du peuplement insulaire. Mais Terceira évoque aussi la verte Irlande avec le damier de ses champs et ses murets de pierre. A Biscoitos, au nord de l’île, on peut goûter à un bain revigorant dans les piscines naturelles d’eau de mer, ceinturées par des roches déchiquetées de basalte noir. Les moins téméraires pourront effectuer quelques brasses dans les bassins de plein air alimentés par des sources chaudes, avant de humer le fumet unique du cozido mijoté dans les caldeiras de Furnas sur l’île de São Miguel. Pragmatiques, les cuisiniers açoriens ont détourné à leur profit ces cratères d’eau en ébullition d’où s’échappent d’étranges fumerolles. A l’heure du déjeuner, ils troquent leur couteau contre une pioche, creusent le sol fumant puis remontent un énorme chaudron de pot-au-feu qui a cuit pendant six heures dans les entrailles de la terre. Sur la plus grande île de l’archipel où les ciels bougent sans cesse à la vitesse des vents, les chemins étroits bordés de murets en pierre serpentent jusqu’à d’anciens cratères assoupis où somnolent des lacs dont le vert et le bleu se conjuguent en d’époustouflants camaïeux.

Au milieu d’une nature exubérante et fantasque, les randonneurs, amoureux du bout du monde, ont trouvé leur nouveau paradis. Les plus audacieux se lanceront à l’assaut du cône volcanique de l’île de Pico (2 351 mètres), point culminant du… Portugal. La montagne noire s’élève au milieu d’un minutieux quadrillage d’enclos aux murets de lave où mûrit une vigne d’un vert éclatant. Ici on produit le fameux verdelho, vin blanc à la suavité ensorcelante, fruit d’une tradition perpétuée depuis trois cents ans au prix du travail acharné des insulaires contraints de déplacer les morceaux de basalte jalonnant la terre pour y planter le précieux cépage.

DU PORT À LA FLORE

Escale reine des navigateurs, le port de Horta sur l’île de Faial a vu défiler marins et plaisanciers venus y trouver refuge comme au temps des caravelles, après avoir affronté les courants impétueux de l’Atlantique. A quai, il est coutume de  » signer  » les dalles de béton de la marina constituant au fil des décennies un patchwork de peintures et de graffitis. Des tranches de vie à découvrir pas à pas avant de prendre un verre chez Peter au café Sport (Peter’s Bar pour les initiés), une institution depuis trois générations, devenue le rendez-vous incontournable dans l’Océan et assurément le bistrot le plus fréquenté de l’Atlantique.

Mais si Horta, avec sa forêt de mâts devant les églises baroques, détonne par son atmosphère cosmopolite, aux Açores, c’est bien la flore qui constitue le clou du spectacle. L’archipel est à lui seul un authentique jardin botanique où se mêlent hortensias, camélias, rhododendrons, agapanthes et… cryptomères japonais. Car ici, sur le perron de l’Europe, aux portes de l’Amérique, tout pousse. Comme par miracle. Sur São Miguel, on cultive même l’ananas et le thé. A croire qu’une divinité aurait semé là, au milieu des eaux, sur la route du Nouveau Monde, les offrandes de la Terre entière.

PAR PHILIPPE DUIGOU

Les chemins étroits serpentent jusqu’à d’anciens cratères assoupis.

L’archipel est à lui seul un authentique jardin botanique.

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