A Moustiers-Sainte-Marie, entre les gorges du Verdon et les champs de lavande de Haute-Provence, le chef multi-étoilé reçoit chez lui, dans une ancienne demeure de faïenciers transformée en auberge de caractère.

Pour la nuée de collaborateurs qui l’entoure, passés ou présents, il est et reste  » le chef « . Rendu célèbre par la table triplement étoilée Louis XV, à Monaco, ou par celle de l’hôtel Plaza Athénée à Paris, Alain Ducasse dirige un empire aux mille ramifications. Si son nom est directement associé à une vingtaine de restaurants, l’homme est par ailleurs hôtelier avec Châteaux et Hôtels collection, éditeur avec Alain Ducasse éditions, formateur avec cinq écoles de cuisine, au Canada, au Brésil, aux Philippines, à Paris, et dans le centre de la France pour la pâtisserie. A cela s’ajoutent les multiples missions de consultance pour de nombreux confrères autour de la planète.

Mais, en dehors de sa maison familiale dans son sud-ouest natal, il est un lieu où le maître se sent particulièrement chez lui : une ancienne bastide de faïenciers nichée dans le village de Moustiers-Sainte-Marie, en Haute-Provence. Il la découvre un peu par hasard, en 1977, lors d’une balade en moto, alors qu’il travaille chez Roger Vergé au Moulin de Mougins. Il y reviendra trois ans plus tard – après notamment un passage chez le fameux Alain Chapel, à Lyon – pour acquérir le bâtiment et les cinq hectares de terrain qui l’entourent.  » J’adore cet endroit, surtout au printemps, pour la gamme de verts que nous offre la nature. Ici, on est dans l’olivier et le cyprès. A 500 mètres à vol d’oiseau, poussent les mélèzes, signe que l’on se trouve déjà dans les Préalpes, à côté du plateau de Valensole, le plus grand du continent européen, et de ces merveilles que sont les gorges du Verdon, notre Grand Canyon. C’est la Provence préservée, vraie.  » Le projet de s’établir à la campagne ne fera toutefois pas long feu. Son destin le conduit à s’installer à Paris dans les murs de Joël Robuchon et, surtout, de se voir confier les fourneaux de l’hôtel phare de Monaco, propriété de la famille princière.

QUESTION DE SAVEUR

Pourtant, son amour pour le lieu le décide, voici vingt ans, à y ouvrir une petite adresse en tant qu’aubergiste, un métier qu’il définit comme  » recevoir quelqu’un et s’occuper de son bonheur tout le temps qu’il est chez vous « . Les nombreux aménagements permettent d’offrir treize chambres dont deux suites. Le restaurant, avec sa salle principale et trois petits salons intimes, compte lui aussi treize tables. L’une d’elles est installée dans la bibliothèque, qui déborde de livres de cuisine de la collection de ce papivore curieux.  » J’ai choisi tous les objets qui sont ici, du plus insignifiant au plus étonnant, de la fourchette à la fontaine en pierre près de la terrasse. En fait, j’achète sans cesse et je stocke. Lorsque nous avons construit le Bastidon, notre suite principale, j’avais déjà tout pour le meubler. Ma manufacture de chocolat à Paris doit, par exemple, son caractère à de grandes portes en acier. Elles proviennent de la salle des coffres de la Banque de France dessinées par Gustave Eiffel, pour lesquelles j’avais eu un coup de coeur quelques années auparavant.  »

Pour autant, Alain Ducasse ne signe pas les plats au quotidien, qui sont entièrement entre les mains de son chef Christophe Martin.  » Il travaille avec moi depuis longtemps, cinq ans à Monaco et sept dans l’hôtel que nous avons sur la côte, en Toscane. Je le connais. S’il fait un lapin aux olives, je sais comment il va le cuire… Christophe interprète le goût de la région. C’est terrien, rustique, paysan. Les préparations doivent ressembler à l’espace dans lequel elles sont servies… On est ici et pas chez le voisin.  » Le caractère d’une cuisine résulte aussi de la qualité de ses produits, dans ce cas précis en provenance directe des environs, à commencer par le potager de La Bastide, cultivé biologiquement.  » Tout est d’abord une question de saveur. Mon potager dans le sud-ouest est également bio, même si je n’en fais pas une religion. Cela ne peut pas être une obsession. Avant tout, il faut savoir si le légume est bon, s’il est de saison, s’il n’a pas fait 10 000 km pour arriver dans votre assiette.  » A l’image de la ferme Mistral qui approvisionne l’établissement en fromages de chèvre, dont le Banon, une appellation contrôlée, la liste des fournisseurs de la maison est à la disposition de tous. Marie-Hélène Oudiette, la fromagère, reste étonnée du volume de sa production auquel La Bastide a recours.  » Christophe est un des seuls à utiliser du caillé frais de chèvre. Il en fait notamment une glace remarquable.  »

Le matin se lève sur Moustiers. Alain Ducasse, qui s’apprête à quitter les lieux, fait le point avec ses proches collaborateurs. Celui qui déclare ne pas suivre la mode mais la créer a entrepris un autre chantier, qu’il a baptisé  » naturalité « . Le menu du restaurant de l’hôtel Plaza Athénée a effectué un virage à 180 degrés. L’accent est mis sur les légumes cultivés à Versailles, dans le potager de la Reine, et sur les céréales d’origine française : blé, orge, quinoa, sarrasin et d’autres. Les intimes de la galaxie Ducasse ne sont pas étonnés.  » Cela fait au moins douze ans que ce sujet le travaille. Cette approche est tout sauf une lubie passagère.  »

La Bastide de Moustiers, chemin de Quison, à 04360 Moustiers-Sainte-Marie. www.bastide-moustiers.com

Marie-Hélène, Maëlle et Christophe Oudiette, ferme Mistral, à 04500 Quinson. Tél. : + 33 4 92 77 50 34.

PAR JEAN-PIERRE GABRIEL

 » Recevoir quelqu’un et s’occuper de son bonheur tout le temps qu’il est chez vous. « 

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