Depuis plus d’un quart de siècle, il conduit le piano-bar le plus fameux de Bruxelles, vaisseau Art déco aux charmes nocturnes qui fêtera sous peu ses 75 printemps…

« Philippe Starck s’est inspiré de L’Archiduc, de ses deux colonnes centrales, pour concevoir son Café Costes à Paris ; et puis c’est un endroit où Brel venait régulièrement, où Barbara s’est mise au piano, comme Nat King Cole ou l’accompagnateur de Raymond Devos. L’Archiduc a beaucoup d’histoires connues et d’autres qui ne le sont pas.  » Même si Jean-Louis Hennart se laisse aller au jeu du name-dropping, il aime surtout parler de la saga de ce lieu, officiellement classé, entre bonbonnière et sous-marin.

Première sensation : la cohue urbaine s’y dissout dans l’élégance d’une architecture datée de 1891. Ouvert en décembre 1937, l’endroit est d’abord une bodéga, lieu pour couples pas forcément légitimes. Mais en 1953, sous l’impulsion du jazzman Stan Brenders et de sa femme, le piano remplace l’amour affiché. La rondeur du lieu en est sa marque, dessinant un premier étage où les fauteuils épais favorisent l’intimité, façon QG d’une armée imaginaire. Celle-ci aimerait les cocktails, l’half en half – mix à parts égales de blanc et de pétillant – le rhum, le bourbon vintage ou le malt, une dizaine à la carte, sans faire exagérément flamber la note. On se croirait volontiers dans l’un de ces clubs coquins, entre bois laqués et ampoules stylisées, si on y draguait plus (…) qu’on n’y refait le monde sur d’excellentes musiques incarnant toute la soul du lieu.  » Quand on a repris l’endroit, le 13 décembre 1985, en association avec mon épouse, Nathalie Dufour, la rue Dansaert n’était pas du tout l’artère « branchée » qu’elle est aujourd’hui. Au contraire, le coin était plus ou moins mal famé et, parfois, on y trouvait un mort au petit matin. Je crois fermement que les bars et restaurants socialisent et sécurisent les quartiers. D’ailleurs, le démarrage a été foudroyant, le garçon et le barman ont travaillé dix jours d’affilée. L’Archiduc a été un phare dans la nuit… « 

Né en novembre 1953 à Wières,  » là où l’Escaut entre en Belgique « , Jean-Louis est le cinquième de sept enfants d’un couple d’instituteurs. Assez vite, celui qui décrochera un diplôme d’ingénieur commercial à  » Louvain-la-Vieille  » comprend que son kick personnel tient dans la rencontre, les contacts sociaux, la fête dûment organisée. Après avoir obtenu la permission de construire un bar pour boums aux sonorités sixties dans l’école de papa, alors en passe d’être détruite, il poursuit  » sa mission festive  » à l’université. Ensuite, délaissant  » le poste de directeur d’agence bancaire tout chaud  » qui l’attendait à Tournai, le jeune Hennart s’implique dans le théâtre-action, vit en communauté, voyage un an en Asie, participe aux Disques du Crépuscule, un label belge de musique indépendant, produit un disque de Sheller, ouvre un café-concert à Tubize (…), gère le bar des Halles de Schaerbeek et, in fine, un établissement des flamboyantes années new wave à côté de la Grand-Place, la  » brasserie cosmopolite  » Interférences…

L’Archiduc accueille depuis un bout de temps du jazz les week-ends – gratuit le samedi, payant le dimanche – et offre volontiers son écrin sonore à des showcases d’artistes nouveaux et talentueux tels que Perfume Genius ou Rover, face à une salle complète, c’est-à-dire 75 personnes… Arno est un fidèle visiteur, comme toute une série de créateurs bruxellois ou internationaux. Une soirée à retenir ?  » Peut-être celle d’avril 2000 où Roger Hodgson de Supertramp a joué seul au piano – un Förster daté de 1935 – les tubes de son ex-groupe. Des jeunes filles de 20 ans qui avaient les larmes aux yeux faisaient écouter le concert improvisé à leurs mamans sur leur GSM…  » La noblesse du vieil Archiduc ne saurait mentir.

Carnet d’adresses en page 70.

PAR PHILIPPE CORNET

 » UN PHARE DANS LA NUIT. « 

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