Il fait partie intégrante de l' » American way of life « , au même titre que les Cadillac et le rock n’ roll. Le resto chromé fait son grand retour et joue les jeunes premiers sur les artères new-yorkaises… et séduit aujourd’hui l’Europe entière.

Carnet d’adresses en page 101.

Quoi de plus naturel qu’une envie de dîner ? Mais pas dans n’importe quel établissement, s’il vous plaît. Règle n° 1 : une enseigne néon fluorescente, une structure en acier inoxydable, des banquettes en Skaï coloré et des tabourets tournants. Règle n° 2 : une carte traditionnelle, au menu de laquelle figurent les grands classiques made in USA. Règle n°3 : le parfum de l’Amérique mythique, immortalisée par les toiles du peintre Edward Hopper (1882-1967) et les  » road movies « . Ne cherchez plus : il ne vous reste qu’à pousser la porte d’un traditionnel Diner américain, l’équivalent de la brasserie en Europe.

A en juger par la foule jeune et citadine qui se presse à toute heure du cadran dans ces atmosphères rétro, il ne fait aucun doute que l’établissement phare des années 1950 connaît un renouveau retentissant dans les grandes villes aux Etats-Unis, mais aussi sur les artères touristiques d’un continent qui appelle à l’aventure. Un demi-siècle après leur âge d’or, plusieurs Diners, parmi les mieux préservés, ont été classés monuments historiques par le Département américain du patrimoine.

La nouvelle vague d’intérêt pour ces lieux de restauration typique a encouragé de nombreux entrepreneurs à racheter, rénover et rouvrir ces  » dining cars « .

Pensé à l’origine sur le modèle des wagons-restaurants dans les trains longues distances, l’authentique Diner est un bâtiment préfabriqué en tôle argentée et de forme rectangulaire, de la taille d’un mobile home. Pour les puristes, c’est le comptoir qui forge son âme : il doit courir de bout en bout de la structure, et ses tabourets ronds et pivotants doivent être rivés au sol. Il arrive qu’aucun siège ne soit prévu, afin de favoriser une rotation maximum de la clientèle. Pour d’autres spécialistes, l’utilisation judicieuse de l’acier, à l’intérieur comme à l’extérieur, est la caractéristique première du traditionnel Diner. Certains requièrent qu’il soit long et étroit, et pas trop imposant. Enfin, le style compte pour beaucoup. Certains fans n’apprécient que les Diners classiques, de style Art déco. D’autres sont sensibles aux déclinaisons apparues dans les années 1960, d’inspiration coloniale ou méditerranéenne, jugées plus kitsch aujourd’hui.

Le meilleur exemple de reconversion réussie est celui de l’Empire Diner, à New York. Située le long de la 10e Avenue, à l’intersection de la 22e Rue, l’adresse est très recherchée pour son ambiance exclusive. Construit par la Fodero Dining Car Company en 1946, il n’a subi que très peu de modifications depuis son lancement. Tous les soirs, un piano-bar détend langoureusement l’atmosphère avec des standards de jazz d’après-guerre. Derrière le long comptoir recouvert d’une surface noire miroitante, les éléments en acier brossé sont vintage. L’immanquable horloge ronde, surmontée de deux petites ailes, très populaire après la Seconde Guerre mondiale, est la signature de la compagnie Fodero.

L’Empire Diner, flanqué d’un Empire State Building en miniature sur sa devanture, est le chouchou des artistes du show-business et des night-clubbers qui s’y retrouvent à n’importe quelle heure de la nuit pour siroter des cocktails au bar ou se sustenter avec les classiques hamburgers, toujours accompagnés d’un pickle (cornichon) entier. Des célébrités comme Alpha Blondie et Julia Roberts font le crochet par l’Empire Diner quand elles sont à New York. Ce grand classique de la nuit a sans aucun doute contribué à relancer la mode des Diners  » haut de gamme « .

Le Deluxe Diner, sur l’artère historique de Broadway, au coin de la Columbia University, est un autre incontournable. Son univers est celui de  » l’Amérique de papa « , des anciens postes de radio rétro, des vieilles quilles de bowling et des trophées de base-ball, le tout  » rajeuni  » par de grandes représentations polychromes de Diners contemporains. L’endroit est connu pour sa carte variée et abordable. Le menu du Diner se doit, en effet, d’être une invitation à la découverte de la gastronomie américaine.

Variations gourmandes

A chaque heure, son type de repas. Le matin, le breakfast constitue depuis toujours un repas essentiel des Américains. A vous de choisir votre combinaison (combo) parmi la multitude des propositions qui intègrent toutes des £ufs cuits de différentes façons, brouillés (scrambled), sur le plat (fried et ses variantes sunny side up quand il est ordinaire ou over quand il est grillé des deux côtés) ou en omelette (en français sur les menus). Ils peuvent être également mollets (boiled) ou durs (hard boiled). Les saucisses, bacon, jambon complètent le menu salé. Au rang des spécialités sucrées, on a le choix entre les gaufres (Belgian waffles), les muffins (petits pains ronds à la farine de blé ou de maïs couverts de beurre), ou les donuts (gâteaux ronds, fourrés ou non, recouverts de sucre, de chocolat, ou de confiture).

Pour le lunch et le dîner, le plat typique reste le hamburger, un steak haché entre deux petits pains (les buns), accompagnés de frites (french fries). La plupart du temps, le hambuger se décline en Veggie Burger pour les végétariens. Les salades composées, en particulier la Caesar Salad, servie avec des croûtons et saupoudrée de parmesan, sont une alternative plus légère. Les Italiens ont aussi emmené avec eux leurs délicieuses recettes de pâtes. Le tour des Diners permet encore une exploration des spécialités locales américaines. Les pizzas de Chicago dites deep-dish pizzas à pâte épaisse servies dans une poêle en fonte, les hot dogs de Saint Louis, les écrevisses à l’étouffée des Cajuns de Louisiane, la cuisine country style de l’Oklahoma, les spécialités de steak du Texas, les mets indiens des plateaux du Nouveau Mexique et de l’Arizona, les préparations bio et végétariennes de la Californie… tout est conçu pour contenter une clientèle culturellement variée.

Toujours à New York, le Brooklyn Diner, dans le quartier des théâtres, est peut-être le plus luxueux de la ville. Businessmen et célébrités apprécient son effervescence mondaine et sa touche classique. Les convives sont installés autour de tables drapées de nappes blanches, et servis par un personnel en livrée. Des dizaines de petites plaques discrètes en disent long sur la fréquentation. On y apprend que l’actrice Nathalie Portman a elle aussi craqué, tout comme les chanteuses Jennifer Lopez et Britney Spears ou encore le chanteur Justin Timberlake, pour n’en citer que quelques-uns. Le Brooklyn Diner est l’exemple même du Dining Car moderne. La structure de zinc préfabriquée a été adjointe au minuscule café d’origine, qui tient lieu de bar et de comptoir aujourd’hui. Les lampes Art déco, une télévision noir et blanc, et les photos panoramiques des années 1940 du photographe Arthur Weegee posent le décor rétro.

Selon Richard J. S. Gutman, auteur de  » American Diner Then and Now  » (Johns Hopkins University Press, 2000), les Etats-Unis comptaient entre 4 000 et 5 000 Diners dans les années 1940. Il n’y en aurait plus que 1 500 aujourd’hui. Plusieurs ateliers continuent de fabriquer des Diners, et les écoulent partout sur le continent américain, et au-delà. Kullman est le plus ancien fabricant, de même que le plus connu et le plus apprécié. Il continue à lancer la tendance dans le domaine. La fascination pour ce symbole de l’American Way of Life s’étend aussi à l’Europe. L’Espagne a deux Diners, la Grande-Bretagne quelques-uns, et le Clarksville Diner, restauré amoureusement, fait aujourd’hui partie intégrante de la scène parisienne. A mille lieues des chaînes de fast-food et de la mal-bouffe, le Diner est plus qu’un restaurant : c’est une expérience unique de la psyché américaine.

Elodie Perrodil

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