» Philosophe du paysage « , l’Espagnol Fernando Caruncho est l’un des plus grands jardiniers contemporains. Weekend l’a rencontré au coeur même de son jardin secret, tout en ombres et lumières, patiemment aménagé dans la campagne des environs de Madrid.

Carnet d’adresses en page 67.

Le matin est à peine levé que déjà la lumière vient frapper la façade de la maison de Fernando Caruncho, réveillant la beauté de l’enduit à l’oxyde de fer que le paysagiste espagnol aime employer dans ses projets. La construction sur une sorte de promontoire a permis la création de plusieurs niveaux dont un seul semble émerger du sol. Mais le bâtiment impressionne aussi par son déploiement en longueur et son entrée théâtralisée par la présence d’un escalier.

Ici, les contrastes foisonnent. Contras-tes entre les masses minérales des murs et du sol et celles végétales de formes taillées d’Escallonia. Contrastes aussi de couleurs entre les feuillages : le vert profond des chênes, l’argenté du tapis de Stachys byzantina et le doré brillant du feuillage de certains arbres.  » Dans mes premiers dessins, j’avais imaginé placer de l’eau à la place du tapis de Stachys, note Caruncho. Mais l’eau aurait pris trop d’importance. J’ai préféré la contenir dans ce réservoir alimenté par trois vannes en bronze.  » Situé à la droite de la porte d’entrée, ce réservoir contraste, lui, avec l’allée de graviers qui le prolonge le long du bâtiment.

Le plan de la maison û dessiné par Caruncho lui-même û marie admirablement intérieur et extérieur. Comme dans les cloîtres d’autrefois, une colonnade permet de déambuler autour du jardin. A la différence près que, climat estival oblige, celle-ci est entièrement ouverte et fait fonction de pergola sur laquelle poussent de la glycine, des rosiers et du jasmin blanc Trachelospermum jasminoides. Le centre de cette cour intérieure est occupé par un plan d’eau calme, animé par le murmure à peine perceptible de deux petits jets cracheurs. En toile de fond, les Escallonia soigneusement manucurés escaladent la pente du terrain comme une succession d’ondulations.  » La symbolique est évidente, commente Caruncho. Elles sont des vagues qui viennent terminer leur course dans le plan d’eau. Des vagues virtuelles qui se transforment en eau bien réelle et tranquille.  » Une telle métaphore pourrait être appliquée à nombre de jardins japonais. Fernando Caruncho revendique d’ailleurs cette source d’inspiration. Le premier jardin qu’il a dessiné, au sortir des études, n’évoquait-il pas le temple Shisendo de Kyoto ?

C’est en empruntant un escalier de côté que l’on arrive à un superbe pavillon juché au-dessus de la végétation. C’est de ce salon d’extérieur (comme on en trouve dans les jardins maures ou ceux, plus anciens, du Moyen-Orient) que l’on peut admirer les reliefs de la Sierra de Guadarrama, magnifiquement soulignés par le soleil du matin et du soir.  » Mes jardins sont une succession de lumières et d’ombres, souligne Caruncho. On passe d’une ouverture à une fermeture, puis à une autre ouverture et ainsi de suite.  » La lumière produit aussi à chaque heure du jour des reliefs différents sur les rondeurs des Escallonia, en traversant les feuillages des arbres. Et lorsqu’elle croise les petits jets d’eau, elle fait toujours apparaître leur mince filet comme s’il s’agissait d’une lame.

Cette ambiance poétique est le fruit d’un énorme travail de réflexion. Une des grandes caractéristiques des jardins signés Caruncho ? Le respect des règles de la géométrie. De son propre aveu, les 120 jardins réalisés depuis vingt-cinq ans sont tous régis par une grille de travail orthogonale qui assure rigueur et cohérence tout au long des quelques années que réclame la concrétisation d’un projet. Cela étant, pour le créateur,  » ce n’est pas le cerveau ou la raison qui aident la main, mais la main qui devient autonome guidée par l’inconscient « . Ce mouvement libre est généré, lui, par  » une volonté de chercher la beauté là où elle se trouve « . Pour nourrir son cheminement, le paysagiste dispose de toute une gamme de références. Outre les jardins du Japon et de l’Orient, les racines andalouses de Caruncho font vibrer en lui la longue période maure vécue dans la péninsule Ibérique.  » Nous sommes des Indo-Européens et nous oublions trop souvent la partie indo qui est en nous « , dit-il… tout en révélant que sa période historique préférée est les trecento et quattrocento italiens. Les peintures de Piero della Francesca lui ont d’ailleurs servi de référence pour la construction de son nouveau studio d’architecture.

A la mode des enlumineurs d’autrefois, Caruncho prend le temps de peaufiner ses projets. Au fil de son travail, il se rappelle volontiers ses premières études universitaires, entreprises en philosophie.  » J’étais toutefois frustré, confie-t-il. Car, dans la philosophie, on étudie ce que quelqu’un a écrit sur quelqu’un d’autre. On n’est pas acteur. C’est par hasard que j’ai appris qu’on pouvait étudier les jardins… Et il ne faut pas oublier que Platon enseignait dans un jardin.  »

Jean-Pierre Gabriel

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