Barbara Witkowska Journaliste

La mode et les tendances ? Elle s’en moque ! Empruntant les chemins de traverse de la création, Olivia Giacobetti imagine des parfums d’émotions. Inattendus, ils séduisent par leur élégance innée et leur subtilité extrême.

L aquelle choisir, pour commencer ? Peut-être Idole, cette sublime fragrance masculine qui donne le coup d’envoi, de surcroît, à la renaissance de Lubin, l’une des premières maisons de la grande parfumerie française, créée en 1798. Les souverains d’Europe, les tsars de Russie, les happy few d’Amérique fréquentaient tous, aux xixe et xxe siècles, la ravissante boutique, rue Sainte-Anne à Paris, et y succombaient aux rubans parfumés, poudres de riz, innombrables fragrances et, surtout, à L’Eau vivifiante qui deviendra L’Eau de Lubin. Après une longue éclipse, la maison vient d’être reprise et redémarre sur les chapeaux de roues avec cette création extrêmement originale, construite comme un récit de voyage. Un voyage sur les traces de Rimbaud ou d’Henri de Monfreid, ces grands bourlingueurs et nomades de jadis, aventuriers, poètes, qui cherchaient leur eldorado dans les ports aux noms chatoyants de la mer de Chine ou de l’océan Indien, parmi les effluves d’épices et de bois exotiques. Olivia Giacobetti a mêlé des écorces d’orange amère, du safran, du cuir, du santal rouge, du cumin noir, du bois de doum et de l’ébène fumé. Elle a arrosé le tout de quelques gouttes de rhum. Ce  » bois liquide « , charnel, suave et sensuel, vous enveloppe dans un sillage irrésistible. Serge Mansau lui a dessiné un superbe flacon en verre lourd, taillé comme une carafe ancienne et décoré d’un bouchon en forme de masque africain. Il y a beaucoup de chance que les femmes craquent aussi pour cet Idole-là.

Les hommes, les femmes… et les petits

L’autre nouveauté pour homme s’appelle Fou d’Absinthe. Olivia a interprété cette plante troublante, synonyme d’addiction, de délire et de folie, pour L’Artisan Parfumeur. Fermez les yeux et laissez-vous transporter par un départ fusant d’alcool glacé, aromatisé d’absinthe, d’angélique et de bourgeon de cassis. Le  » chaud-froid  » continue à vibrer dans le c£ur avec le piquant givré de l’anis étoilé et la chaleur d’une poignée d’épices. En final, les notes sèches d’aiguilles de pin et la douceur boisée du ciste et de la résine, dessinent un sillage racé et magnétique, très troublant. De quoi succomber…

Les femmes, qui aiment les fragrances rondes et voluptueuses, ne resteront pas insensibles à Cher Michel Klein, le dernier opus composé pour le sympathique styliste parisien. Quelques pincées de farine de rose, de sable d’iris noir et de talc de santal blanc évoquent l’idée d’une joue maquillée et sont un clin d’£il à l’atmosphère des défilés.

Parmi les derniers  » bébés  » d’Olivia, il faut aussi signaler Baby Guerlain, une eau de senteur sans alcool pour les tout-petits. En tête, la fleur d’oranger, symbole de la pureté, flirte avec le seringa blanc et la rose. Pour suivre, les notes très douces du blé et du son, s’enveloppent douillettement dans du miel d’acacia et s’enroulent dans la senteur délicate du talc.

Ces parfums délicieux, si différents et si éclectiques, Olivia les compose dans la solitude de son bureau-labo, au rez-de-chaussée d’une rue calme à Paris. Parquets anciens, jeux de moulures, quelques rayons de soleil, mobilier élégant et confortable, face à un jardin exubérant et très vert.  » Je m’en occupe de manière instinctive et décousue, mais je m’en sors « , souffle Olivia. La preuve : de superbes massifs de bambous, de jasmin, de vétiver, de magnolia et de gardénia s’épanouissent de manière un peu sauvage, mais subtilement maîtrisée. Sur la table basse, des bocaux en verre renferment ses  » trésors « , des minéraux et des végétaux aux formes étranges, des cailloux, des morceaux de bois…  » De mes voyages, je rapporte des graines, de la ficelle brûlée, de l’encens, du sable. Je ramasse tout et je garde tout pour me souvenir. J’ai besoin de tout toucher, pour connaître vraiment l’odeur. Tout fait partie de l’apprentissage. On peut recommencer un sujet toute sa vie, le travailler différemment. Prenez la rose. Il existe des milliers de roses et on peut toujours réinventer un parfum de rose.  »

Des fragrances simples et sophistiquées

Se moquant de tous les courants olfactifs à la mode et de toutes les tendances, Olivia poursuit son propre chemin, singulier et personnel. En s’inspirant de la vie quotidienne, des odeurs qu’elle croise tous les jours, elle créé des fragrances nouvelles, inattendues et détournées, abondamment copiées par la suite. Des exemples ? Premier Figuier pour l’Artisan Parfumeur mettait à l’honneur la saveur sucrée et douceâtre de la figue qui faisait ainsi son entrée dans le monde de la parfumerie. C’est aussi à Olivia qu’on doit le premier parfum au thé du marché, créé en 1992, pour la maison parisienne Mariage Frères. Ses bougies parfumées, dont les dernières s’appellent Thé Blanc, Sorbet de Thé, Thé Bleu et Thé Dansant, restituent la magie de ce breuvage millénaire qui décline des milliers de notes d’une subtilité extrême. La collection vient de s’enrichir  » d’encens précieux au thé « . Des bougies ? Olivia en a imaginées également pour parfumer l’hôtel Costes à Paris. Ses effluves mystérieux de bois humide et d’alcool cuit – inspiré du parfum éponyme – plaisaient tellement que les bougies étaient systématiquement dérobées. Dorénavant, elles ne sont plus exposées, mais on peut les acheter à la réception de l’hôtel. La bougie conçue pour John Galliano, elle, mélange de bois brut et sauvage et de notes poudrées, reflète la personnalité du créateur de mode.

A la fois simples et sophistiqués, les parfums d’Olivia séduisent par leur élégance et leur subtilité. Ils sont toujours conçus comme des nuages de vapeur ou de brouillard, présents, mais jamais envahissants ou dérangeants.  » J’aime qu’un parfum soit excessivement lisible, conclut-elle. Si on fait une comparaison avec la couture, on dira : pas de détails visibles, pas de coutures, pas de boutons, juste une idée centrale. Suggérer sans imposer. On peut dire quelque chose sans que ce soit envoyé comme un coup de poing.  »

Barbara Witkowska

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