L’architecte Etienne van den Berg signe avec brio un de ses exercices favoris : l’aménagement d’un loft. Par des interventions multiples, parfois imperceptibles, il a réussi à  » organiser  » un superbe espace industriel en une majestueuse maison de famille.

Carnet d’adresses en page 98.

L’atmosphère, les volumes d’un loft mais aussi les pièces indépendantes d’une maison… C’est ainsi que l’on peut le mieux caractériser, en quelques mots, cette surprenante habitation située en pleine ville. A première vue, l’ensemble donne l’impression d’un dédale. Il est en effet le fruit de la réunion de deux entités : une petite maison avec jardin, et les deux premiers niveaux, sous-sols compris, d’un grand bâtiment. Cette ancienne réserve à grains d’une commune bruxelloise fut reconvertie, au début du xxe siècle, en bureau d’architecture.  » A l’époque, les architectes étaient aussi des bâtisseurs, rappelle le maître des lieux, il leur fallait donc un endroit pour stocker du matériel, un garage pour les véhicules. D’où la sorte de hangar construit à l’arrière. Jusqu’à ce que le précédent propriétaire change la toiture, il était couvert d’une simple verrière.  »

Cette amélioration mise à part, avec notamment la construction d’une magnifique charpente métallique, pour rendre les lieux habitables, il fallait entièrement retravailler deux volumes intérieurs : l’imposant atelier et le premier étage dévolu aux chambres et salles de bains. C’est ce genre de défi qu’affectionne particulièrement Etienne van den Berg, un jeune architecte qui a déjà à son actif la rénovation en lofts de plusieurs espaces industriels bruxellois. Sa signature ? L’utilisation de matériaux bruts (le béton, le métal) et un sens remarquable des volumes.  » Pour l’ancien atelier, j’ai reçu pour mission essentielle d’organiser la transparence et, bien plus, de créer les bonnes circulations, sans alourdir l’espace, explique Etienne van den Berg. La présence de 18 Velux en toiture était déjà la garantie certaine de disposer de la lumière. Mon rôle s’est limité à positionner quelques percées supplémentaires. L’organisation de la circulation, compte tenu de la mezzanine en angle droit et de sa longueur de plusieurs dizaines de mètres, des connexions avec la cuisine, avec la salle de jeu et avec le volume des chambres, était plus complexe. En effet, dans un tel espace, on peut facilement compliquer les circulations ou encombrer inutilement la vue par des escaliers, par exemple.  »

Pour rejoindre le premier étage, l’architecte a fait placer un escalier en face de la porte de la salle à manger, elle-même située à proximité immédiate de l’entrée cochère. Au niveau de la mezzanine, les marches s’ouvrent sur un palier conçu comme un hall suspendu d’où on peut apprécier la beauté de l’ensemble. Depuis la mezzanine, au plancher en chêne second choix, encore appelé rustique, on gagne immédiatement les chambres grâce à une passerelle  » interrompue  » par une bibliothèque :  » Nous avons opté pour une rambarde métallique pour la sécurité des enfants. S’il n’y avait pas eu de tout-petits dans la famille, il est fort possible que cette protection aurait été beaucoup plus légère et transparente.  » Une autre intervention importante d’Etienne van den Berg fut l’érection de deux murs, sortes de grands panneaux verticaux placés comme s’ils supportaient chacun une des sections de la mezzanine :  » Ils ont notamment été prévus pour que mon client collectionneur puisse y suspendre une toile. Mais leur rôle essentiel est de cadrer le grand volume du bas, de lui donner une base, puisqu’il monte jusqu’au faîte de la toiture.  »

L’espace situé sous la mezzanine, où trône pourtant un billard, joue la carte de la discrétion. Sa présence est totalement estompée par le choix de la couleur, un vert profond.  » Etienne van den Berg a utilisé la couleur comme moyen de relativiser l’importance des choses, leur perception, note le propriétaire. La réussite est telle qu’on en oublierait même ses interventions…  »

Pour les faire  » disparaître « , les poutres, sur lesquelles est posée la toiture, ont été peintes en blanc. Les plus massives, celles qui supportent la mezzanine et la structure tout entière, ont été peintes en noir, comme pour souligner leur puissance. Et c’est avec le même noir profond qu’est dissimulée une bibliothèque dans la partie baroque de l’étage : sous l’effet de la couleur sombre, le meuble  » s’efface  » pour laisser la vedette aux objets et aux livres.

 » J’ai dû aussi tenir compte de l’éclectisme du mobilier, poursuit Etienne van den Berg. On passe de très belles colonnes Empire, ouvragées et dorées, à du mobilier Art déco ou des pièces de design tout à fait contemporain, comme ce monumental fauteuil rouge et blanc, Passepartout de Dante Donegani et Giovanni Lauda (Edra 1998).  » Sans oublier une impressionnante collection de coffres tibétains. Longtemps actif dans la technologie Internet et celle de la téléphonie mobile, le propriétaire a beaucoup voyagé.  » A Singapour, j’ai rencontré des antiquaires passionnés de cet artisanat magnifique de pureté et de symbolique, explique-t-il. Les plus grands coffres rouges appartenaient à des nantis. Les plus petits sont réalisés en bois, habillés de peau de yack et décorés de peaux de fauves. Ce sont les plus anciens, ils ont au moins 250 ans. Poussé par ces antiquaires asiatiques, j’ai un temps ouvert une galerie à Zurich. Mais, lorsque je suis revenu m’installer à Bruxelles, dans ma ville natale, je les ai emportés dans mon déménagement. J’en garderai quelques-uns, ceux avec qui j’ai une plus grande affinité. Et puis, l’un ou l’autre de ces objets est supposé porter bonheur. Comme je suis superstitieux, ils resteront de toute évidence avec nous.  »

Dans les chambres, l’aspect fonctionnel a été privilégié, et chacune d’elles, y compris celles des enfants, dispose d’une salle de bains. Celle des parents est la plus grande et est dotée d’une longue paroi de rangements.  » J’ai souvent habité des lofts, confie le propriétaire. Mais celui-ci me plaît davantage que tous les autres parce qu’il combine à la fois les avantages du loft, essentiellement leur monumentalité, et le besoin que l’on a de pouvoir s’extraire d’un espace unique. Nous avons récemment dressé une table pour 50 personnes. Les derniers convives sont partis à 6 heures du matin. Nous sommes montés ensuite dormir, avons fermé la porte de séparation et nous avons pu tout oublier jusqu’au lendemain matin.  »

Mais ce qui ravit sans doute les occupants, c’est la discrétion des lieux.  » Vous passez d’abord ce qui ressemble à une banale porte d’atelier, s’enthousiasme le propriétaire. Vous suivez ensuite l’ancienne petite allée cochère transformée en garage occasionnel pour ma vieille Mustang. Puis, au travers de la grande porte vitrée, vous découvrez ce monde de lumière, insoupçonnable.  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content