Notre Terre a mal à sa flore. Mais celle-ci n’a jamais été aussi vendeuse qu’aujourd’hui. Si on dope les crèmes en essences de fleurs rares, et les shampooings en huiles de noix bio, c’est que la nature rassure.

À condition d’en faire bon usage.

Une croissance à deux chiffres. La perspective a de quoi faire rêver par ces temps de crise où la consommation tourne au ralenti. Selon l’étude publiée en octobre dernier par l’Organic Monitor, le marché des cosmétiques naturels et biologiques aurait vu son chiffre d’affaires augmenter de 13 % en 2009. Il devrait atteindre près de 2 milliards d’euros en 2010, ce qui ne correspond cependant qu’à un petit 3 % du total des ventes en Europe.

Toutefois le potentiel de développement est là. À en croire les résultats de l’enquête dévoilée par L’Oréal Professionnel à l’occasion de la sortie de la gamme pour cheveux Série Nature, fin 2008, 72,3 % des femmes déclarent essayer d’acheter de plus en plus de produits qui respectent l’environnement.  » La démarche de choisir du naturel ou du bio n’est plus réservée à une poignée de militants qui choisissaient ces produits davantage pour les valeurs qu’ils incarnaient que pour l’efficacité qu’on peut en attendre, rappelle Cyrille Telinge, créateur de la marque bio Novexpert. La peur du tout chimique et des dérèglements climatiques nous porte aujourd’hui à survaloriser le passé, le vierge, le naturel non perverti. Et la cosmétique n’échappe pas à ce courant. « 

En acquérant les labels de niche Sanoflore et Kibio, déjà certifiés Ecocert ( lire ci-contre), les géants L’Oréal et Clarins ne se sont pas contentés de mettre la main sur une expertise dont toutes leurs gammes pourront à l’avenir profiter. Ils boostent aussi la mutation de ce marché longtemps spécialisé. Jusqu’ici vendues principalement dans des beauty stores pointus ou des petites boutiques écolos, les lignes vertes sont devenues plus accessibles. Alors qu’il fut l’un des premiers à proposer des marques comme Madara ou Stella McCartney – momentanément retirée de la vente depuis sa reprise par L’Oréalà – Jean Rausin, le patron de Cosmeticary, n’a pas vu la demande en produits bio exploser dans ses magasins de Bruxelles et d’Anvers ces dernières années. Bien au contraire.  » Aujourd’hui, les points de vente se sont multipliés, constate-t-il. Même la grande distribution s’y intéresse. On trouve du Weleda chez Colruyt. Et du Dr. Hauschka chez iU.  »

Une identité forte

Des chaînes comme The Body Shop ou Yves Rocher au profil déjà très  » nature  » développent aussi des gammes bio et mettent en avant dans leur communication les efforts consentis en termes de packaging (moins de cartons et plus de plastique recyclé dans les flaconsà). Pour les 10 ans de son produit star, Lancôme vient aussi de sortir une édition limitée 100 % d’origine naturelle de ses Juicy Tubes emballés dans un étui garanti écofriendly. Chez Dior et Guerlain, on insiste plus que jamais sur la présence, dans les formules de soins comme Hydra Life ou Orchidée Impériale, de substances végétales rares cultivées dans des  » jardins maison  » en respectant à la fois l’environnement et les populations qui vivent de ces cultures.

Mais ces marqueurs de confiance, à eux seuls, ne suffisent pourtant plus à séduire le consommateur.  » Le bio comme le naturel ne sont plus une fin en soi, poursuit Cyrille Telinge. Les produits qui réussissent aujourd’hui doivent avoir une identité forte, apporter quelque chose de plus qu’un certificat Ecocert.  » Ainsi, lors de son lancement fin 2009, Une, la nouvelle marque du groupe Bourjois, se présente d’emblée comme un projet alternatif, une sorte de révélateur de beauté naturelle, en marge des tendances.  » Notre objectif premier n’était pas d’être certifié bio, précise Michèle Garreau, responsable des formules de Une. Nous voulions offrir aux femmes une qualité cosmétique équivalente à ce que l’on trouve sur le marché mais à base d’ingrédients aussi naturels que possible. Car la consommatrice aujourd’hui n’est pas prête à régresser dans ses attentes. Elle ne veut pas d’un mascara qui coule en fin de journée ou d’un fard qui ne tient pas. « 

La chasse aux conservateurs

Et c’est là tout le paradoxe : on rêve désormais de la perfection d’un fond de teint siliconé sans ajout de polymère. D’une bouche carmin brillante sans laque, sans pigment chimique ni extermination de cochenilles. Et surtout d’une crème 100 % naturelle qui bien sûr ne  » tournera  » pasà  » Les gens s’imaginent aujourd’hui que le bio est forcément synonyme d’absence de conservateurs, ce qui est complètement faux, souligne Cyrille Telinge. C’est bien souvent le contraire : en raison même de la provenance des ingrédients moins filtrés, non traités à la base, il faut souvent augmenter la concentration en conservateur.  » Pour éviter d’avoir recours à des agents chimiques, les formulateurs ont tendance à forcer sur l’alcool – pas idéal pour les peaux sèches ou déshydratéesà – ou les huiles essentielles qui peuvent, à trop fortes doses, se révéler allergènes et irriter les peaux sensibles.  » Plus de 80 % des femmes utilisent des soins qui ne sont pas adaptés à leur peau, ajoute Jean Rausin. Il est faux de penser que parce qu’il y a des ingrédients bio ou naturels, le produit va, par essence, convenir à tous. Comme en cosmétique classique, tout dépend de la composition. « 

Pour bien acheter – vert ou pas, d’ailleurs -, mieux vaut donc apprendre à lire les étiquettesà  » La grande tendance, que l’on soit certifié Ecocert ou non, c’est de s’afficher  » sans parabens  » ( NDLR : un conservateur accusé par certaines études de favoriser les cancers), dénonce Cyrille Tellinge. Encore faut-il savoir par quoi on les remplace ! Certains produits de substitutions me paraissent bien plus critiquables. Clairement, ici, le marketing a dépassé la science.  » Ce même marketing qui s’avère capable de nous convaincre d’appliquer sur notre peau une dizaine de produits différentsà tous les jours. Des sérums, des shampooings, des amincissants qui potentiellement contiennent des substances chimiques ou allergisantes susceptibles de s’accumuler dans notre organisme et de lui faire du tort. La solution pourrait venir de l’industrie elle-même – chez Novexpert on privilégie déjà les ingrédients biodégradables à – mais au final, c’est bel et bien au consommateur de décider s’il a vraiment besoin de cette crème de plus. n

Par Isabelle Willot

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