Sous le sapin, certains cadeaux seront un peu plus citoyens que d’autres. Même s’ils affichent le logo d’un grand nom du luxe. Surfant sur notre envie de donner, de plus en plus de marques, aidées souvent par des célébrités, s’engagent à rétrocéder à des associations humanitaires une partie de leur profit. Une tendance qui s’installe pour durer.

On peut bien tenter de la refouler. En s’inventant toutes les bonnes raisons du monde. Il y a toujours un moment où elle refait surface. Au détour d’une vitrine scintillante. Tapie derrière la montagne de paquets qui assaillent le sapin. Coincée entre le cuisseau de chevreuil et les noix de Saint-Jacques dans le fond d’un Caddie. Notre mauvaise conscience de nantis. Qui nous pousse, plus encore en cette saison de fêtes et de réjouissances, à tester les limites d’élasticité de notre  » portefeuille humanitaire « .

Les raisons de donner, hélas, ne manquent pas. Ce qui semble changer, c’est la manière dont nous sommes aujourd’hui sollicités. Plus une semaine ne passe sans que l’on nous bombarde d’images de people au service de la cause qu’ils ont choisie de défendre. Des stars qui ne se contentent plus de présenter un téléthon ou de patronner un gala de charité : pendant que Brad Pitt construit des maisons en Inde, apportant ainsi son soutien au projet  » Habit for Humanity  » ( NDLR : un toit pour l’humanité) de Jimmy Carter, l’ex-président des Etats-Unis, George Clooney s’embarque pour le Darfour, prenant soin d’avoir dans son sillage un sérieux quota de journalistes.  » Changer les mentalités, ce n’est pas vraiment mon boulot, rappelle-t-il au journaliste de la BBC World qui l’interrogeait sur sa mission. Mon job, c’est de m’assurer que les caméras et les flashs me suivent où je vais.  »

Ajouter à ce buzz bienvenu une marque branchée, et vous voilà en face d’un cocktail marketing parfait. La recette imparable de la campagne (Red), initiée par Bono et Bobby Shiver au début de cette année. Désormais, en achetant des jeans, des portables, des sneakers ou des lunettes de soleil, griffées s’il vous plaît, vous pouvez sauver des vies, les marques partenaires s’engageant à rétrocéder une part substantielle de leurs bénéfices à la lutte contre le sida. A l’image des people qui tirent eux aussi un petit profit de ces actions sous forme de capital sympathie, les consommateurs de ces articles citoyens ne repartent pas eux non plus les mains vides. Et peuvent même afficher un signe extérieur de largesse… plus vraiment désintéressée.

 » Je crois qu’il faut d’abord se dire que tout ce qui est généreux est foncièrement bon, soutient Patrick Willemarck, à la tête de l’agence de communication Dansaert et Fils. Car cela contribue au bien-être collectif. Nous vivons dans un monde où tout passe très, très vite. Notre mémoire collective est éphémère. Nous avons besoin sans cesse qu’on nous rappelle ces états de fait. En passant par des tierces personnes, par des marques qui font ainsi aussi parler d’elles. Mais il faut rester prudent, car le coup médiatique peut dans certains cas se retourner contre ceux qui l’initient.  »

Et, partant, contre les causes qu’ils cherchent à défendre. Ainsi, la récente campagne  » Keep a Child Alive  » mettant en scène Gwyneth Paltrow a bien failli déraper…  » Lorsqu’elle est apparue dans les publicités au-dessus de la mention  » Je suis une Africaine « , avec des peintures tribales appliquées sur son teint rosé, les commentaires sarcastiques qui ont envahi le Net ont mis toute la campagne en péril, en occultant son but initial qui était de récolter des fonds pour les enfants atteints du sida « , assure Caryn James, analyste au  » New York Times  » (1).  » Dans le cas de charity products édités en séries limitées, on peut aussi se retrouver confronté à une vente aux enchères parallèle sur E-bay de ces collectors très prisés, ajoute encore Patrick Willemarck. Le profit de ces ventes parallèles est alors détourné de son but initial. Et cet effet pervers pourrait se retourner contre la marque.  »

Pour Eric Hollander, directeur de création à l’agence de pub Air, l’altruisme des griffes de luxe répond d’abord à une demande des consommateurs, de plus en plus en quête de marques citoyennes.  » On constate aussi aujourd’hui que dans un monde qui change sans cesse, les marques qui existent depuis longtemps sont devenues des points de repère pour les gens. Ce qui finalement reste stable au milieu de ces mouvements perpétuels. Dans des moments symboliques, comme les fêtes de fin d’année, elles sont d’autant plus chargées de contenu que les produits anonymes. Nous subissons aussi l’influence d’un certain code moral en vigueur aux Etats-Unis qui consiste à affirmer : nous avons reçu beaucoup, nous devons aussi donner. De plus, lorsque vous achetez un produit de luxe aujourd’hui, vous accédez à l’univers d’une marque, vous partagez avec elle un point de vue, la vision qu’elle a du monde et de ses rapports aux autres. Mais lorsque les marques s’engagent pour une cause, elles ne le font pas seulement pour se donner bonne conscience. C’est devenu un élément central de leur identité, et fait donc partie intégrale de leur marketing. Sans que l’on puisse y voir du cynisme à l’état pur. C’est tout simplement une nécessité, car le consommateur veut des marques impliquées. Et celles qui n’auront pas compris ce mouvement de fond, auront du mal à survivre à l’avenir.  »

Car, comme le rappelle la charte fondatrice de (Red), en tant que consommateurs de premier rang dans le monde d’aujourd’hui, nous aurions le pouvoir de faire bouger les choses.  » Ce que collectivement nous décidons d’acheter ou de ne pas acheter peut changer le cours de la vie et l’histoire de cette planète.  » Chez (Red) d’ailleurs on n’aime pas parler de charité.  » C’est un simple plan business « , assure encore le texte. Vous achetez des produits (Red). Nous achetons des médicaments, nous les distribuons, les malades restent en vie. S’ils ne les reçoivent pas, ils meurent. Nous ne voulons pas qu’ils meurent. Nous voulons leur donner les médicaments. Et nous le pouvons. Et vous le pouvez. Et c’est facile. Tout ce que vous avez à faire, c’est de choisir le top.  »

Dans le même esprit, Tommy Hilfiger s’est engagé à reverser tous les bénéfices de la collection capsule inspirée du style de vie de Thierry Henry à l’association  » The One 4 All Foundation  » que le joueur de football vient de mettre sur pied pour lutter contre le racisme. Cartier qui rétrocède 100 dollars (environ 75 euros) par bracelet mini Love vendu (la couleur du cordon détermine la cause retenue…) a pu compter sur le soutien de stars collectionneuses un peu partout dans le monde. Donatella Versace a pour sa part fait don de 10 % de ses ventes dans toutes ses boutiques dans la monde, entre le 15 et le 22 octobre dernier, au Breast Health Institute, une association américaine promouvant le dépistage du cancer du sein. Plus près de chez nous, les comptoirs privés Caméléon qui proposent, à leurs membres recrutés par parrainage exclusivement, des articles de luxe dégriffés, vendront des chaussettes Step by Step au profit de Handicap International.  » Pourquoi ne pas combiner activité commerciale et responsabilité sociétale, justifie Jean Cédric Vanderbelen, fondateur de Caméléon. Chacun à son échelle devrait pouvoir faire ce que Bono appelle du Rock and Roll business.  »

Chez Gucci, où pour la deuxième année une collection de Noël créée par Frida Giannini sera mise en vente pour soutenir les projets de l’Unicef au Mozambique, on souhaite par cette action que l’on espère médiatique – la star américaine Jennifer Connelly sera la marraine de charme de l’opération –  » communiquer un message de compassion primordial et renouvelé, qui n’aura, en définitive, pour autre finalité, que d’améliorer la vie de milliers d’enfants « .

Des gamins démunis que vous pouvez aider en achetant un sac, un i-Pod, un portable, une paire de sneakers… ou rien du tout. Et verser dans son intégralité sur le compte d’une ONG la somme que vous alliez dépenser. Vous offrir un morceau de luxe virtuel, en somme. Bono, c’est sûr, avait raison de vous prêter un immense pouvoir. Celui d’être des consommateurs responsables. Qui peuvent, aussi, se passer d’un cadeau de plus sous le sapin…

(1) Repris dans le  » Herald Tribune  » du 15 novembre 2006.

Isabelle Willot

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