Triplement étoilé, Martin Berasategui exprime avec une chaleureuse passion son métier de cuisinier. Né dans la pépinière culinaire de San Sebastian, il exploite la variété de son terroir avec une modernité qui s’apparente à un nouveau classicisme.

Recettes en page 36.

Carnet d’adresses en page 114.

Son métier, c’est tout simplement sa passion. Et Martin Berasategui n’a souvent qu’un seul mot à la bouche : le travail, encore et toujours le travail. Situé à deux pas de San Sebastian, dans sa campagne de Lazarte, son restaurant impressionne d’abord par l’ampleur de la salle, l’espace accordé au client. Mais le véritable saisissement survient lorsqu’on pousse la porte des cuisines où s’active une petite cinquantaine de chefs, cuisiniers confirmés, apprentis et stagiaires. Preuve de l’aura du maître des lieux, ils viennent du monde entier, surtout d’Amérique latine, affinité de langue et de culture obligent.

Martin est là, au centre de tout ce petit monde, entouré de ses plus proches collaborateurs, qui mangent à une table improvisée sur son bureau. C’est l’heure de la pause-repas, entre le bourdonnement des mises en place et le début de l’excitation propre à tout service de grande maison. Car chez Berasategui, on est bel et bien dans une très grande cathédrale du goût, bâtie en moins d’une décennie.

 » Je suis né dans un restaurant, sans doute le plus modeste de la vieille ville de San Sebastian, confie Martin. Ma mère cuisinait des plats de tradition tandis que mon père avait une boucherie. J’ai commencé à y travailler à l’âge de 15 ans. Quatre ans plus tard, à la mort de mon père, j’ai pris l’affaire en main.  » Pour évoluer dans le métier, le jeune homme profite de ses jours de congé hebdomadaires et de ses vacances pour effectuer des stages, au Pays basque espagnol, mais aussi en France toute proche, où il s’initie notamment à la pâtisserie.

C’est le 1er mai 1993 qu’il déménage dans le flambant neuf restaurant de Lazarte. Sept ans plus tard, il a conquis une à une les trois étoiles du Michelin, devenant, après Arzak, le second restaurant de San Sebastian à être ainsi coté. Une telle consécration û il n’y a, à ce jour, que quatre 3-étoiles en Espagne, dont le mythique Ferran Adria û doit d’abord être mise à l’actif du style Berasategui : l’équilibre des saveurs. Explication par exemple…  » Il y a quelque temps, embraie Martin, j’ai décidé de mettre à la carte une recette salée à base de poires, un accord bien moins évident que dans un dessert sucré. Je l’accompagne d’une grosse crevette cuite 40 secondes à l’eau bouillante, puis marinée 50 minutes dans une eau de mer très salée. La poire pouvant s’avérer assez fade, je l’ai combinée avec une tomate confite, très concentrée en saveurs. Il me manquait l’acidité que j’ai amenée par de la pomme verte, sous la forme de jus et de glace. Restait enfin à apporter la fraîcheur, la nervosité, d’où la présence de basilic dans la recette.  » Elaborer une recette exige parfois des semaines de tâtonnements. Martin se prête quotidiennement à l’exercice.  » Avec deux de mes assistants, confie-t-il, nous travaillons sur les nouveautés tous les matins durant trois heures.  »

L’automne au Pays basque est une saison très prolifique. Les bois regorgent de champignons. Mais ce sont les châtaignes qui inspirent Martin.  » Nous les grillons au charbon de bois. Ensuite nous les éminçons finement, en carpaccio pour accompagner le foie gras, le gibier ou du jambon ibérique.  » Berasategui est très attaché aux produits de son terroir, nés de la mer ou de la terre du Pays basque.  » Nous avons un endroit sur nos côtes où l’eau est si salée qu’on peut préparer sans sel les homards qui y sont pêchés. Pour le reste, je n’ai pas d’£illères, même si je donne la priorité aux produits d’Espagne. Je préfère une pomme cueillie bien mûre ici qu’un fruit exotique que l’on expédie alors qu’il est encore vert.  »

Lorsqu’on passe en revue la carte du restaurant et, plus encore, lorsqu’on voit arriver les plats à table, un autre sentiment se précise : cet homme-là £uvre inlassablement pour offrir de la bonne chère, procurer du plaisir, faire vivre un bon moment.  » Je fais ce métier parce que je l’aime, martèle- t-il. Tous les matins, je me lève en me disant que j’aime ce que je fais. J’ai envie de transmettre ce bonheur à ceux qui viennent manger chez moi.  »

Cette passion, Martin éprouve le besoin de la communiquer à de jeunes cuisiniers. C’est lui qui encadre le chef de l’hôtel NH Aranzazu de San Sebastian ou celui du fameux musée Guggenheim de Bilbao ; tous deux font d’ailleurs partie d’une entité appelée Groupe Martin Berasategui. C’est aussi le cas d’Andoni Luiz Aduriz, un jeune chef d’une trentaine d’années, considéré par ses pairs comme le plus doué de la génération montante espagnole ( lire aussi Weekend Le Vif/L’Express du 25 avril 2003). En se portant actionnaire de l’affaire, Martin a permis à Andoni d’éclore et, même, de lui faire de l’ombre.  » Sans doute suis-je aujourd’hui le cuisinier de référence dans la région, conclut le grand Berasategui. Mais demain demande une relève. On n’imagine pas toujours garder le même gardien dans une équipe de football. C’est la même chose en cuisine.  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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