Le nouveau directeur artistique de la griffe italienne Bottega Veneta a une idée du luxe très soignée. Rencontre avec Tomas Maier, le surdoué du style tout en discrétion.

C’est un phénomène à plus d’un titre. D’abord, Tomas Maier est modeste, ce qui n’est pas si courant au royaume du paraître. Et encore plus rare dans l’univers du luxe. Depuis plus de quinze ans qu’il £uvre dans la mode, il a mûri son talent à l’ombre des grands en collaborant à la renommée de leurs griffes (dont le prêt-à-porter femme d’Hermès pendant neuf ans), tout en s’attachant à développer son idéal de perfection et de qualité. Car il place ailleurs la barre de ses exigences :  » Je préfère qu’on remarque mes clientes pour elles-mêmes que pour mes modèles.  » D’où son refus du total look :  » Je fais des pièces de vêtements qui peuvent se mélanger avec ce qu’on a dans son placard.  »

Appelé en 2001 par Tom Ford, patron du groupe Gucci, pour prendre la direction artistique de Bottega Veneta, le créateur allemand formé à la Chambre syndicale de la haute couture, à Paris, s’est attelé en douceur à la renaissance de la griffe italienne. Fondée dans les années 1970, réputée pour la luxueuse qualité de ses sacs et bagages, elle avait déjà pour slogan :  » Mes propres initiales me suffisent.  » Une posture aristocratique qui convient à l’héritier en titre.  » La manière dont nos sacs sont travaillés, la qualité des peaux est une signature en soi. Et puis, nos prix sont suffisamment distinctifs ! Nous n’avons pas besoin d’ajouter un logo.  »

Fils d’architectes û  » J’ai grandi parmi les plans et les projets  » û Tomas Maier s’intéresse tout autant à la forme qu’à l' » aménagement intérieur  » quand il  » construit  » un sac, une valise, une paire de bottes, voire un blouson.  » Combiner beauté et fonction est une obsession.  » D’où son refus de faire usage de boucles,  » qui ne servent à rien « . En revanche, la plupart de ses bandoulières sont  » modulables, pour s’adapter à la morphologie de chacun « , et ses manteaux de la collection femme sont coupés par un tailleur pour homme,  » seul moyen d’obtenir cette aisance dans l’attitude  » qu’il recherche. De même, cet hiver, ses bottes d’amazone ne sont pas doublées au talon,  » pour bouger plus agréablement « . Une subtilité technique inspirée par sa visite au département des armures du musée de l’Armée, aux Invalides, à Paris :  » Impressionné par les lignes organiques et le travail des coupes articulées aux genoux, aux coudes et aux chevilles « , il en a transposé le principe à sa manière, subtile et raffinée.

Tomas Maier accorde une importance toute personnelle aux détails imperceptibles de prime abord, mais essentiels à l’usage. Aussi ne présente-t-il pas sa collection lors d’un défilé tonitruant mais préfère-t-il la formule du rendez-vous où il explique une à une ses créations en retournant la veste pour mieux faire remarquer sa surpiqûre et sa poche intérieure. Ou en malaxant l’un de ses sacs en cuir pour en faire apprécier l’extrême souplesse.  » Doublé de daim, il est comme une caresse. On le soulève, il ne pèse rien. On s’appuie dessus, il devient coussin.  » Une démarche qu’il pratique aussi auprès de ses équipes de vente lors de séminaires où leur sont expliquées les finesses de fabrication de chaque modèle.  » Acheter quelque chose de coûteux implique tout un processus. Une cliente doit pouvoir venir, revenir, toucher. Nos vendeuses sont  » formées à l’hésitation « . Et pour cause. Ainsi ce cabas en lanières de cuir ultrasouple entièrement tressées à la main û le modèle fétiche de Tomas Maier û qui demande quelques explications pour justifier son prix de 3 500 euros. D’autant qu’il est le symbole parfait de cette discrétion assurée revendiquée par Tomas Maier.  » Ce n’est pas la peine d’énerver les gens en s’affichant. Le tape-à-l’£il, c’est pénible ! Le vrai luxe est une histoire entre soi et soi.  »

Colombe Pringle

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