L’écrivaine s’immisce souvent dans la vie de ses héros. Ici, c’est un petit garçon qui découvre par hasard la Shoah. Profondément marqué, il s’identifie aux victimes au point de cesser de s’alimenter. Pourquoi une telle culpabilité ?

Écrire est-ce lutter contre l’oubli ?

Oui, ma démarche d’écriture s’inscrit dans la mémoire collective et la transmission. Écrire est une manière inconsciente d’exister à un autre endroit que dans le quotidien.

À partir de quand se sent-on  » légitime  » pour écrire ?

Chez moi, la problématique de la légitimité revient dans tout, sauf dans l’écriture. Elle se pose néanmoins pour aborder la Shoah. Les témoins disparaissent, alors il y a une véritable responsabilité à s’emparer d’un tel sujet. Si le relais n’est pas pris, cette mémoire risque de disparaître.

Pourquoi ce thème vous habite-t-il ?

Il est obsessionnel, surtout depuis la naissance de mes enfants. Ce crime contre l’humanité appartient à l’ensemble de la communauté humaine. Aurais-je été victime ou bourreau ? Cette question interroge l’ambivalence humaine.

Que reste-t-il de la petite fille en vous ?

Dès qu’il fait nuit, des peurs resurgissent. Je ne pense pas devenir un jour une vraie adulte.

Quand avez-vous perdu votre innocence ?

Quand mon existence a été révélée et quand mon père (François Mitterrand) est mort. Je suis entrée de plain-pied dans le réel, tout en gardant une forme d’innocence. Être grave ne m’empêche pas de rigoler.

Ici  » le savoir tue « , qu’en est-il de l’aveuglement ?

L’oubli est parfois nécessaire pour continuer à vivre, or le déni tue parce que le savoir se réintroduit par d’autres biais.

Le corps, cadeau ou carcan ?

Un cadeau qui peut devenir un carcan en fonction des époques. Côté maternel, on le perçoit comme un danger, alors que côté paternel il symbolise la jouissance. Cette conquête n’est pas donnée d’avance. Mon roman interroge les limites : jusqu’où est-on prêt à aller ?

Quelles sont les vôtres ?

J’ai plutôt des inhibitions psychologiques. Bien que je me sente libre, il me reste des choses à dépasser. Il y a toujours des chaînes à briser.

Quel secret peut être étouffant ?

Celui qui n’est ni partagé, ni partageable. Celui qui nous exclut du monde. Enfant, j’ai dû porter quelque chose qui ne m’appartenait pas. Cette lourde responsabilité m’a étouffée.

Qui appelez-vous  » au secours  » ?

Mon compagnon, mais pas à tout bout de champ. Question de pudeur ou d’orgueil, je n’aime pas ça.

De quoi êtes-vous fière ?

De mes enfants qui sont les plus sublimes et les plus merveilleux ! Devenir mère était une évidence, une nécessité. J’aime mes livres, mais je demeure insatisfaite.

Le talent que vous auriez aimé avoir ?

Être musicienne et pouvoir bricoler. J’adore dessiner, mais j’aurais aimé être plus manuelle.

Pourquoi restez-vous  » hantée par l’idée de vérité  » ?

Je ne sais pas mentir. La vérité est au plus juste de ce qui est éprouvé. Le travail de la langue sert justement à accrocher cette vérité qui s’évapore. C’est par les mots que j’arrive à la tenir.

Pour mémoire, par Mazarine Pingeot, Julliard, 85 pages.

KERENN ELKAÏM

BIEN QUE JE ME SENTE LIBRE, IL ME RESTE DES CHOSES À DÉPASSER.

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