» Coopération  » : le maître mot de PSA Peugeot-Citroën. Associé au japonais Toyota, le constructeur français lance aujourd’hui la 107, une vraie petite urbaine, pas chère et sexy. Pleins feux sur ce véhicule malin… et aussi sur une stratégie  » matrimoniale  » entres marques concurrentes.

Paris, avenue de la Grande-Armée, à deux pas de l’Arc de triomphe. Au n° 75, un building discret abrite l’un des grands quartiers généraux de Peugeot. Pour y pénétrer, il faut se soumettre à une longue série de mesures de sécurité très pointues. De couloirs anonymes en couloirs anonymes, barrés par des portes ne s’ouvrant qu’avec des badges, nous arrivons enfin dans le bureau de Daniel Marteau, directeur des Relations Constructeurs et Coopérations. A 54 ans, ce natif d’Alger, qui a bâti toute sa carrière au sein du groupe PSA, est en charge, depuis cinq ans, d’une stratégie économique croissante qui s’affirme assurément comme l’arme du futur de la marque française.

La foi dans la collaboration entre constructeurs était déjà bien ancrée dans le groupe Peugeot-Citroën dans les années 1960, quand, avec Renault, il sortait des moteurs et des boîtes de vitesses automatiques. Cette volonté de coopération se poursuivit dans les années 1970 avec Fiat sur des petits véhicules utilitaires puis, début 2000, sur des monospaces (les Peugeot 807 et Citroën C8) et, pour une sortie prévue en 2008, sur un petit VUL (véhicule utilitaire léger) avec en plus la société turque Tofas. Les années 1990 verront également des projets communs avec Ford (production d’un moteur diesel) et avec BMW (petits moteurs essence). Avec Toyota, Peugeot-Citroën est aujourd’hui passé à la vitesse supérieure en produisant des citadines compactes (Toyota Aygo – Citroën C1 – Peugeot 107). Enfin, le 4 février dernier, le groupe a officialisé sa sixième alliance industrielle en signant un accord de partenariat avec Mitsubishi, dans le domaine des 4X4…

Ce record en matière de collaborations permet déjà au numéro 2 européen d’annoncer que, à l’horizon 2006, 420 000 véhicules, soit 13 % de sa production, seront issus de plates-formes en coopération, contre 6 % en 2004. Le résultat concret de ces mariages : jouer sur la rentabilité, optimiser les dépenses et favoriser l’élargissement de gamme, sans oublier l’échange de compétences et le partage des risques. En un mot : la coopération est devenue sans conteste pour Peugeot-Citroën, un levier de croissance essentiel. Rencontre avec la tête pensante de cette stratégie extraordinaire.

Weekend Le Vif/L’Express : Dans le cas de l’association PSA Peugeot-Citroën et Toyota autour de la 107 qu’apporte chacun des partenaires dans la corbeille de mariage ?

Daniel Marteau : Actuellement le partenaire Toyota est considéré dans le monde de l’automobile comme étant très probablement le plus en pointe dans la fabrication d’un produit. Ses atouts : des coûts de fabrication faibles et des temps de réalisation courts. L’apport de Peugeot-Citroën ? La garantie d’un volume de vente de 200 000 véhicules par an. Le bilan de ce mariage temporaire est clair : chacun apporte quelque chose – pas forcément la même chose – mais pour un même niveau d’intérêt. Et chacun en retire un même niveau de satisfaction, même si on n’entre pas dans la coopération en amenant exactement la même chose. C’est le développement dans l’indépendance totale !

Mais le constructeur japonais reste quand même un sérieux concurrent pour les marques françaises …

Nous restons concurrents dès que le produit entre dans le réseau de vente ! Mais avant cela, nous avons communautarisé la partie importante du coût de la 107. Bien sûr, nous savons que pour la vendre, il faut qu’il y ait des particularités afin que chaque marque puisse être identifiée. Mais il faut aussi poser la question à l’envers : aurions-nous pu faire ce véhicule si nous n’avions pas été en association avec un partenaire ? La réponse est très probablement non !

Peugeot et Citroën étaient déjà spécialisés dans les citadines avec la 106 ou encore la Saxo. N’auriez-vous pas pu facilement développer cette 107 sans les Japonais ?

Mais pas au prix que nous désirions pouvoir la vendre ! Nous possédons bien sûr la compétence, la technologie, les moyens industriels mais nous avions un objectif très ambitieux en termes économiques et cela nous ne pouvions le réaliser seuls et dans les délais. Alors non, nous n’aurions pas pu produire la 107 sans partager les dépenses du développement et la facture des dépenses globales…

Ce mariage de raison visait-il directement à concurrencer la Twingo de Renault ?

Non, nous ne visons pas particulièrement la Twingo ! Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais, en général et chez tous les constructeurs, chaque fois qu’un modèle est remplacé par un autre, il se veut plus gros et plus lourd. Cela répond, d’une part, aux désirs des clients qui plébiscitent des modèles plus confortables ou encore plus spacieux et, d’autre part, aux nouvelles exigences de sécurité, ou encore à des normes antipollution. Au bout de plusieurs générations (104, 106, 206), nous nous sommes aperçus que le segment des petites voitures avait grossi et que pour Peugeot il y avait un manque à combler dans la catégorie en dessous de la 206 pour remplacer l’ancienne 106 à un prix plus bas. On a donc produit cette 107 pour offrir à la clientèle une nouvelle voiture dans un nouveau segment. Mais ce n’est pas particulièrement pour s’attaquer à la Twingo ou la Fiat 600 ! Des études de marché montraient clairement qu’il y avait une attente de plus en plus forte pour un petit véhicule urbain mais qui garderait toutes ses compétences routières.

N’y a-il pas concurrence entre votre 1007, un modèle lui aussi urbain et la 107 ?

La 1007 et la 107 répondent à des attentes totalement différentes ! La 107 est une petite berline classique alors que la 1007 est plutôt une offre nouvelle sur le marché automobile. La 1007 est avant tout une voiture ayant de la classe, moderne, urbaine, haute, facile d’utilisation en site urbain avec, par exemple, sa porte coulissante… Bref, une voiture qui se veut 100 % urbaine et pratique. Cette différence d’architecture a un coût. Nous sommes dans une gamme de prix et un monde totalement différents de la 107. La 107, la C1 et l’Aygo sont de petites voitures classiques, mais dont les coûts ont été étudiés pour être extrêmement agressifs. C’est juste une question de stratégie avec l’offre d’ une multitude de concepts différents même si en taille ou de longueur de véhicule, la 107 et la 1007 sont très proches. Les univers sont d’ailleurs tellement opposés qu’un acheteur n’hésite pas entre les deux véhicules…

Après cette collaboration Toyota-Citroën-Peugeot, on parle déjà beaucoup de votre collaboration avec Mitsubishi sur la conception d’un nouveau 4X4. Un segment que Peugeot n’a jamais investigué…

Je pense vraiment que le 4X4 correspond à une nouvelle demande dans le monde et en Europe. Des études marketing montrent bien qu’il faut qu’un constructeur comme Peugeot se dote d’un tel véhicule. Pourquoi coopérer ? Parce que Mitsubishi est un partenaire qui sait faire des 4X4 et qui désirait s’associer à quelqu’un qui lui offrait des volumes de vente. Une excellente raison qui nous évite de nous lancer dans des coûts de production beaucoup plus élevés.

Mais Toyota ne possède-t-il pas aussi des compétences en 4X4 ?

Oui, mais on ne veut pas développer plusieurs projets avec un seul et même partenaire. Nos collaborations doivent rester très ciblées. Avec Toyota, on a un très gros programme de coopération : celui des petits véhicules et cela doit se limiter à cela. Nous ne voulons pas des alliances qui finissent par devenir capitalistiques. Toyota est excellent en 4X4 mais Mitsubishi est également très bon et très compétent dans ce domaine et cherchait lui aussi à se marier à une autre marque ! Mitsubishi est un petit constructeur : il avait besoin donc, pour se développer, de trouver quelqu’un qui lui assure des volumes de vente.

Qu’apporte chacun des partenaires dans ce nouveau mariage ?

Peugeot – Citroën garantit des volumes de vente (30 000 voitures de prévues pour l’Europe) et un moteur diesel très performant de la nouvelle génération. Mitsubishi apporte sa base 4X4. En final pour 2007, chacun aura un modèle bien défini autant chez Mitsubishi que chez Citroën et Peugeot.

D’autres mariages sont-ils en vue ?

Non, pas dans un avenir proche. Nous nous contentons actuellement de nos acquis. Ainsi avec Ford, nous développons une nouvelle génération de moteur diesel, tandis qu’avec BMW, nous lancerons, en 2006, un petit moteur essence qui équipera dans un premier temps les Mini et puis d’autres véhicules. Il y aura aussi une collaboration avec Fiat pour proposer de nouveaux types de véhicules utilitaires. Ces diverses coopérations couvrent tous nos besoins en termes de produits.

Pour revenir à Mitsubishi et au développement d’un SUV, ne pensez-vous pas que ce genre de véhicule, qui rencontre une forte opposition des écologistes, a du plomb dans l’aile ?

Avec ce nouveau véhicule, on n’est pas dans ce segment tant décrié. On est plutôt dans le segment moyen et non dans celui des gros 4X4 qui font l’objet de critiques. D’autre part, dans ce SUV, on va viser plutôt le diesel et un moteur nouvelle génération très sophistiquée ayant un niveau de pollution extrêmement faible. On voudrait démontrer que Peugeot – Citroën est capable de faire des SUV qui ne sont pas  » trop  » polluants. On aura avec ce véhicule la meilleure offre diesel et, espérons-le, le moyen de faire changer la vision des SUV polluants !

Propos recueillis par Chantal Piret

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