Créatrice d’une mode avant-gardiste et audacieuse, militante anticonformiste, l’ancienne punk Vivienne Westwood nous parle de mode, mais aussi de l’Angleterre, du mariage princier, de son jeune époux, et d’écologie.

Elle est cette éternelle rebelle qui vint à Buckingham Palace sans petite culotte pour recevoir, des mains de la reine, la médaille d’officier de l’Empire britannique, en 1992. À 70 ans, celle qui fut punk et cougar avant tout le monde garde son âme de révolutionnaire. Cérébrale et facétieuse, Queen Viv’, comme on la surnomme en Grande-Bretagne, détonne. Sous ses cheveux orange psychédélique, la vieille dame indigne, et indignée, se déplace toujours à vélo et s’enflamme ces derniers temps pour la cause écologique. Un sujet brûlant qui lui vaut de copiner avec le prince Charles comme avec Pamela Anderson, assez punk, chacun dans son genre.

Au milieu des seventies, Vivienne Westwood lance le mouvement No Future avec son compagnon Malcolm McLaren. Ensemble, ils ouvrent sur Kings Road, à Chelsea, une boutique nerveuse, Let It Rock, où il vend bientôt le son des Sex Pistols tandis qu’elle popularise cuir SM, chaînes bondage et tee-shirts à l’effigie de la reine, le nez transpercé d’une épingle de nourrice… Symbole du punk, la boutique est renommée successivement Too Fast to Live Too Young to Die, Sex, puis World’s End, son nom actuel.

Mais par-delà la géniale provoc’, le style de la pétulante Anglaise, anoblie par la reine en 2006, a marqué la mode de son empreinte iconoclaste : un mélange de trash et de références historiques, en particulier le costume des XVIIe et XVIIIe siècles, qui la passionne. Consacrée à trois reprises British Designer of the Year, Queen Viv’ fait toujours autorité auprès des modeuses en vue. La nouvelle rédactrice en chef de Vogue Paris, Emmanuelle Alt, vient ainsi de placer en tête de ses 15 pièces de mode fétiches… les boots Pirate en daim noir de Vivienne, sans cesse rééditées depuis 1981. God Save Vivienne Westwood !

L’identité britannique est l’une des clés de votre travail. Vous lui avez consacré une collection en 1997, et vous montrez un grand intérêt pour l’élégance des tailleurs de Savile Row. Quel est votre rapport à l’Angleterre, aujourd’hui ?

Je n’aime pas l’idée d’être patriote, et j’ai été affreusement déçue par les politiciens de tout poil dans mon pays. Je les pense inutiles, qu’ils soient conservateurs ou travaillistes – regardez les ravages commis par Tony Blair… Mais je suis anglaise et j’adore mon pays. Cette collection Anglomania était une parodie de l’Angleterre autant qu’un hommage aux vêtements somptueux qui nous sont propres, les tweeds, les kilts et les tartans. J’en ai moi-même créé un, qui est conservé au musée du Tartan, en Écosse. Je l’ai nommé The McAndreas, du nom de mon compagnon, Andreas Kronthaler, qui travaille à mes côtés comme directeur artistique.

Vous semblez fascinée par la royauté. Vous avez détourné beaucoup de ses codes, comme l’hermine ou la couronne, jusque sur votre logo. Que pensez-vous de la famille royale britannique ?

Je l’adore, mais ce ne fut pas toujours le cas ! J’ai longtemps pensé que la reine était le symbole de notre hypocrisie, alors qu’en fait elle est bien plus sincère que les hommes politiques. On a de la chance d’avoir ce protocole et ces cérémonies, comme la relève de la garde. La France a eu la Révolution, mais je pense que c’était une erreur ! La monarchie contribue à unifier notre pays, elle lui donne une identité et un ciment social. J’admire particulièrement le prince Charles. Il cherche vraiment à influencer le comportement des gens, notamment sur les questions écologiques. Je le soutiens dans ses actions pour la protection de la forêt amazonienne.

Vous-même êtes impliquée en faveur de l’écologie…

Oui. J’ai eu un choc en découvrant la pensée de l’écologiste James Lovelock. Ce scientifique britannique (auteur de La Revanche de Gaïa, éd. Flammarion) annonce les pires cataclysmes à cause du réchauffement climatique… Ses vues sont désespérantes mais, malheureusement, très justes. Depuis que je l’ai rencontré, j’ai réalisé l’urgence de notre engagement collectif. Nous sommes une espèce en danger, qui malmène son milieu naturel. Le monde se réchauffe (même si à Londres nous avons froid…) et les catastrophes naturelles sont de plus en plus intenses. Il y a deux ans, j’ai intitulé un des mes défilés  » + 5 degrés  » afin d’alerter sur le réchauffement climatique, avec des robes imprimées de zéros symbolisant les 30 millions de dollars nécessaires chaque année pour sauver la forêt amazonienne.

Depuis votre période punk, vous semblez sans cesse révoltée. D’où vous vient cet instinct de rébellion ?

Depuis que je suis enfant, je veux que le monde soit meilleur. Je passe pour une illuminée ou une sainte utopiste, mais je pense que c’est un sentiment très humain. Quand je vois de quoi l’humanité a été capable dans le passé, de quelle empathie ont fait preuve des philosophes comme Aristote ou Socrate, je garde espoir en l’humanité. Mais seuls l’art et la culture nous donnent la sensation que le monde peut avoir un sens, comme je l’écris dans le manifeste que je viens de publier, Active Resistance to Propaganda (1).

En tant qu’ancienne institutrice, quel conseil donneriez-vous aux jeunes générations pour améliorer leur culture ?

Les gens utilisent le mot  » culture  » de manière impropre. Moi, je l’entends au sens de : un savoir qui élève et rend plus humain. Mes conseils ? Connaissez votre passé. Comprenez le lieu où vous vivez, apprenez le nom des arbres si vous vivez à la campagne, par exemple. Et, surtout, écoutez de la musique, allez dans les musées, les galeries d’art et au théâtre. En matière d’art, vous pouvez commencer par n’importe quelle période, il n’y a pas de progrès. Je considère qu’il n’y a plus guère d’auteur de théâtre intéressant depuis Shakespeare ! Et Salvador Dalí est un artiste totalement superficiel, obsédé par sa personne plus que par le surréalisme. Je recommande plutôt la peinture flamande du XVIIe siècle, ou les somptueuses toiles de Manet au musée d’Orsay, à Paris.

Est-il exact que vous préférez la littérature à la mode ?

J’ai détesté la mode pendant si longtemps ! J’ai commencé ce métier lorsque j’ai réalisé l’impact considérable qu’il avait sur le monde. J’en ai fait un outil politique pour diffuser mes idées anticonformistes et celles de Malcolm. Je venais de la campagne et j’étais un peu innocente et ignorante. À la mode je préférais la lecture ou l’écriture, des activités ouvertement plus intellectuelles. Si j’adore mon métier aujourd’hui, je suis quelqu’un de très littéraire. Mes vêtements doivent raconter une histoire.

Vous plaidez depuis longtemps pour une consommation raisonnée, avec le slogan  » Buy less, choose well « . Que pensez-vous du rythme actuel de la mode, qui multiplie les collections jusqu’à l’excès ?

C’est une frénésie effrayante, qui encourage à créer trop de produits pour susciter toujours plus de consommation. Les gens achètent des choses dont ils n’ont pas vraiment envie. Mon conseil,  » Achetez moins, choisissez mieux « , peut paraître démagogique dans la mesure où je vis de la vente de mes vêtements. Mais je suis convaincue de cette nécessité. Il faut privilégier la qualité à la quantité. Je mets moi-même certains vêtements depuis trente ans !

Quel regard portez-vous sur l’affaire Galliano ?

À la fin de sa vie, Balenciaga avait avoué :  » C’est une vie de chien « … C’est sans doute pire aujourd’hui avec ce système à bout de souffle où la pression financière est écrasante. J’avais moi-même postulé pour Dior au milieu des années 90, avant l’arrivée de John Galliano. Je respecte tellement Christian Dior que j’aurais aimé essayer d’être aussi douée que lui. Malheureusement, ils ne m’ont pas prise au sérieux. À cette époque, je n’étais pas du tout soutenue par la mafia fashion…

Vous qui aviez dessiné une robe de mariée pour la série Sex & the City, pourquoi ne pas en avoir créé une pour la future princesse, Kate Middleton ?

Elle est ravissante mais son allure est trop commune. Elle aurait bien besoin de mon aide pour progresser, mais c’est à elle de faire un pas vers moi et non l’inverse !

Vous-même avez été mariée deux fois ?

Non, une seule. Euh non, je me trompe, deux fois ! [Elle rit.] Pour le premier, j’étais une oie blanche respectueuse des conventions. Ensuite, j’ai rencontré Malcolm McLaren, et ce fut ma période punk, donc se marier était une hérésie. Quand j’ai rencontré Andreas, en 1992, j’étais très amoureuse mais, du fait de notre différence d’âge (il est de vingt-cinq ans mon cadet), ça ne m’avait pas effleurée de l’épouser ! Mais il est autrichien, et ne pouvait rester en Grande-Bretagne, on s’est unis pour des raisons administratives. Finalement, j’adore être mariée ! Ça clarifie les choses, pour vous-même et dans le regard des autres. C’est surtout une histoire très romantique…

Vous êtes décrite comme une créatrice de mode comprenant les désirs féminins. Votre dernière collection, A World Wide Woman, montrait des femmes sexy et puissantes…

 » Les femmes ne connaissent pas toute leur coquetterie « , disait La Rochefoucauld. Je veux que les gens soient plus forts en portant mes vêtements. Andreas dit que sa muse absolue est Marlene Dietrich. À la question  » Vous habillez-vous pour vous-même ou pour les hommes ?  » l’actrice répondait :  » Pour l’image.  » Que voulait-elle dire ? Pour que ses films aient du succès ? Pour influencer les gens politiquement ? Peu importe, l’essentiel, c’est de s’amuser avec ses vêtements afin de traduire au mieux son état d’esprit. Et de séduire, bien sûr… La mode parle de sexualité. L’historienne Anne Hollander l’évoque dans son livre Sex and Suits. The Evolution of Modern Dress (éd. Claridge Press). Pour elle, si le costume masculin a un tel succès dès le XIXe siècle, c’est non seulement parce qu’il accompagne les conquêtes de l’homme moderne, mais aussi parce que sa forme épouse le corps et le valorise comme une statue grecque. Le but de la mode, finalement, c’est d’attirer l’attention, le désir, et de finir nu(e) au lit ! Ce qui ne veut pas dire qu’on le fasse vraiment… Tout cela est un jeu.

À voir : le documentaire de Letmiya Sztalryd Do It Yourself, en DVD, Arte éditions.

(1) www.activeresistance.co.uk/getalife

PAR KATELL POULIQUEN

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