S’il parcourt le monde pour son métier, l’acteur et chanteur flamand a néanmoins décidé de poser ses valises à un jet de pierre du lieu qui l’a vu grandir, à Bavikhove, au coeur de la belle campagne ouest-flandrienne. Rencontre avec cet artiste, peu connu du cinéma francophone, mais pourtant fervent admirateur de Jean Gabin et Philippe Noiret.

Il a joué à Moscou et à Sydney. Mais aussi à Gand et à Watou. L’artiste bouge en permanence d’un coin à l’autre du globe. C’est à Montpellier que nous nous sommes rencontrés, ville où il tourne actuellement un téléfilm sur le roi Albert II dans lequel il campe notre ancien Premier ministre Jean-Luc Dehaene. Wim Opbrouck est fidèle à son apparence : chaleureux, généreux et franc. L’acteur, originaire d’Harelbeke, se dit béni de pouvoir vivre de ce qu’il aime.  » Il ne faut pas sous-estimer Harelbeke. Le grand compositeur Peter Benoit (1834-1901) y est né. C’est une commune au sein de laquelle il existe un véritable esprit musical, grâce aux fanfares locales. Il y a aussi une excellente académie de dessin et de théâtre. Mon père rêvait de jouer de la trompette mais n’a jamais eu cette chance. C’était une autre époque, les moyens étaient différents. De mon côté, je voulais devenir peintre. A l’école, les mathématiques et les sciences n’étaient pas mon fort. Malgré des parents enseignants et des cours particuliers à répétition, je n’y arrivais pas. Mon esprit vagabondait. J’avais par contre un tas d’activités : le mouvement de jeunesse socialiste Rode Valken (Les Faucons rouges), des cours de musique et de dessin… Je débordais de créativité. J’étais déjà fasciné par les happenings, par l’artiste Nam June Paik, par le mouvement Fluxus ou par Gilbert & George.  »

Le véritable déclic aura lieu à l’âge de 12 ans, quand le jeune Flamand découvre, à Gand, le groupe artistique Parisiana.  » Ses membres organisaient, au Limelight de Courtrai, un cortège dédié à l’oeuvre de Fellini. Ils cherchaient des figurants et je me suis inscrit pour porter une Dikke Madam, une sorte de géante. Cet univers artistico-bohémien m’a instantanément plu. Je rêvais d’en faire partie mais, cette fois, sans devoir me cacher derrière le corps d’un personnage. Je voulais être sur le devant de la scène. Mon ambition grandissait. Je ressentais une soif de jouer, de m’exhiber.  »

Pourquoi rêviez-vous de monter sur scène ?

Je pense que je suis réellement devenu acteur pour le plaisir de raconter des histoires. Mais je voulais aussi trouver un public et établir des contacts avec d’autres conteurs. Etre un solitaire ne m’intéressait pas. En groupe, je suis une sorte d’Akela, j’aime rassembler les gens. Chaque domaine possède, comme celui du cinéma, son propre petit univers. Chez les cyclistes, il y a par exemple les coureurs, les soigneurs et d’autres personnes qui forment un clan au sein duquel le reste du monde n’existe plus. Il n’y a rien de mal à vouloir échapper à la réalité qui est parfois affligeante, mais il est aussi essentiel de garder un lien avec elle. Les groupes dans lesquels j’ai atterri faisaient tous preuve de convivialité. Je me sentais parmi les miens, on développait ensemble un tas de projets. Cela peut sembler évident mais ouvrir en permanence son coeur, c’est prendre le risque qu’il soit piétiné. Comme j’ai la parole facile, je me lâchais lors d’interviews. J’étais un livre ouvert et n’avais plus le moindre secret pour personne. Aujourd’hui, je suis plus prudent.

 » De la dépression à l’euphorie.  » Vous reconnaissez-vous dans cette expression du compositeur et guitariste belge Jean Blaute ?

Tout à fait ! Je suis de ces gens qui imaginent toujours le pire. Chaque soir, quand je monte sur scène, je repars de zéro. Je trouve ma pièce de théâtre sur le peintre Mark Rothko plutôt réussie mais les critiques seront toujours là, les bonnes comme les mauvaises. Cette pression est parfois difficile à gérer. Mais j’ai pris la décision de garder mes distances. On finit par se construire une carapace.

Où avez-vous appris le métier ?

J’ai suivi les cours de l’ancien Studio Herman Teirlinck, à Anvers. J’ai aimé ces études mais j’ai davantage appris, avant, à l’académie de musique Peter Benoît à Harelbeke, avec mon professeur, Klaar Leyre, une femme magnifique. Je l’ai rencontrée à l’âge de 12 ans. Un élève de quatrième année lisait un poème de Neruda lorsque je suis arrivé. Elle m’a demandé ce que j’en pensais. Je l’ignorais ! J’ai balbutié que je le trouvais très beau. Elle m’a ensuite demandé de prendre trois livres dans une armoire remplie de recueils de poésie, la plus belle littérature existante selon moi. La fois suivante, nous avons discuté pendant une heure de notre première rencontre et elle m’a demandé d’y réfléchir plus longuement : pourquoi ce texte était-il beau ? Et était-ce suffisamment beau ? Elle a mis tous mes sens en éveil. Elle ne cherchait pas à faire de nous des acteurs mais simplement des personnes. Le jour où je lui ai annoncé que j’allais étudier au Studio, elle m’a dit :  » C’est à toi de prendre seul ta décision et non pas à moi de te dire ce que tu dois faire ou pas. Et encore moins de te dire si tu as ou non du talent.  » Je lui serai toujours reconnaissant pour ce qu’elle m’a apporté.

Pour être un acteur talentueux, il faut avoir vécu pas mal d’expériences…

Le vécu, je le ressens. J’ai souvent eu du sang sur les mains au théâtre et pourtant, je n’ai jamais tué personne. Certains acteurs entrent totalement dans la peau de leur personnage et d’autres jouent plus simplement le rôle qu’on leur a attribué. Mais cela reste généralement un mélange des deux. Le reflet de Wim Opbrouck est toujours présent et je dois parfois apprendre à le dompter. Lorsque je joue Mark Rothko, je suis convaincu de ne pas être cette personne. J’établis une sorte d’accord tacite sur le fait que je suis Mark Rothko mais vu à travers mes yeux. L’écrivain français George Perros (1923-1978), qui a magnifiquement écrit sur le théâtre, n’était pas obnubilé par les applaudissements. Selon lui, la plus belle récompense pour un acteur de théâtre est le silence. Celui-ci est progressivement devenu plus cher à mes yeux que le rire – même si ce dernier ne doit pas être sous-estimé, du moins s’il se déclenche de manière adéquate. En cette époque de non-silence, les gens vont au théâtre tout en faisant mille et une autres choses à la fois. Ils vérifient leurs mails, pianotent sur leur GSM et ne s’arrêtent jamais. Lorsqu’une pièce plaît vraiment au public, un silence soudain se fait et on peut se satisfaire d’avoir réussi à isoler les spectateurs du reste du monde.

Qui sont vos modèles ?

J’ai toujours aimé le travail de Jean Gabin ou de Philippe Noiret, des hommes forts et élégants qui ont réussi à conserver leur légèreté. Cette légèreté, je l’ai moi-même acquise lors du cours de danse dispensé au Studio, même si ce n’était pas trop mon truc. J’ai également été initié à l’escrime. Il s’agit d’un bon exercice, une sorte de dialogue durant lequel les adversaires se regardent continuellement droit dans les yeux et qui permet d’apprendre à bouger son corps. Jan Decleir, avec qui j’ai joué Ten Oorlog, m’a par ailleurs enseigné plein de choses. L’empressement et l’émerveillement avec lesquels il observe le monde sont saisissants. Au Studio, il donnait un cours de mise en scène et laissait les élèves de première année s’occuper du son et de la lumière. On faisait cela consciencieusement et on apprenait beaucoup en observant. Klaar Leyre avait la même philosophie. Elle aimait que l’on arrive plus tôt et que l’on prenne le temps de regarder les autres.

Vous vivez à Bavikhove, qui fait partie de l’entité d’Harelbeke. Est-ce un retour aux sources ?

Après mes études à Anvers, j’ai eu envie de revenir à la campagne. L’idée me semblait romantique. J’étais aussi amoureux d’une fille qui venait de Harelbeke et avec laquelle je suis toujours aujourd’hui. On a acheté une grange pour une bouchée de pain. J’ai vu mes enfants grandir, aller à l’école publique du quartier. Quand je rentrais du boulot, ma grand-mère était aux fourneaux. La vie de famille est une expérience inestimable lorsqu’elle vous convient. Aujourd’hui, les racines familiales sont moins présentes. Je pourrais partir vivre ailleurs mais mes amis sont ici. Ma vie est chargée et mon esprit sans cesse en ébullition. C’est la raison pour laquelle j’ai besoin de refuges. Avant, ceux-ci devaient être exotiques, comme New York par exemple. Mais ma vision a peu à peu changé. Par le passé, je rêvais d’un lieu de vie sans industrie aux alentours, en pleine nature. Aujourd’hui, je suis plus modéré. Tant que je suis entouré des personnes que j’aime, tout me va.

PAR PIERRE DARGE / PHOTOS : JULIEN POHL

 » JE SUIS DE CES GENS QUI IMAGINENT TOUJOURS LE PIRE. CHAQUE SOIR, QUAND JE MONTE SUR SCÈNE, JE REPARS DE ZÉRO.  »

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