Dans La Mercerie d’Anne Goldschmidt, on ne trouve ni rubans ni boutons. Elle a abandonné la scénographie, les décors de théâtre et de cinéma pour s’inventer, à Bruxelles, un salon de thé baroque et merveilleux. Cheers.

Elle a le teint de sa porcelaine, parfaitement raccord. A croire que l’on finit par ressembler à l’endroit où l’on met toute son âme. En ce qui la concerne, il s’agit d’un salon de thé aux accents baroquissimes baptisé La Mercerie, Anne Goldschmidt n’a pas cherché longtemps le nom, c’était celui de la petite boutique d’ouvrages pour dames qui avait tenu vaille que vaille jusque-là dans ce quartier ixellois, à deux pas de la place Flagey. L’idée, elle l’a eue en tombant sur une photo de porcelaine de Sèvres,  » envie d’être comme si on était dedans « ,  » envie de baroque revisité, mais qui n’existerait pas ailleurs « , cela aurait pu être trop, pas avec elle, en matière de décor, elle est médaille d’or. En 1990, quand elle sort diplômée de l’Institut supérieur de peinture décorative Van der Kelen Logelain, elle n’est plus la même que celle qui y entra un an auparavant. Dans cet atelier qui a alors tout du  » bagne « , elle apprend la technique du faux marbre et du faux bois, avec soixante autres élèves parqués dans un espace réduit,  » quasi sans lumière « , à côté d’un poêle où se consument les chiffons usagés imbibés de térébenthine, sous le regard sévère, exigeant, du professeur et maître des lieux. Le jour où il prend son travail en exemple, devant la classe réunie, pour la première fois de sa vie, elle se dit que oui, peut-être, elle ne se débrouille  » pas si mal que ça  » – ça compte, quand on fut cancre, option artistique/Espagnol/gymnastique. Pourtant Anne Goldschmidt avait déjà cheminé dans cette voie, puisque, cinq ans auparavant, tout juste après ses secondaires, elle avait découvert le théâtre, côté envers du décor. C’était au National, du temps de monsieur Huisman, c’est dire si cela date ; elle y est écolée par l’équipe de décorateurs avec qui elle travaille le jour avant de filer aux cours du soir, à Saint-Luc, section scénographie ; son projet de fin de cursus s’attaque au Songe d’une nuit d’été. Au début des années 2000, elle retrouvera William Shakespeare, en Californie, où elle signe plusieurs décors pour le San Francisco Shakespeare Festival, il n’y a pas de hasard.  » Si je suis dans un théâtre, je vibre « , pour  » l’atmosphère « ,  » le travail d’équipe « ,  » la dynamique « ,  » le projet commun autour d’un texte, d’une écriture « . Là, sous son plafond avec fresque et angelots, décoré à grand renfort de courbes dorées à main levée, la sienne, les bouquets Marie-Antoinette semblent frissonner – prendre la mesure d’une passion ne laisse jamais indifférent. Si frêle et si entière. Elle s’en étonne presque, mais elle n’avait pas imaginé qu’elle ne pourrait plus  » lâcher le bébé « , confier son salon de thé à une autre quand La Mercerie fut enfin prête, en décembre dernier, au bout de six mois de labeur à créer son univers, six autres mois à penser sa carte, dans ses moindres détails, avec référence à tous les plats qu’elle a dégustés à New York, Berkeley, Edimbourg, où elle vécut quelque temps, la gourmandise en tranches de vie. Tous, ou presque, lui dirent qu’elle était  » folle « , son mari eut  » peur « , elle n’en fit qu’à sa tête. Ce qui se traduit chez elle par prendre définitivement le parti de la radicalité, crâner un peu, être obligée du coup d’être à la hauteur de ses ambitions, ne pas avoir droit à l’erreur, se le répéter du moins, tout faire de ses dix doigts, avec le secours de trois amis fidèles, y mettre son talent, ses tripes, sa sueur, relevez-moi ce défi. Tant pis pour le théâtre et le cinéma, qui se passeront d’elle. Tant mieux pour qui goûtera à son teatime, avec, au choix, cake aux dattes et caramel chaud, oeufs bénédictine ou scones anglais et clotted cream. Dans son monde de porcelaine, il est permis de cultiver son jardin secret.

La Mercerie, 2, rue de Vergnies, à 1050 Bruxelles. Tél. : 02 644 21 40. Mercredi, jeudi et vendredi, de 11 h 30 à 19 h 30, samedi et dimanche, de 10 à 19 heures.

PAR ANNE-FRANÇOISE MOYSON

 » Envie de baroque revisité. « 

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