Basique, luxueux, vert et hybride, l’art de vivre du XXIe siècle brouille et mélange les codes. Décryptage.

Quelles mutations notre habitat va-t-il connaître à l’aube du IIIe millénaire?  » Luxe, élémentaire, mixing, plein air « , telles sont les quatre orientations définies par le designer français Christophe Pillet qui a observé et analysé la production du design, les mouvements de l’architecture, de la mode, de l’image et de la communication.(1)  » Aujourd’hui, le luxe n’est plus forcément ostentatoire, avance-t-il. Même si le retour des années fric remet au goût du jour toute une panoplie clinquante, on assiste à l’émergence d’un luxe moins tangible, mais davantage lié à la sensualité des matières, au confort de l’espace, à la technologie invisible.  » Pour la papesse du design et de la déco Andrée Putman,  » le luxe n’est pas lié à la dépense, mais émane d’un état d’esprit, il est synonyme d’élégance et de justesse « . L’hôtel de Lucerne, récemment construit par l’architecte Jean Nouvel, sobre écrin helvète à la gloire de la dématérialisation, est présenté comme emblématique de cette nouvelle perspective. Pas franchement inédite, d’ailleurs : depuis Le Corbusier, on sait bien que le design élémentaire cultive un art de l’épure à haute valeur marchande, pleinement assimilable aux produits de luxe.

Quid de l’élémentaire attitude? Elle consiste à  » dire tout, avec juste ce qu’il faut « , résume Christophe Pillet. On ne parle plus de minimalisme : on préfère désormais souligner l’élégance de l’objet, sa limpidité, sa rigueur, son intelligence. Témoin le style économe, ennemi du superflu, du Munichois Konstantin Grcic :  » Le minimalisme, c’est souvent ennuyeux et pas suffisant. Or j’aime que les choses soient riches. Mon idée de l’élémentaire, c’est un minimum d’effort pour un maximum de qualité, ou encore le maximum d’expression ou de fonction pour un minimum d’effets au niveau des symboles, des matériaux, des manières, du style.  » D’où cette impeccable série de verres pour la société finlandaise Iittala. Témoin encore les frères Ronan et Erwan Bouroullec, auteurs notamment de la  » cuisine désintégrée  » en kit, éditée en mars prochain par Cappellini, qui a déjà produit leur table Hole, leur fauteuil Spring et leur lit clos. Enfin, le Flamand Maarten Van Severen, chef de file d’une exemplaire sobriété pour ses meubles où dominent le métal brossé et les angles droits, est logiquement élu créateur de l’année par le Salon du meuble de Paris (voir l’encadré page 20).

Présenté à Now! Design à vivre, le projet d’Olivier Peyricot relève lui aussi du  » basic instinct « , avec l’humour en plus. (2)

Lauréat du concours Exercices de style, organisé avec l’Agence pour la promotion de la création industrielle (APCI), ce jeune designer, créateur du label IDS et du célèbre rideau porte-photos édité par Axis, a imaginé le mobilier pour une future maison de vacances en Corse. Malles de rangement en forme de conteneurs, palettes de transport pour le piétement, filets en guise d’étagères : chez Peyricot, la maison prend des allures de chantier.  » Il est important de susciter de nouvelles typologies, de régénérer les postures, de dépoussiérer les habitudes « , estime l’iconoclaste. Sa table à tréteaux, plus proche du banc de pique-nique de l’aire autoroutière que du dîner de l’ambassadeur, a été conçue à partir d’un billot de boucherie.  » On peut entailler la surface sans se soucier de l’abîmer. Et quand on a fini de manger, on peut la transformer en table basse ou l’accrocher aux murs pour en faire un support vertical.  » Car l’objet à entrées multiples fait désormais partie du décor.

Mais le nouvel habitat, en pièces détachables ou non, ne serait rien sans l’influence du mixing.  » La télévision et les nouvelles technologies font entrer le monde entier dans la maison. Ajoutez à cela le déclin du mobilier de style et la recherche d’un mobilier démocratique, et vous comprenez pourquoi le  » total look  » a vécu, remarque François Bellanger, consultant spécialiste de l’innovation et auteur d’Habitat(s). A l’image de la mode, on peut faire cohabiter chez soi, sans craindre les mésalliances, un canapé de Mies van der Rohe et une étagère Ikea. Exactement comme on porte un costume Kenzo avec des chaussures de sport.  » Pour Jean-Luc Excousseau, sociologue et sémiologue, auteur de  » La Mosaïque des générations « , le télescopage des codes est plus qu’une inclination, c’est une véritable philosophie chez les 15-20 ans, qui  » zappent entre plusieurs attitudes et surfent entre plusieurs panoplies de plaisirs. Cette génération mosaïque, née après 1977, intègre la diversité comme une donnée essentielle. Il y a chez elle un goût avéré pour le recyclage, le métissage. L’esthétique du collage, l’hybridation font partie de son quotidien « . Les poufs Barbès, de Matali Crasset, édités par Edra, en offrent l’exemple parfait : ils sont, sans complexe et sans souci de la hiérarchie des genres, tapissés de sacs à provisions; et, juxtaposés, ils composent un canapé.  » Le nouveau design aime les détournements et met tout sur le même niveau « , conclut Jean-Luc Excousseau. Que réclame encore l’hédoniste contemporain? Du vert, évidemment. C’est la tendance plein air. Déjà, les immeubles s’habillent de végétation, tel Château-le-Lez, le bâtiment de l’architecte Edouard François, à Montpellier. Des créateurs ouvrent, quant à eux, les cloisons à la lumière naturelle, à la manière des modernistes d’avant-guerre, où intègrent la nature au coeur de leur projet. Renaud Thiry a ainsi revu et corrigé le fameux Cabanon de Le Corbusier en un espace de détente (lecture, farniente, pique-nique…) arboré, à poser sur les toits des villes. Une architecture  » interstitielle  » occupant des espaces urbains inexploités  » plus proches géographiquement des gens que ne le sont les jardins populaires « .

 » L’aspiration à la nature est une tendance forte « , estime François Bellanger. Et, à défaut de céder au syndrome potager, faute de place ou d’envie, l’imagination prend le relais.  » Le plein air, ce n’est pas nécessairement cultiver des tomates sur son balcon, dit Christophe Pillet. C’est plutôt réintroduire dans l’habitat une touche de végétal. Quitte à ce qu’elle soit artificielle.  » A l’instar de la boutique milanaise 2 link conçue par le designer, vous pouvez planter dans votre salon des bambous en plastique ou y installer des nains de jardin, version tabourets, dessinés par Starck pour Kartell. Rangés dans la catégorie  » décalée  » (tels ceux présentés dans les jardins de Bagatelle, à Paris, au printemps dernier), vous ne risquez pas de vous les faire kidnapper par le gang des libérateurs des véritables gnomes bucoliques.

(1 et 2) Voir carnet d’adresses en page 80.

Antoine Moreno

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