Le supermarché du vêtement

Anne-Françoise Moyson, journaliste © FRÉDÉRIC RAEVENS

C’était ce 1er juin. On avait vu sur le podium tendu d’or des Halles de Schaerbeek douze performers-poupées gonflables qui traversaient le show de La Cambre mode(s), anonymat préservé mais bouche grande ouverte. Le 30e défilé de cette école bruxelloise qui forme des créateurs et interroge le corps et le vêtement affichait son parti pris : il serait question de sexualité, de genres et d’humour. Car la construction de cette acmé de l’année scolaire allait de pair avec celle d’une exposition qui s’ouvre ce 23 juin, une carte blanche au Musée Mode et Dentelle. On n’avait jamais vu ça. Et après tout, pourquoi pas ? Le titre de ce parcours-installation fait dans le monosyllabique, en parfait acronyme : LOL, à l’origine pour Laugh Out Loud mais dont plus personne ne connaît véritablement la définition. Cela convenait à Tony Delcampe, professeur responsable de La Cambre mode(s). Ce terme qui veut aujourd’hui dire tout et son contraire a des airs de pirouette, pour mieux revenir à l’essence d’un cursus exigeant. Dans la rue de la Violette, en plein coeur de la capitale, une centaine de silhouettes, vues sur le catwalk, pendent désormais sur un seul portant, sous la lumière blanche et cinglante, dans une scénographie radicale qui lorgne vers la non-mise en scène. La ressemblance avec une supérette n’est pas fortuite. La contestation non plus, qui revendique une volonté de ne pas montrer le (futur) créateur comme un artiste, de ne pas déifier le vêtement, de questionner le trop-plein de cette industrie qui s’emballe. En fil rouge, on retrouve les poupées gonflables devenues cintres,  » pour jouer la provocation et cela me plaît « , s’enchante la conservatrice Caroline Esgain. Pendus, inertes, désertés, les exercices des étudiants se donnent à voir, depuis la première jusqu’à la cinquième année. Autant d’habits à l’identité forte, composée de la somme de toutes ces singularités, de tous ces êtres passés par l’institution. On y découvre presque organiquement comment les deux premiers bachelors servent de réservoir au travail qui prendra forme ensuite, avec ce principe incontournable : comprendre comment un vêtement est réalisé en trois dimensions. Car il s’agit de tenter de s’éloigner du corps par le volume, grâce au savoir technique mais transcendé, détourné, poussé toujours plus loin. Rien n’est gratuit. Au bout de ce laboratoire, ainsi outillé·e, chacun·e est tenu·e de forger sa propre signature, le meilleur des diplômes.

Pendus, inertes, désertés, les exercices des étudiants se donnent à voir, depuis la première jusqu’à la cinquième année.

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