Quel est le trait d’union entre le prince Charles et Britney Spears ? Entre Johnny Rotten, idole punk, et la reine d’Angleterre ? Entre Jean Paul Gaultier et sa grand-mère ? Ce point commun tient en six lettres : le tartan. Ce motif écossais sera dans toutes les rues cet automne, après avoir quadrillé les podiums des récents défilés. Castelbajac, Chloé, Stella McCartney, MaxMara, Donna Karan, Moschino, Issey Miyake, Junya Watanabe, Chanel : tous semblent s’être donné le mot. Particulièrement remarqués : le tartan gansé de paillettes avec souliers assortis, chez Prada, celui qui ose se mélanger à l’imprimé panthère, chez Dior, ou celui qui se décline en chemises cintrées et minikilts pour la jeune marque canadienne D-Squared.

Donatella Versace, sous un écran géant pixélisé en tartan, faisait défiler certains de ses modèles en mini et escarpins imprimés écossais. De quoi donner à la femme de l’hiver 2004 une allure  » à la fois sexy et conservatrice « , comme le souligne le styliste. Marc Jacobs, qui préfère même le tartan au monogramme dans sa dernière collection pour Louis Vuitton, semblait plus que d’accord.  » Helmut Newton trouvait Margaret Thatcher émoustillante et eut son premier émoi avec sa nurse anglaise, explique-t-il. C’est cet érotisme britannique que j’ai recherché en travaillant ce motif. J’ai voulu ce côté très collet monté, dans une version sexy, jeune et fraîche.  »

Ces assauts de modernité ne sauraient toutefois nous faire oublier que le tartan est d’abord un tissu historique. C’est à l’origine un plaid, large écharpe à grands carreaux de couleur, que les montagnards des Highlands utilisaient en guise de manteau, le drapant ou le nouant sur l’épaule, et le ceinturant la plupart du temps. Le premier texte qui évoque ce vêtement (et pas encore sous le nom de tartan, qui n’apparaîtra qu’au xviiie siècle) date de 1093 ; et l’usage veut que chaque clan familial possède un motif et l’adopte comme blason. Quand les Ecossais s’insurgent en 1746 contre le joug de la Couronne, le port des armes et du tartan leur est interdit pendant trente-cinq ans. Seule l’armée est autorisée à porter le kilt et bon nombre d’Ecossais s’enrôleront alors pour garder ce droit !

Confortable et séduisant, le tartan ne fut pas toujours militant : les romans de l’Ecossais Walter Scott en lancèrent la mode dans le royaume, par pure coquetterie.  » Dès 1823 apparaissent robes, rubans et surtout pèlerines à motifs écossais « , observe l’historienne Lydia Kamitsis. Pour se prémunir contre une telle déferlante, les grandes familles écossaises firent alors répertorier couleurs et motifs à leur nom (MacDonald, MacQueen…) La reine Victoria, qui installait ses quartiers d’été à Balmoral, en Ecosse, ne manquait pas d’y arborer le Royal Stewart (créé pour elle), contribuant à donner au motif écossais une image d’élégance et d’aristocratie. Selon Vincent Grégoire, du bureau de tendances Nelly Rodi,  » porter du tartan aujourd’hui est une façon de privilégier une certaine noblesse. Dans une époque de crise identitaire, voilà qui raccroche à une branche généalogique perdue « .

Sage et précieux, le tartan ? Heureusement, il a su aussi se dévergonder. La première à désacraliser ce symbole de l’establishment fut sans doute une jeune créatrice du nom de Vivienne Westwood. Dans les années 1970, celle à qui le Victoria and Albert Museum de Londres a consacré récemment une gigantesque rétrospective ouvrait, avec son compagnon Malcolm McLaren, une boutique au nom provocateur, Sex, qui devint le repaire du mouvement punk. Pour habiller les Sex Pistols, groupe phare que manageait Malcolm, Miss Westwood dessina de très iconoclastes  » bondage trousers  » en tartan. Ces pantalons zippés et sanglés, nettement inspirés du SM, furent en effet (Oh ! Shocking !) fabriqués dans le très respectable écossais. Bref, le tartan apparaissait alors jeune et sexué.

Et cette saison ! Qu’en est-il ? Le tartan qui revient en force est-il bon chic bon genre ou au contraire l’étendard d’une certaine contre-culture ?

Pour Jean Paul Gaultier, pas de doute, cette dernière lecture est la plus juste.  » La réinterprétation est nécessaire pour éviter le coup de vieux.  » Sa méthode pour revisiter ce grand classique ?  » Moi qui cherche toujours à faire des associations improbables, celle-là s’est faite toute seule. Le tartan conventionnel avait besoin d’une certaine violence. Pour cela, j’ai reproduit le motif avec des bandes de fourrure cousues entre elles, je l’ai aussi transformé en robe sirène ultramoulante brodée de petites perles de manière à créer un kilt du soir sexy. Le tartan peut être chic, regardez les punks !  »

Une touche de tartan semble donc la bonne façon de jouer les classiques décalés. Afin de rajeunir son image, Burberry a d’ailleurs, depuis quelques saisons, utilisé ce motif emblématique de la marque sur des supports inattendus. Bikinis, flacons de parfum ou chaussures : la maison, qui fêtera bientôt ses 150 ans, a beaucoup fait pour moderniser l’image du tartan. Quant à Vivienne Westwood, elle poursuit son histoire d’amour avec ce motif. Dans sa dernière collection, Anglomania, elle a fait défiler son propre tartan, le Mac Andreas, homologué par le très honorable Lochcarron Museum, référence incontestable en la matière.

Severine Werba

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