Quelle(s) forme(s)! A bientôt 100 ans, ce basique de la garde-robe travaille plus que jamais son look. Et inspire les créateurs au gré des saisons.

Avec 2 milliards – au minimum – d’exemplaires vendus chaque année à travers le monde, le tee-shirt compte parmi les VIP de la mode. Remarquable destinée pour cet humble maillot, né dans l’anonymat de la servitude militaire et devenu un basique de la garde-robe civile, avant d’être adopté par la haute couture. Messager des désirs comme des idées de ses contemporains, il est le « porte-parole du moi », selon l’expression de Charlotte Brunel, auteur de « T-Shirt » (1), première histoire publiée à ce jour sur ce vêtement populaire. Ses ancêtres voguaient sur les mers, où ils tenaient lieu de sous-vêtements – en flanelle de coton ou en laine – aux marines américains, puis à ceux de la Royal Navy. En 1914, il est au fond des tranchées, en maille de coton, à manches courtes et col rond. Après la guerre, le sport adopte le dessous comme dessus et l’expose à la vue de tous. Mais il attendra 1941 pour recevoir son nom de baptême: cette année-là, le catalogue de l’armée américaine vante une nouveauté en 100% coton, l' »army style T-shirt », à col rond, en forme de T et de couleur kaki, à porter sans chemise. Il deviendra vite le symbole de la victoire alliée.

Porté avec un jean dans les usines ou les chantiers, il reste l’uniforme du prolétariat américain jusqu’au jour où la jeunesse rebelle l’accapare. L’ère de la starisation commence: Marlon Brando l’arbore déchiré dans les scènes d' »Un tramway nommé Désir », James Dean le soude à tout jamais à son blouson rouge dans « La Fureur de vivre ». « Dès lors, le tee-shirt passe le message, décrypte Charlotte Brunel. Et devient le support idéal de toutes les revendications sociales, politiques, artistiques: c’est en le portant que Jean Seberg vend le « New York Herald Tribune » avec la Nouvelle Vague dans « A bout de souffle » et que toute une génération célèbre le Che; les gays s’en emparent et plébiscitent ses modèles étriqués. Jean Paul Gaultier, très engagé dans le « coming out » des années 1980, fait du tee-shirt marin son emblème personnel. Après le 11 septembre, c’est revêtus de ces quelques grammes de coton aux couleurs de leur drapeau national que les Américains défilent pour leur pays.

Imperturbable, la version classique, toujours en coton blanc, manches courtes, et col rond, demeure un basique de la garde-robe. A quelques variantes près: ample et plutôt masculin chez Levi’s ou taille fillette pour grande nana, signé Petit Bateau. Pour autant, très tôt, il intrigue la haute couture. Christian Dior, en 1962, s’amuse à le détourner en velours rayé. « C’est sans doute le premier tee-shirt couture », avance Charlotte Brunel. Suivra Nina Ricci, qui le décline, pour le soir, en crêpe brodé de perles. Jacques Heim le travaille en lamé… Yves Saint Laurent l’imagine simplissime, bleu et à manches longues, avec son nom inscrit en lettres blanches, puis, plus sophistiqué, en jersey de soie. Les années 1970 l’ont rendu indispensable et il évolue au gré des tendances. Depuis deux ou trois saisons, il « adopte un style complètement décalé, à l’image de la mode actuelle », explique Nathalie Baloun, responsable concept et style femme au Printemps, à Paris. L’an dernier, sa force était toujours dans son message: avec son « J’adore Dior », John Galliano tapait dans le mille, à tel point que le modèle appartient désormais à la collection permanente de la griffe. De saison en saison, il suit l’inspiration du créateur et débarquera, l’hiver prochain, en imprimé pied-de-poule. Cet été, John Galliano invente le tee-shirt « corset » et lui donne une forme asymétrique et moulante, en coton rebrodé de tulle et de satin. Chanel le propose en éponge, version débardeur. La marque Printemps lui ajoute un lien coulissant et Yazbukey des manches chauve-souris…

Sous l’impulsion des créateurs, griffes et petites marques « ont transformé le tee-shirt en accessoire de mode », assure Sandy Bontout, chargée des achats du labo « accessoires des créateurs » aux Galeries Lafayette, à Paris.  » On peut le porter à sa guise sur ou sous une chemise, le marier avec la tenue ou le démarquer du look. Et, en plus, il n’est pas cher, contrairement au reste du prêt-à-porter des créateurs: de 45 à 136 euros. » Même si on en a déjà plus de dix dans son armoire, on craquerait bien pour un petit onzième non?

(1) « T-Shirt », par Charlotte Brunel, éditions Assouline, 400 pages.

Catherine Maliszewski

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