Aujourd’hui, les pratiques des dilettantes ont envahi Internet. L’amateur est devenu dans notre société une voix incontournable qui a transformé les domaines de la création artistique et de la politique. Portrait de ces experts en passion.

Cent millions de blogs ont été créés dans le monde, autant de vidéos sont visibles sur YouTube et un quart des internautes a déjà signé une pétition en ligne. Dans l’Hexagone, Wikipédia concentre un million d’articles et plus de la moitié des utilisateurs de PC se sont livrés à une activité d’autoproduction créative, rapporte Olivier Donnat dans son enquête sur Les Pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, parue en 2009 (Editions La Découverte). On est loin de l’époque des fanzines et des radios libres bricolées dans les cuisines…

Sortie de sa marginalité grâce à l’informatique, la production des non-professionnels n’aura jamais été aussi prolixe et accessible, faisant de l’amateur un acteur indispensable de notre société. Une petite révolution des idées et des pratiques qu’analyse le sociologue Patrice Flichy dans un livre au titre évocateur, Le Sacre de l’amateur, qui vient de paraître (Seuil/République des idées). Bien sûr, les passions du dimanche n’ont pas attendu Internet pour se développer puisqu’elles ont accompagné l’industrialisation galopante de la seconde moitié du xixe siècle. À cette époque, les peintres ou les encyclopédistes dilettantes (ridiculisés par Flaubert dans Bouvard et Pécuchet) se recrutent essentiellement dans la bourgeoisie, la seule à disposer du temps nécessaire à l’exercice de ces loisirs qui ne cesseront de se démocratiser.

ON RECYCLE ET ON TRANSMET

Avec l’Internet de masse, l’amateur aura trouvé, en ce début de xxie siècle, son royaume. Comment expliquer cette montée en puissance ?  » Elle se situe au confluent de plusieurs transformations sociales. L’amateurisme s’inscrit dans le mouvement de l’individualisme contemporain en ce qu’il reflète la volonté de l’individu de construire son identité. Et puis, la révolution numérique a permis à chacun de disposer d’un outil intellectuel à sa portée « , explique le directeur de la revue Réseaux.

Devenu plus autonome, le nouvel amateur peut réaliser un clip et le poster sur YouTube, écrire son blog mais il est aussi celui qui commente l’actualité politique…  » En sociologie, on a l’habitude de distinguer l’amateur qui crée des contenus et l’amateur de, le connaisseur. Sur Internet, ces deux aspects s’articulent souvent « , poursuit- il. On assiste aussi à l’apparition d’une nouvelle figure, le  » pro-am « , qui développe sa passion selon des standards de plus en plus professionnels et vient défier l’expert en son domaine, à l’image des sites de journalisme citoyen comme Agoravox.

Au risque du nivellement des informations et de la vérité ? En 2008, dans son livre à charge, intitulé Le Culte de l’amateur, l’Américain Andrew Keen avait alerté l’opinion publique sur les dangers de cette idéologie démocratique prônée par Internet.  » Personne n’envisage sérieusement que la télé va disparaître et que les blogueurs vont remplacer les journalistes. Ce n’est pas parce que tout le monde dispose du même instrument que cela va uniformiser la culture « , tempère Patrice Flichy. Au contraire. Les amateurs permettent de médiatiser ces champs les moins institutionnels, de partager ses passions ordinaires qui embrassent la culture populaire (les mangas, le kitsch), les savoirs pratiques ou la contestation politique. Et transforment par leur action les domaines qu’ils investissent. Qu’il s’agisse de l’écriture avec le blog, du partage d’informations, de la manière de créer.

C’est le cas du projet lancé par le site www.aanonymes.org. Après avoir remis à l’honneur la photographie anonyme dans une exposition online, Romaric Tisserand vient de lancer un appel de fonds auprès des internautes pour publier le catalogue.  » Devenez les producteurs engagés de votre culture « , son slogan fait écho aux sites de production de musique et de cinéma qui ne cessent de se développer. Car, à l’heure où la profusion des biens culturels et la crise ont bouché l’accès aux réseaux classiques, les amateurs n’en finissent pas de tracer des chemins de traverse pour exister. Une nouvelle façon de penser la culture est née.

PAR CHARLOTTE BRUNEL

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