Il peut être triste, voire mauvais… mais c’est sans intérêt. À Villers-la-Ville, 130 joyeux drilles ont inventé le seul vin qui vaille, celui qui rassemble. Un nectar précieux à l’heure de l’individualisme effréné.

« Regardez-moi cette merveille ! Un véritable clos du bonheur. Si je devais utiliser la langue des joailliers, je parlerais de « serti clos », comme quand un diamant est entouré d’une feuille de métal « , s’extasie Christophe Waterkeyn devant les 20 ares du vignoble situé dans l’enceinte des ruines de l’abbaye de Villers-la-Ville. Difficile de ne pas être séduit par la comparaison : tout comme des pierres précieuses, 700 pieds de vigne reposent en paix à l’ombre d’une muraille séculaire. Il n’y a pas que la douceur de vivre inhérente à cet havre en terrasses qui émeuve le maître de chai. Il poursuit avec une vraie gourmandise dans la voix :  » Cet endroit possède la densité de passion au mètre carré la plus élevée au monde.  » Il faut avouer qu’il n’est pas si courant de voir des hommes et des femmes consacrer leur temps libre à une activité qui ne soit ni lucrative, ni consumériste.  » Sur 130 membres, nous en comptons 55 qui sont actifs. Ils sont présents dix-huit samedis par an pour tailler, débroussailler, traiter… Bref, pour soigner la vigne aux petits oignons. Ce groupe est magique, c’est du bien-être en intraveineuse qui va directement au coeur « , commente celui qui, depuis le début, assure la vinification du Clos de Villers-La-Vigne.

À L’UNISSON

Ce n’est pas sans une certaine envie que l’on regarde s’agiter l’équipe  » viti  » – pour viticulture, par opposition au team  » vini  » qui se charge de la vinification. Il flotte ici un doux parfum d’utopie orientée plein sud.  » Il y a toutes sortes de profils, de la graphiste au boucher, en passant par le retraité, l’avocat, le prothésiste dentaire, le couple venu d’Anvers… De 28 à 75 ans, chacun met ses compétences au service du projet. On a, par exemple, un ingénieur agronome qui a dressé un profil précis de la biodiversité sur le site, ce qui nous a permis de répertorier 180 plantes différentes. Un autre s’est chargé de mesurer le PH du sol. Tout cela afin d’appréhender au mieux le terroir « , renchérit Christophe Waterkeyn. Ce rêve de fraternité réalisé – du moins pour quelques heures – est encore plus palpable au moment de l’apéritif qui clôt chaque séance de travail au grand air. Quelques olives, des grignotages et, bien sûr, un verre de vin.  » J’ai un rosé d’Auvergne, les p’tits gars « , lance un membre.  » D’habitude, on boit le nôtre, mais 2012 a été tellement mauvais qu’on n’a rien pu récolter « , s’excuse Jean, le doyen de l’assemblée. Le bonheur serait-il dans la vigne ? Oui et, en plus, il s’écoute, car la joyeuse bande chante.  » La seule chorale de vignerons belges « , précise une quadragénaire avec un bouquet de lilas fraîchement cueilli dans les mains. Le répertoire ? Des chansons à boire du Moyen Âge et de la Renaissance où il est question de  » maintenir sa table pleine de cervelas et de jambon « . Peut-être que celles-ci troublent la quiétude du site, mais beaucoup moins le coeur de l’hôte d’une matinée face à ce plaisir contagieux…

HISTOIRE GLORIEUSE

Etablie dans un chai flambant neuf situé juste à côté de la vigne, La Confrérie du Vignoble de l’Abbaye de Villers en Brabant – c’est le nom officiel de l’ASBL – n’est pas le caprice de quelques boy-scouts désoeuvrés. Outre la mission de pédagogie qu’ils se sont fixés et la volonté d’être une vitrine pour le patrimoine que représente l’abbaye, les membres marchent sur les pas d’une histoire glorieuse : celle de la vigne en Belgique. Si celle-ci est antérieure à l’arrivée des moines cisterciens, c’est bien grâce à ces derniers qu’elle a pris un essor significatif. Tout comme les célèbres représentants du clergé séculier, l’association fait fructifier la vigne avec beaucoup de minutie, conscient de toucher là un patrimoine qui n’est pas seulement matériel.

 » C’est une histoire que nous avons écrite sur le long terme. Tout a commencé en 1990 quand Richard Kermer, le fondateur, a eu vent d’un vignoble qui se trouvait sur le site. Il a fallu six ans pour nettoyer et enlever les souches de notre clos. Le premier millésime date de 2000, il y a eu… 19 bouteilles. En 2005, nous avons obtenu 750 flacons. Mais rien n’est jamais acquis puisque 2008 et 2012 n’ont rien donné. Nous faisons en sorte de nous adapter au mieux à la réalité de ce terroir septentrional. Par exemple, nous avons choisi des cépages plus résistants comme le Phoenix pour le blanc et le Regent pour le rouge. Avec ce dernier, nous avons obtenu une médaille d’argent de la deuxième plus belle expression de ce cépage parmi 250 candidats des quatre coins de l’Europe « , se félicite Christophe Waterkeyn. L’absence de circuit commercial et de toute notion de profit est, en plus du lien entre les membres, l’autre grande réussite de cette vigne pas comme les autres.  » On peut jouer à être vigneron pour de vrai « , explique Marc De Bock, le chef de culture qui, en accord avec la communauté, applique ici les principes de l’agriculture bio. Alléché par ce beau récit ? Chaque premier samedi du mois, entre avril et octobre, l’ASBL organise une visite. Ultime petit bonheur pour la route : on peut déguster un verre, fruité et gouleyant, de ce vin qui rassemble. Gare à la piqûre…

www.villers-la-vigne.be

PAR MICHEL VERLINDEN / PHOTOS : FRÉDÉRIC RAEVENS

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