La Flandre sera-t-elle l’Espagne de demain ? La jeune génération de cuisiniers au nord du pays affiche en effet un style totalement innovant. Saveurs et techniques révolutionnaires sont au rendez-vous. Weekend vous livre le guide d’un exotisme tout proche.

En Flandre, la marmite gastronomique est en pleine ébullition. Une nouvelle génération de jeunes chefs flamands, affichant une moyenne d’âge de 30 ans à peine, entend en effet s’inscrire aujourd’hui dans le grand mouvement de modernisation de la cuisine contemporaine. Gastronomie moléculaire et techniques d’avant-garde n’ont plus de secrets pour la douzaine de chefs que Weekend a dénichés entre Furnes et Mol.

La plupart de ces chefs qui se réclament du creuset espagnol ont d’ailleurs assisté aux grands congrès de cuisine de San Sebastian (Lo Mejor de la Gastronomia) ou de Madrid (Madrid Fusion). Ceux-ci entretiennent, par ailleurs, un contact permanent avec leurs voisins néerlandais, qui, depuis peu, multiplient les étoiles au Michelin.

Chacun de ces chefs affirme, bien entendu, sa personnalité et met en pratique avec plus ou moins de ferveur les nouvelles techniques en usant de nouveaux ingrédients. Certains ont même déjà pris leurs distances et sans pour autant renier les nouveaux  » instruments  » mis à leur disposition, s’attachent à l’essentiel, à savoir le produit, qu’ils traitent avec respect, en s’appuyant malgré tout sur des techniques d’avant-garde mais toutefois accommodées à leur sauce.

Concrétisation du phénomène actuel : l’Institut culinaire flamand, constituera prochainement une nouvelle structure qui prodiguera aux futurs cuisiniers une formation davantage dans l’air du temps.

Weekend vous invite à découvrir cette nouvelle vague pleine d’avenir.

1. Vincent Florizoone Furnes, Petit Cabaret

Sur le marché aux Pommes de Furnes, la menue bâtisse est à l’ombre de l’église Saint-Nicolas. Avant le service, on recouvre le sol d’un peu de sable mouillé  » comme autrefois dans les bistrots de la côte « . Sacré  » étoile montante de la gastronomie 2007 « , notre cuisinier, été comme hiver, à l’intérieur comme en terrasse, ne servira pas plus de 24 couverts à la fois. Mariant les accords étonnants (gambas façon crème brûlée, foie gras, banane et café) et tout aussi fidèle à la tradition (pigeonneau garniture Clamart), Vincent vous étonnera par la générosité de ses menus, pleins de petites surprises.

Le plat. Quoi de plus naturel lorsqu’on se situe dans les Polders que de proposer une glace aux huîtres ? Servie dans une coquille, cette quenelle de glace vous emporte dans une belle aventure iodée.

2. Roger van Damme Anvers, Het Gebaar

Original : le restaurant de Roger van Damme est situé en plein c£ur du jardin botanique d’ Anvers dans un pavillon cossu et confortablement décoré. A la tête de ce Lunch Lounge, restaurant de jour, le chef se présente comme  » n’étant pas cuisinier mais bien pâtissier « . C’est ainsi que l’on peut au salon de thé déguster de succulents desserts. Toutefois, la majorité de la clientèle vient ici déjeuner et goûter les spécialités maison, dont le très original club sandwich au filet d’Anvers. Natif de Sluis, le village frontalier du fameux 3-étoiles néerlandais Sergio Herman, Roger a beaucoup collaboré à la carte sucrée de cette star internationale. D’aurant plus que notre pâtissier est toujours à la pointe des nouvelles techniques qu’il utilise avec une rare délicatesse dans ses plats.

Le plat. Un dessert au chocolat, fraises des bois et petites pépites… d’olives noires. Elaborations savantes de différentes textures du chocolat qui vous procurent des sensations où la fraise des bois apporte une petite pointe d’acidité.

3. Angelo Rosseel Izegem, La Durée

Le Brugeois Geert Van Hecke est certainement celui qui a le plus influencé la nouvelle cuisine flamande ces dernières années. Nombre de ses seconds volent aujourd’hui de leurs propres ailes. C’est le cas de Angelo Rosseel qui a ouvert voici peu son restaurant, non loin de Roulers.

Le point le plus marquant de ce jeune chef c’est la manière dont il marie les saveurs, la modernité de l’exécution et l’élégance de la présentation. La maison est trop neuve que pour étayer les pronostics. Mais Angelo a beaucoup d’atouts.

Le plat. Une gelée à base de soja qui se marie avec le poisson, la salicorne et le chou marin. La composition fait délicatement appel à des références asiatiques. Le croquant de légumes réveille le palais à chaque bouchée.

4. Kristof Coppens Alost (Haaltert), Apriori

Cela fait dix ans maintenant que le restaurant de Kristof Coppens, au décor géométrique et dépouillé, est considéré comme l’une des adresses de référence en Flandre.

Privilégiant les mariages insolites, Kristof ne cesse de remettre en question son art culinaire, incorporant aujourd’hui les techniques d’avant-garde, avec une préférence pour les cuissons à basse température. Mais la netteté des saveurs reste le leitmotiv de ce cuisinier arrivé à sa pleine maturité.

Le plat. Un plat très architecturé, la signature de Kristof Coppens. Mais cette construction est osée, à l’image des saveurs qui se côtoient dans ce plat : la langoustine, le caviar, les asperges, le croquant parfumé au cumin. Côté technique, les gélifiants et émulsifiants sont aussi présents pour compléter la gamme des textures des produits, crus ou cuits.

5. Peter Cocquyt Brasschaat, Kasteel Withof

Avant d’ouvrir le luxueux Kasteel Withof voici deux ans, Peter Cocquyt était le bras droit de Peter Goossens (Hof Van Cleve), le plus grand cuisinier belge actuel. A 36 ans, le discret assistant est devenu l’une des valeurs sûres de la nouvelle cuisine flamande. On lui reconnaît, entre autres, un talent rare pour le food pairing intuitif (lire pages 32 à 34). Et une rare sensibilité.

Passionné de pédagogie, Peter Cocquyt est aussi l’une des pierres angulaires du futur Institut culinaire flamand.

Le plat. Une promenade en mer du Japon aux saveurs iodées garanties. Un vent frais souffle sur ce plat composé d’huîtres mariées à du concombre, du cresson alénois, du wasabi, du yaourt et un cocktail d’algues. Acidité rime ici avec fraîcheur.

6. Filip Claeys Bruges (Sint-Kruis), De Jonkman

Installé à Sint-Kruis depuis un an, Filip Claeys a d’abord travaillé chez deux 3-étoiles de la région : Karmeliet à Bruges et Oud Sluis aux Pays-Bas. Sa cuisine est essentiellement basée sur la fraîcheur, de l’entrée au dessert. Ceux-ci, terminent toujours le menu par une pointe d’acidité. Ainsi, en hiver ce seront les agrumes. Au printemps ou en été, la rhubarbe, ensuite plus tard dans la saison, la tomate… Filip Claeys est un cuisinier d’une immense sensibilité.

Le plat. Pour le thon cru et ses références japonisantes (la gelée de soja), Filip associe le goût électrique des boutons et des feuilles de Sichuan, le tout relevé d’un filet de citron.

7. Gert De Mangeleer Bruges (Sint-Michiels), Brasserie Hertog Jan

Associé au jeune sommelier Joachim Boudens, Gert De Mangeleer magnifie le produit. A cet effet, il simplifie ses recettes, affine les modes préparatoires et construit des plats où l’élégance prévaut. Installée dans un ancien café de quartier, la brasserie Hertog Jan s’offre un décor tout en retenue, un univers qui, lui aussi, va à l’essentiel.

Le plat.  » J’utilise de petits lobes de foie gras, d’abord marinés et aromatisés de sauce soja puis cuits à basse température, pour être enfin légèrement colorés. La fraise des bois intervient pour conforter la fraîcheur de cette préparation. Les parures du foie gras deviennent une crème qui farcit une cigarette de jus de fraise des bois.  »

8. Jason Blanckaert Gand, C-Jean

La petite salle du restaurant C-Jean vise davantage l’artisanat que la production de masse. Seules deux douzaines de convives peuvent s’asseoir sur les chaises préférées (Bertoia) du propriétaire des lieux : Filip Van Thuyne. Le menu, affiché sur de petits tableaux noirs, privilégie la fraîcheur des produits.

Cuisinier de formation, Filip a désiré l’apport de sang neuf dans sa maison. A cet effet, il a cédé ses fourneaux à Jason Blanckaert. Les plats annoncés à la carte semblent classiques, empreints de saveurs du sud. Mais détrompez-vous, les notes de modernité vous guettent à chaque bouchée.

Le plat. Une glace à la betterave rouge, du maquereau cuit à basse température, le tout agrémenté d’une ratatouille provençale et rafraîchi par le croquant de la ficoïde glaciale.

9. Tim Meuleneire & Wouter van Tichelen Stabroek, De Koopvaardij

Ils sont beaux-frères et très jeunes. Wouter, l’aîné, annonce à peine 24 ans. Camarades de classe à l’école hôtelière de Coxyde, Tim Meuleneire et Wouter van Tichelen ont fait leur apprentissages auprès de grands chefs, le premier à Monaco chez Alain Ducasse, le second à Bruges chez Geert Van Hecke (Karmeliet).

De Koopvaardij, ouvert depuis 1 an, affiche une cuisine encore  » brute de décoffrage « . Les saveurs y sont franches et fougueuses. Nul doute que ce duo va les conduire vers davantage de finesse, notamment dans l’utilisation des épices, leur passion.

Le plat. La tranche de foie gras  » Forêt-Noire  » utilise gélifiants et sucres (Isomalt). La force de ce plat est compensée par la compote de fruits rouges contenue dans la cigarette en Isomalt.

10. Kobe Desramaults Heuvelland (Dranouter), In de Wulf

Toute la richesse d’un plat de Kobe Desramaults, réside dans sa présentation. Belle, souvent picturale. Etoilé à 24 ans, ce surdoué est promis à un bel avenir. Parfaitement en phase avec son temps, il élabore une partie de ses nouveaux plats avec l’appui scientifique de Bernard Lahousse (lire aussi pages 32 à 34).

Le restaurant In de Wulf propose un décor lumineux et spacieux, là où une ancienne étable de ferme fut transformée en café par les parents du chef voici un quart de siècle. Formé à Barcelone chez Carles Abellan (le célèbre restaurant de tapas Comerç 24), Kobe a aussi subi l’influence d’un de ses maîtres, Sergio Herman (Oud Sluis).

Le plat. De la coquille Saint-Jacques et de la mimolette sous de différentes textures. Ceci accordé avec les saveurs des microlégumes, de l’asperge et du jambon ibérique.

11. Dominique Persoone Bruges, The Chocolate Line

C’est en 2002 que Dominique Persoone et sa boutique atelier (The Chocolate Line) s’est révélé au grand public. Dominique est en effet intervenu dans une £uvre  » life  » de Spencer Tunick, l’artiste photographe qui met en scène des centaines de corps nus. Le rôle attribué à Dominique était de tracer des volutes de chocolat sur cette étendue de nudité.

Bercé par la movida culinaire espagnole, Dominique signe par ailleurs d’incroyables pralines d’auteur, à l’image de ce caramel au vinaigre de cabernet-sauvignon ou de ce chocolat noir du Pérou fourré de deux huiles d’olive différentes. Le matin, goûtez sa praline à base de fève de cacao fumée, herbes de Provence et romarin.

Le plat. Lorsqu’ils passent par Bruges, tous ses amis chefs viennent au Chocolate Line chercher leur gourmandise préférée, à savoir l’interprétation personnelle que Dominique réalise d’une des friandises les plus prisées des jeunes : le mélo- cake.

12. Viki Geunes Mol, ‘t Zilte

Viki Geunes est l’un des meilleurs représentants de cette nouvelle cuisine arrivée tout droit d’Espagne. Etoilé Michelin depuis trois ans, il est venu à la cuisine par passion, après des études d’acousticien. Ses assiettes sont marquées par une recherche quasi architecturale des goûts, proposant accords et contrastes de saveurs à assembler bouchée après bouchée.

Le plat. Une sauce à base d’eau de tomate intervient avec la langoustine. Cette eau est figée au xanthane, un épaississant qui confère une certaine viscosité. La tomate sera d’autant plus présente.

Jean-Pierre Gabriel

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content