Devenu une attraction touristique importante pour l’Espagne, le monde du vin diversifie ses atours. Avec, entre autres stars, Frank Gehry, Santiago Calatrava, Zaha Hadid, la Rioja fait aujourd’hui le pari de l’architecture. Flamboyant !

Les volutes fabuleuses de Frank Gehry

Une véritable féerie ultracontemporaine ! Dans notre numéro du 22 septembre dernier, nous vous présentions, en exclusivité, le tout nouvel hôtel Marqués de Riscal. Conçu par le grand architecte américain Frank Gehry, cet établissement de luxe – il abrite aussi une cave high-tech et un centre de vinothérapie® Caudalie – semble planer sur les vignes d’Elciego, dans la Rioja Alavesa, au nord de l’Espagne.  » Elciego se situe à une heure d’autoroute de Bilbao et du musée Guggenheim, seulement, soulignent les propriétaires du vignoble Marqués de Riscal. Proposer à Gehry, qui a signé le superbe Guggenheim, d’exprimer son talent à la campagne, après avoir ainsi dynamisé la capitale basque, nous semblait tout naturel. De plus, cela nous permet aujourd’hui de séduire une clientèle nord-américaine.  »

Visible de loin, le fabuleux opus de Gehry ne constitue pas un cas isolé dans cette Rioja célèbre pour ses vins rouges de caractère. Les plus grands architectes ont mis tout leur art au service du vin. Visites guidées.

La sinusoïde onirique de Santiago Calatrava

A Laguardia, village voisin d’Elciego, avec pour toile de fond un relief montagneux sauvage et à l’abri des regards, l’architecte espagnol Santiago Calatrava a construit pour Ysios une des plus belles installations de vinification et de vieillissement du vin qui soient. L’auteur, entre autres, de la nouvelle gare des Guillemins, à Liège, de la Cité des sciences de Valence ou du viaduc de Millau, en France, exalte ici toute la poésie de la vigne et du vin. Reproduisant l’alignement des vignes, la toiture en aluminium naturel décrit une sinusoïde sur les 196 mètres de longueur que compte l’édifice. La façade, elle, est couverte d’un bardage en bois de cèdre qui fait référence au ventre rebondi des barriques verticales des bodegas traditionnelles. Fonctionnel, le petit plan d’eau, dont les rives rappellent les mosaïques de Gaudi au parc Güell, à Barcelone, apporte, sous ce climat torride, de la fraîcheur… et offre un joli tableau. Les arrondis de la toiture se reflètent en effet dans ce miroir naturel et forment ainsi la face complète d’une barrique bordelaise.

Les rondeurs époustouflantes de Philippe Mazières

Ici aussi, la barrique en bois sert de dénominateur commun à la Bodega Viña Real de l’entreprise viticole Cvne. Sur la route qui mène à Logroño, un gigantesque tonneau s’impose dans le paysage, enchâssé dans une colline. L’auteur du projet, l’architecte français Philippe Mazières, a ainsi parfaitement répondu aux exigences de la vinification. L’édifice circulaire compte deux niveaux. Les caves, au sous-sol, sont consacrées au vieillissement des vins en barriques bordelaises. Au rez-de-chaussée, grâce à la forme arrondie du bâtiment, toutes les cuves sont disposées en cercle, ce qui permet de limiter au maximum les déplacements de matières – raisin ou jus fermenté – opérés par une grue centrale. A noter aussi : la  » barrique  » de Philippe Mazières est reliée à un tunnel creusé dans la roche, qui abrite les centaines de milliers de bouteilles.

La théâtralité souterraine d’Ignacio Quemada

Poursuivant la route vers le sud, jusqu’à Logroño, la capitale de la Rioja, il n’est pas aisé d’accéder à la bodega Juan Alcorta, tant celle-ci se veut discrète. Propriété du groupe Domecq, ces installations ont été dessinées par l’architecte espagnol Ignacio Quemada. Seuls deux petits édifices administratifs et de réception sortent de terre. Tout le reste est enterré profondément. On peut loger ici 70 000 barriques de 225 l et 6 millions de bouteilles. Quant à la capacité de stockage des cuves en inox, elle dépasse 10 millions de litres. De quoi emmagasiner les vendanges de 1900 ha de vignes… Ignacio Quemada a su insuffler une vraie théâtralité à ce monde souterrain, jusque dans les moindres détails, à l’image de cette salle de dégustation  » lunaire  » entièrement réalisée en Corian® blanc.

La cathédrale des temps modernes d’Iñaki Aspiazu

Réserver toute l’activité vinicole en sous-sol, c’est également la démarche qu’ont adoptée l’architecte basque Iñaki Aspiazu et le promoteur viticulteur Jesús Baigorri, en construisant, à Samaniego, les Bodegas Baigorri. Seule partie visible, une bâtisse en verre accueille le visiteur.  » Notre point de départ est l’exploitation des lois de la gravité, explique Iñaki Aspiazu, un des moyens les plus économiques de faire circuler le vin.  » Une méthode de travail dont les experts reconnaissent qu’elle respecte au mieux la qualité du produit. Les Bodegas Baigorri ont ainsi creusé une gigantesque tranchée verticale à flanc de colline. A l’intérieur, le béton et l’inox se marient harmonieusement ; l’ensemble évoquant une cathédrale des temps modernes. Les barriques sont aux étages supérieurs et le vin est embouteillé au niveau le plus bas.

L’écrin-joyau de Zaha Hadid

Poursuivant vers le nord, en direction de Bilbao, on atteint Haro, l’autre grande cité du vin de Rioja, pour découvrir l’éblouissant opus de Zaha Hadid, lauréate, en 2004, du Pritzker Prize, la plus prestigieuse récompense en architecture. Le pavillon d’accueil de la Bodega López de Heredia fut d’abord exposé au salon Alimentaria de Barcelone en 2001, avant d’être définitivement ancré à l’avant des bâtiments construits par l’arrière-grand-père et le grand-père de Maria José López de Heredia, l’actuelle gérante.

La première demande formulée à l’architecte anglo-iranienne fut particulièrement étonnante : imaginer une architecture destinée à présenter au public le pavillon en bois qui avait marqué la participation de la bodega familiale à l’exposition universelle de Bruxelles de 1910. Passionnée d’architecture, Maria-José López de Heredia avait été séduite par les travaux de Zaha Hadid, dont la Vitra Fire Station à Weil am Rhein, en Allemagne.  » Je me suis directement sentie concernée par une de ses interviews, poursuit la maîtresse des lieux. Elle y affirmait que le développement d’une architecture contemporaine passait par l’appui de personnes privées.  »

La forme en coupe de l’édifice évoque une carafe. En réalité, la structure du bâtiment évolue, au fil des 14 sections qui le composent depuis un quadrilatère à l’arrière – là où est intégré le pavillon en bois Art nouveau -, jusqu’à l’entrée. Le joyau a donc trouvé son écrin, devenu joyau à son tour. Pour mieux l’apprécier, il faut attendre la tombée de la nuit, lorsque l’intérieur est illuminé. Au sol, de discrètes petites lampes semblent tracer un écheveau de routes, celles qui relient les caves historiques au nouveau pavillon, assurant ainsi, selon les propos de Zaha Hadid  » la transmission du savoir et de l’histoire de génération en génération « .

Carnet d’adresses en page 120.

Reportage : Jean-Pierre Gabriel

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