Consacrant trente années de mode passionnée, le livre  » Olivier Strelli, passion et métissage  » de la jeune Elodie de Sélys dresse le portrait attachant du plus célèbre des stylistes belges. En voici les bonnes feuilles, sélectionnées par Weekend.

La rencontre

L’heure est au bouleversement. Le 4 novembre 1968, alors que Nissim (NDLR : le vrai nom d’Olivier Strelli est Nissim Israël) est de sortie au Revolution Club (NDLR : à Londres), une boîte où il a ses habitudes et qui appartient aux Beatles, il tombe par hasard sur la magnifique Patsy Benatar, rencontrée quelque temps auparavant lors d’un mariage. Le regard troublant et les longs cheveux marron de la parisienne ne l’avaient pas laissé indemne, mais celle-ci, étudiante appliquée en philo à Nanterre et engagée dans les mouvements estudiantins du moment, lui avait fait comprendre qu’elle n’était pas intéressée. Pourtant, ce soir-là, il décide de tenter le tout pour le tout. C’est d’ailleurs son audace et sa détermination qui séduiront Patsy. Nissim s’en souvient comme si c’était hier : « J’avais compris tout de suite que c’était elle. Elle avait vingt ans. Je l’ai embrassée sur la reprise de Joe Cocker de With a Little Help From My Friends. Je lui ai dit : « Je sais comment tout cela va se terminer, ou plutôt que cela ne va pas se terminer. » Elle m’a regardée comme si j’étais dingue. On s’est mariés moins d’un an plus tardà Je le savais. » Aujourd’hui encore, après trente-sept ans de mariage, il est fier de sa conquête comme un jeune homme. « Le 4 novembre 1968 », cette date fuse instinctivement lorsque son visage s’éclaire pour parler de Patsy. Pour lui, c’est véritablement le jour décisif, celui à partir duquel on dira de tout le reste : « C’était avant. » Rares sont les interviews où l’on ne peut lire : « La rencontre de ma femme est la meilleure chose qui me soit arrivée dans la vie. » C’était un lundi. Ce jour-là, Nissim Israël s’est rapproché encore un peu d’Olivier Strelli, tant la présence et le soutien de sa femme seront décisifs dans le choix puis le développement de sa vie professionnelle. (à)

Le nom

Olivier Strelli. Cela résonne d’ici et d’ailleurs, comme son créateur. Le choix d’un nom pour une marque est un acte dont la force dépasse parfois l’effet escompté au départ. Ce fut le cas pour Strelli. « À l’époque, les griffes qui sortaient s’appelaient Théorème, Virgule, Initialà Des noms de choses. Je trouvais cela trop abstrait et manquant de personnalité. » Ou plutôt d’une personnalité, une incarnation. Nissim savait qu’il pourrait remplir ce rôle. Rares sont les journalistes qui n’ont pas conté dans leurs pages la naissance d’Olivier Strelli. « Ma femme avait un grand-père anglais et musicien qui s’appelait Stiller. Son nom d’artiste était simplement un anagramme, Strelli. On trouvait ça joli. Et le prénom masculin que je chérissais le plus était évidemment Olivier, celui de mon fils. Trois jours plus tard, Jean Courboin, un ami, m’a dessiné une griffe toute simple et on a foncé. » Mais en interrogeant Patsy, on apprend que le grand-père en question n’était autre que le frère de Mauritz Stiller, le réalisateur anglo-suédois qui a découvert Greta Garbo. Et c’est ce dernier qui lui avait demandé de changer de patronyme, le considérant comme un compositeur raté. Charmant retournement de situation. Appeler une marque Israël, il y a trente ans, était encore impensable. Mais lui donner un nom belge était tout aussi inimaginable à l’époque, et du reste Nissim n’en avait ni l’origine ni la nationalité. (à)

La couleur

Sans philosopher sur la question ou attribuer à sa collection une dimension intellectuelle quelconque, sans véritable volonté de choquer ou de lancer une tendance, Nissim a osé pour les hommes des chemises de couleur vert pomme, rouille, paille ou corail. Instinctivement. Il imprime simplement sur le tissu ce que ses pupilles ont enregistré durant tant d’années. Or il se trouve, et on le voit depuis le départ, que son flair, aussi instinctif soit-il, est une arme commerciale redoutable. Ses chemises font l’unanimité. Nissim est débordé mais déjà, pris à son propre jeu, il se met à rêver de silhouettes complètes. « Je sentais que c’était le moment, raconte le futur spécialiste du total-look. Je voulais aller plus loin, et puis le coup de la surchemise c’était bien mais il fallait que je trouve autre chose, tout le monde en faisait ! J’avais confiance : en l’équipe, en mes fournisseurs, en mes façonniers, en moi. » (à)

L’accélération

Patsy ne travaille pas encore avec Nissim. Mais elle l’a accompagné (NDLR : au salon SEHM de Paris) pour faire l’accueil. « Je m’en souviendrai toute ma vie, raconte-t-elle. Un client s’est approché de moi et m’a dit qu’il voulait passer une commande. J’ai été chercher un bloc-notes et là il m’a dit « Trois mille chemises ». Le carnet m’est tombé des mains. J’ai appelé Nissim au secours. » C’est à ce moment précis que l’aventure Strelli démarre réellement. Une minute qui, près de trente ans plus tard, semble dater d’hier. Les Galeries Lafayette, mais aussi Bloomingdale’s, Harrods, Saks Fifth Avenue, Harvey Nichols et d’autres établissements plus ou moins prestigieux se pressent dans les neuf mètres carrés pour commander la désormais célèbre surchemise. « On n’avait pas du tout les moyens de produire cela, poursuit Patsy. C’était le stress ! Nos parents auraient pu nous aider, mais on voulait leur prouver qu’on y arriverait seuls, et qu’on n’était pas fous. Il a fallu engager du personnel, aller voir les banquesà » « C’était hallucinant, se souvient Nissim. C’était une poussée d’adrénaline à la fois angoissante et terriblement grisante. On a su que ça allait marcher. On avait trente ans, un avenir radieux qui s’ouvrait devant nous, on y croyait dur comme fer. » (à)

Les célébrités

La situation de la boutique femme, place de la Garonne (NDLR : à Saint-Tropez), dans le triangle d’or formé par Dolce & Gabbana, Louis Vuitton et Tod’s, a souvent été courtisée par Bulgari ou Saint-Laurent, mais Strelli a toujours résisté. C’est ainsi qu’on vit tour à tour Arielle Dombasle, Ronaldo, Eddie Murphy, Steevie Wonder et autres Paris Hilton, Rod Stewart et même, fierté suprême, John Galliano, se balader devant les objectifs des paparazzi locaux avec des sacs estampillés d’un nom bien connu par icià Nissim aime rencontrer ces gens connus qui ont reconnu son talent, et cultiver parfois de véritables amitiés. Lorsque l’icône blonde de sa jeunesse aux célèbres initiales (NDLR : Brigitte Bardot) l’appelle « mon ami », il croit défaillir. Aujourd’hui, cette amitié est entachée par la direction politique de l’actrice et les propos qu’on lui connaît. Mais il compte parmi les plus fidèles Pierre Arditi ou Edouard Molinaro, avec qui il ne fait pas qu’échanger des invitations, ils sont là aussi dans les moments difficiles. (à) »Le côté people ne me déplaît pas, assure Nissim. Pas pour la frime, mais pour la rencontre avec des gens qui ont souvent un parcours artistique passionnant, des choses à raconter. Les croiser pour leur serrer la main devant les photographes ou leur demander un autographe ne m’intéresse pas. Une vraie rencontre, ça, oui. » Dans les boutiques bruxelloises, on a plus de chances de croiser les membres de la famille royale, mais aussi Benoît Poelvoorde ou Philippe Geluck. Nissim apprécie toutes ces formes de reconnaissance, qu’elles proviennent d’une altesse royale ou du nouveau trublion du cinéma francophone. Toutes ces personnalités, belges et étrangères, ont fait, elles aussi, les années Strelli. « Mais, souvent, voir une jolie fille passer dans la rue habillée en Strelli me procure le même sentiment », ajoute-t-il presque timidement. (à)

Les Stones

Quelques jours plus tard, un jour béni de 1997, le téléphone sonne au bureau parisien d’Olivier Strelli. Ce n’est qu’au second coup de fil et au fax de confirmation qu’il commence à comprendre ce qui lui arrive. C’est pourtant vrai : Mick Jagger a flashé sur un très long manteau pourpre en velours, et veut voir d’autres pièces pour sa tournée mondiale « Bridges to Babylon ». Le lendemain, il n’a pas rêvé, c’est toujours vrai. Et le surlendemain aussi. Ainsi commence l’aventure des Stones, l’apogée médiatique d’Olivier Strelli. Jacky Franco (NDLR : le bras droit d’Olivier Strelli), fan presque depuis sa naissance, est au bord de l’apoplexie. Jagger finit par choisir le fameux manteau et un autre plus court imprimé tigré, avec les pantalons assortis, tandis que son guitariste Ron Wood a préféré une chemise transparente et une veste en viscose avec un fil couvert de cellophane 4. « C’était déjà une période très forte, raconte Nissim, mais alors là ce fut la folie. Mick Jagger est quelqu’un de très instruit, il parle français avec un petit accent. J’étais impressionné par son visage, creusé, buriné par la vie qu’il a menée. Lorsqu’ils sont venus à Bruxelles, je suis allé les voir dans leur hôtel. C’était aussi l’époque du Mondial, on a pratiquement joué au foot dans les couloirs ! » On a le sentiment qu’aujourd’hui encore, il faut lui confirmer que c’était bel et bien vrai. (à)

Le carnet

Un outil indispensable : le petit carnet qu’il a toujours sur lui, même en vacances, et où il colle et dessine tout ce qui lui passe par la tête, ce qu’il a vu ou entendu. Des croquis, des détails, beaucoup de mots aussi. Il avoue avoir durant toutes ces années attrapé des tics, des trucs, des automatismes dans sa façon de mener une collection, des formes ou des pièces dont il sait qu’elles marcheront systématiquement. Mais tout le reste se fait au feeling. « Je ne dessine pas en me disant « aujourd’hui je vais faire quatre jupes », cela ne marche pas comme ça. Je griffonne une jupe en partant de mon carnet sur lequel, par exemple, j’ai dessiné une forme de fer forgé ou même une roue de voiture qui m’a plu. Je pars là-dessus et parfois, en fin de compte, la jupe n’a plus rien à voir avec l’idée de départ ! Ce que j’aime dans la vie, c’est le chaos. Pas toujours constructif. Mais dans le chaos on trouve à positiver. » Symbole chaotique, à l’image du fameux petit carnet, le mur qui encadre son bureau, rempli de façon désordonnée et presque compulsive de photos et d’images, personnelles et privées, qu’il complète ou déplace au gré de ses envies. « Je n’aime pas les choses qui sont définies trop tôt à l’avance, j’aime bien les changements de dernière minute. » Et d’ajouter, sourire angélique : « Mon personnel a déjà failli devenir dingue quelques foisà » (à)

Le toucher

Nissim a une façon de toucher le tissu qui fascine, même Patsy après trente ans. Le ressenti épidermique est pour lui primordial, persuadé qu’il peut influencer le déroulement d’une journée. « On frôle son corps toute la journée, il faut que ce soit agréable, ou qu’on ne sente rien. La relation au vêtement est profondément intime. » On dirait que ses longues mains ont une sensibilité supérieure, une sorte de dextérité magique, comme s’il pouvait lire la matière en fermant les yeux. Il aime la froisser entre ses doigts, voir comment elle réagit, il communique avec elle. Celle avec laquelle il s’entend le mieux est le lin, dont il a été sacré « Maître » en 1999 : « Je n’ai jamais vu une fibre se chiffonner de manière aussi belle. D’ailleurs, je ne dis pas chiffonnage mais ride. On pense toujours que le lin n’est pas pratique parce qu’il se froisse vite. Or plus il est chiffonné, plus il devient souple et beau. »

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