Après avoir travaillé auprès d’Henry Kissinger et au sein du groupe Fiat, dont il est l’héritier, l’enfant terrible de la jet-set vient de lancer Italia Independent, son propre label. Récit d’une rencontre exclusive, à 200 à l’heure.

Les préjugés sont faits pour être balayés, les destins coulés dans l’or pour être refondus : il suffit de passer quelques heures aux côtés de Lapo Elkann pour en être convaincu. Rejeton d’une famille aussi célèbre en Italie que le sont les Kennedy aux Etats-Unis, le tout jeune businessman aurait en effet pu se montrer snob, blasé ou arrogant. Il opte au contraire pour la simplicité du tutoiement immédiat, et, à la poignée de main protocolaire, préfère la cordiale embrassade. Elégance, verbe haut, geste ample, dès le premier contact, les origines françaises et italiennes de Lapo transparaissent.  » Mais c’est plus complexe que ça, sourit-il. Je suis aussi juif et catholique, né à New York, ayant grandi au Brésil, à Paris et à Londres.  » Ce n’est donc pas un hasard si Lapo plaide avec fougue pour les brassages d’idées et les métissages.  » Aujourd’hui, la nouveauté émane de partout : de ce qui se passe dans la rue tout autant que de la recherche en aéronautique. Si on veut innover, il faut se montrer réceptif et ouvert à tout, en particulier au talent des autres. Créer demande de faire preuve d’humilité, et c’est justement ce qui manque à la mode aujourd’hui « , enchaîne-t-il sans ménagement pour un milieu où il compte pourtant pas mal d’amis – et une ex, la top Martina Stella – et qui le porte plutôt dans son c£ur. En effet, après avoir été repris par le magazine glamour américain Vanity Fair dans son classement des hommes les mieux habillés, c’est Suzy Menkes, fashion editor du Herald Tribune, qui lui consacrait pour la seconde fois un article d’envergure le 29 septembre dernier. Sans oublier la vingtaine de pages de l’édition de juin de Vogue Etats-Unis… Peu lui importe, Lapo a appris à se méfier des flatteries et aime afficher des positions tranchées :  » Beaucoup de créateurs pensent qu’ils sont capables de tout faire, moi j’estime au contraire que créer c’est amalgamer les talents, insiste-t-il. L’ère du one-man-show est révolue.  » Aussi, en lançant son propre business il y a quelques mois, Lapo a voulu faire de la mode autrement.

Coups de foudre

A nouveau, les clichés volent donc en éclats : non, Lapo Elkann n’est pas le dandy oisif que l’on pourrait imaginer. Il serait même plutôt du genre à ne pas tenir en place. Petit-fils de Gianni Agnelli, légendaire patron de Fiat, il aurait pu choisir de vivre de ses confortables rentes d’actionnaire principal. A 30 ans à peine, après avoir occupé des postes à responsabilité au sein des groupes Piaggio, Ferrari puis Maserati et s’être ensuite attelé à rajeunir l’image de Fiat, il a préféré faire cavalier seul. Il développe aujourd’hui sa propre société, Italia Independent (I-I) – un nom doublement symbolique -, qui édite une douzaine d’objets high-tech, entre mode et design. Aux lunettes en fibre de carbone lancées il y a quelques mois s’ajoutent aujourd’hui des chandeliers, des sacs waterproof en kevlar, des vestes en coton organique ou en Gore-Tex… Ou encore ce vase souple en toile plastifiée moulée à chaud, que la très sélecte boutique du MoMA (Museum of Modern Art), à New York, mettra prochainement en vente. On le trouvera aussi, avec les autres créations d’I-I, dans une séries d’enseignes parmi les plus hypes, un peu partout en Europe. Pour la Belgique, c’est Verso, à Anvers, qui distribuera la ligne.  » Plus qu’une ligne ou une collection, Italia Independent est une famille d’objets qui a pour ADN commun la volonté d’innover, rectifie Lapo Elkann. Je veux être à l’avant-garde dans tout, mais avec une tradition d’excellence : je fais du made in Italy 2.0. « 

Pour appuyer son propos, il m’invite à toucher sa veste de smoking – naturellement griffée I-I – alliant le côté futuriste du kevlar au savoir-faire des petits ateliers italiens, dans lesquels elle a été entièrement cousue main.  » J’aime que les gens manipulent les objets, qu’ils se les approprient. Je rejette l’idée du luxe comme une série de codes à adopter tels quels pour se donner une image.  » Pourtant, Lapo roule en Ferrari, fameux signe extérieur de richesse…  » C’est une voiture que j’adore, reconnaît-il sans se laisser désarçonner. Mais c’est du luxe tellement loin du mass market que c’en devient presque du sur-mesure. C’est élégant, plutôt que luxueux. « 

Coups de pouce

Par ailleurs, Lapo rappelle qu’il se déplace aussi souvent en scooter, parfois en bus, et, of course, en Fiat 500. Et s’il a participé au lancement de la réédition de cette voiture mythique, c’est avant tout  » parce que c’est une des seules à avoir eu une histoire d’amour avec l’Italie et même avec le monde « . Il souligne au passage que rouler dans cette petite cacahouète entièrement personnalisable est plus sexy que de faire vrombir le moteur d’une voiture d’exception.  » Pour moi, le vrai luxe, c’est de se sentir bien dans sa peau, reprend le businessman. Par exemple en portant un vêtement sophistiqué et innovant en s’y sentant bien 24 heures sur 24.  » On en revient à la fameuse veste de smoking, que Lapo a associée ce matin à un jeans noir, mais qu’il peut aussi enfiler  » pour faire du scooter ou pour aller à la cérémonie des oscars « . En toute logique, il l’endossera également le soir même, en même temps que son rôle de président du jury de notre Fashion Weekend ( lire aussi en pages 38 à 42). Une fonction qu’il a assumée avec l’énergie débordante qu’il injecte dans les projets qui lui tiennent à c£ur.  » Je suis ravi, parce que ça me donne l’occasion de voir le travail de jeunes créateurs, et j’aime ceux qui osent et se lancent avec passion dans ce qu’ils aiment, confirme- t-il. Le talent n’est pas une question d’âge : le CEO d’Italia Independent a 29 ans !  »

En ce moment, Lapo étudie d’ailleurs la possibilité de créer une école qui  » permettrait d’aider les jeunes qui ont des idées et à qui il manque parfois un tremplin « . Un projet ambitieux qu’il développerait bien évidemment en Italie. Car il a beau avoir roulé sa bosse aux quatre coins de la planète – il retourne à New York le lendemain, pour se rendre à Munich trois jours plus tard avant de faire un saut à Rome -, il considère l’Italie comme son pays. Mais s’il répète à l’envi qu’il l’adore, c’est parfois pour mieux en pointer les travers dans la foulée :  » C’est un Etat qui a derrière lui une immense histoire culturelle et créative, mais celle-ci est parfois trop lourde. L’Italie a besoin de se rajeunir, à tous les niveaux, y compris celui de la classe dirigeante : notre premier ministre a 70 ans, et notre président 80 ! Nous avons besoin de sang neuf pour faire bouger les choses. « 

Coups de bambou

 » Réaliser le projet I-I avec mon propre argent était primordial, parce que pour donner ses impulsions, il faut être libre. Le danger, c’est de se laisser entraîner vers ce que les autres voudraient qu’on fasse. Etre soi-même demande du courage. Ça n’a pas toujours été facile, mais aujourd’hui j’ai cette chance immense de pouvoir faire de mon métier ma passion « . Allusion discrète à une période sombre de sa vie, où une overdose sur fond de milieu interlope a fait de l’héritier de la famille Agnelli une cible privilégiée des paparazzis. C’était il y a deux ans, une éternité pour cet hyperactif qui a repris pied en fuyant un temps la Péninsule pour s’installer à New York, où il possède désormais un loft non loin de… Little Italy.

Henry Kissinger, dont il avait été l’assistant au lendemain du 11 septembre 2001 et auquel il se dit  » toujours très attaché « , fait partie des gens qui l’ont aidé à se remettre en selle, au même titre que son frère John, vice-président de Fiat, ou Diane von Furstenberg, qu’il affectionne comme sa tante :  » Mon père ( NDLR : l’écrivain français Alain Elkann) a vécu neuf ans avec elle, ça crée des liens forts, explique le jeune chef d’entreprise. Elle m’a d’ailleurs beaucoup parlé de la Belgique, qu’elle considère toujours comme son pays et qu’elle adore. Personnellement, je ne connais pas bien Bruxelles, mais pour ce que j’en ai vu, j’aime assez. J’ai eu une petite amie Belge aussi, quand je vivais à Londres. Ne cherche pas, ajoute-t-il dans un sourire, elle n’est pas connue !  »

Une fois de plus, on ne peut s’empêcher de penser que, décidément, les idées reçues n’ont pas lieu d’être. Surexposé, démoli par certains journalistes, Lapo aurait pu se montrer méfiant envers la presse et se limiter à une séance de questions-réponses solidement cadrée. C’est sans compter sur la nature volubile, spontanée et flamboyante du jeune homme : l’interview prévue avec Weekend devait durer 45 minutes, elle s’étendra finalement sur plusieurs heures, émaillées de quelques jus de pomme et de nombreux cafés.  » Des décas, rectifie Lapo. Des  » vrais « , je n’en prends que deux par jour. La vie est assez grisante par elle-même, sans qu’on ait besoin de recourir à des excitants. « 

Delphine Kindermans

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