Loin du bruit et de la fureur, il y a Cordoue. On y va pour revoir la plus belle mosquée du monde et savourer une Andalousie à l’éternelle douceur de vivre.

Devant les arcades deux fois millénaires du pont romain qui enjambe le Guadalquivir, au c£ur de la capitale historique de l’Andalousie, se dresse un ovni. Cet objet non identifié est un rectangle aux côtés recouverts de petites briques blondes. Sur le toit plat, un vigile monte la garde. Pas de porte ni de fenêtres sur la bâtisse au design futuriste, complètement anachronique dans cette ville qui semble avoir arrêté le temps aux alentours de l’Inquisition. Sous peu ouvrira ici le Centro de Interpretacion de la Puerta del Puente, un vaste centre de recherches et musée historique.

DES ARBRES DATANT D’AVERROÈS ?

Cordoue, bastion de la nostalgie araboandalouse, ouvrirait-elle la porte au xxie siècle ? Quelques pas plus loin, au coin de la jolie place Jeronimo Paez, dans le quartier de la Juderia, un balcon brandit un autre étendard vers le futur :  » Cordoue, capitale européenne de la culture 2016.  » Un refrain que reprennent tous les autobus de la ville, au toit flanqué de la même bannière. Avec la crainte de voir les patios conquis par des lounge bars, les bancs sous les orangers chassés par des pistes cyclables, les caves vieillottes de la Bodegas Campos liftées par Starck ou Garcia, l’amoureux de Cordoue revisite la ville dans l’espoir secret qu’ici, au moins, rien ne change.

À quelques pas de là, la mezquita veille. Comme au ixe siècle, la délicate dentelle des façades dore au soleil, dans un silence quasi religieux. Sous un porche, se profilent des arbres si grands qu’ils ont peut être vu Averroès (le philosophe naquit ici en 1126). Ça se presse devant l’entrée de la mosquée, mais la foule s’éparpille vite dans l’immense salle qu’on arpente, qu’on arpentera toujours le c£ur un peu serré de bonheur. On écoute le guide faire le compte du plus beau trésor d’Al-Andalus, l’empire arabe d’Andalousie dont Cordoue fut la capitale. La mezquita : plus belle mosquée d’Occident, prodige d’architecture aux 19 nefs, 850 colonnes mêlant granit, jaspe et marbres précieux, reliés par des arcs superposés dont les architectes du calife Al-Hakam II furent les géniaux inventeurs. Et, tout au fond de l’édifice, le mihrab, qui indique aux croyants la direction de La Mecque. Chef-d’oeuvre de l’art musulman, il fait toujours scintiller sous sa coupole les ors et les bleus de mosaïques inouïes, dont l’éclat éclipsa celui de Damas vers l’an 1000.

VERSAILLES ANDALOUSE

À ce point, on ne boude plus son plaisir et on refait les 8 kilomètres de route jusqu’à Al-Zahra. Al-Zahra, ville-palais mythique aujourd’hui en ruines, où les marbres étaient sertis de perles et de rubis. La campagne sillonnée de vignes et de bosquets n’a pas changé ; puis, avant l’entrée du site, la route s’arrête soudain devant de vastes parkings. On craint le pire, mais non : au lieu du parc d’attractions bêtement redouté, c’est un immense toit blanc piqueté de moucharabiehs qui étincelle au soleil. Récompensé par le prix Aga Khan de l’architecture en 2010, le tout nouveau musée Madinat al-Zahra et ses espaces minimalistes prépare avec élégance à la visite de la cité disparue. L’ancienne Versailles andalouse est plus loin sur la colline. Pillée pendant des siècles, abandonnée puis redécouverte en 1911, la ville émerge à peine des décombres. Au c£ur du silence, on cherche dans le paysage de ruines les souvenirs de la merveille qu’un calife amoureux édifia pour sa favorite, Zahra, la  » resplendissante « . Dans la ville-symbole de l’âge d’or du califat de Cordoue, on guette l’écho des oiseaux rares de la volière, les rugissements des fauves africains de la ménagerie, les parfums des jardins si beaux qu’ils préfiguraient le paradis promis par Allah. De la grande mosquée et de la résidence califale, ne demeurent que des ombres – ici, un portail est debout, avec ses stucs de calcaire, émouvants rescapés du naufrage du temps. Un mystère poignant hante les lieux, qu’on quitte à regret comme s’il restait ici tant à comprendre.

Délaissant les ruines de la  » vieille Cordoue « , on revient au bord du Guadalquivir. Après les Arabes, l’Histoire a continué ici. L’Andalousie se tourne vers la chrétienté en 1236, et l’ancien palais mauresque prête ses fondations à un Alcazar digne de la Reconquista. En se baladant dans la forteresse ocre qui devint le centre de l’Inquisition espagnole, on se réjouit que cette époque soit révolue. Ne restent, depuis de longues décennies, que des jardins envahis de roses, d’orangers et de fontaines et, tout au fond, un trio indémodable : Christophe Colomb, debout devant Isabelle la Catholique et le roi Ferdinand d’Aragon, à l’instant où il vient de les convaincre de tenter le premier voyage jusqu’en Amérique. Ils échangent un regard si grave et si intense qu’on s’attendrait à voir battre un cil.

Tout autour s’enroulent les rues de la vieille ville, ses patios secrets et fleuris, ses églises où l’on prie, ses vitrines de jamon iberico et d’images pieuses, et des terrasses de cafés où des hommes à l’air fier et des dames portant perles et beaux bijoux viennent boire l’apéritif. Dans cette Espagne catholique immuable, on navigue en territoire familier. Au coin de la rue Ambrosio de Morales, on sursaute : un chat de métal s’élance sur un toit, un oiseau s’envole d’un autre. Au-dessous, les murs s’ornent d’arabesques oniriques. Une pancarte : il s’agit du premier  » paysage urbain vertical « , concours d’art contemporain qui récompensa l’artiste cordouane Raquel Gómez Dueñas. Cet ovni-là a atterri en 2009. Depuis, rien. Ainsi va l’Espagne andalouse. Et sous le pont romain coule le Guadalquivir…

PAR NATHALIE CHAHINE

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