Les entreprises de luxe auraient-elles plus que tout autre business l’esprit de famille ? Chez LVMH, Puig, Hermès, Chanel, L’Oréal ou Clarins, des héritiers sont aux commandes et le font savoir. Avec plus ou moins de discrétion.

Ils s’appellent Alain et Gérard Wertheimer. Un nom de famille que seuls les initiés associent à celui de la maison au double C rachetée à Gabrielle Chanel en 1954 par leur grand-père, Pierre Wertheimer. Deux frères que l’on a plus de chance d’apercevoir sur un champ de courses qu’au premier rang des défilés orchestrés à grand frais par Karl Lagerfeld. Car si la griffe aime à s’assurer une large couverture médiatique, ses propriétaires en revanche font tout ce qu’ils peuvent pour rester dans l’ombre. Un parti pris d’autant plus aisé que rien n’oblige l’entreprise, toujours 100 % privée et pas cotée en Bourse, à communiquer sur ses chiffres comme sur ses dirigeants. Mais ce degré-là d’anonymat reste l’exception. Chez les Courtin-Clarins par contre, tout comme chez les Puig, la mise en lumière des héritiers de la troisième génération – la plus critique dès lors qu’il s’agit de garantir la pérennité d’un business familial, selon les experts – semble aujourd’hui s’organiser avec plus ou moins de modération. Alors que l’entreprise catalane Puig, qui détient entre autres les griffes Paco Rabanne, Nina Ricci et une participation majoritaire dans la maison de couture Jean Paul Gaultier, s’apprête à fêter ses 100 ans avec panache (lire par ailleurs), Virginie Courtin- Clarins, l’une des quatre petites-filles du fondateur de la marque de soin, a délaissé les pages glossy des magazines anglo-saxons qu’elle squattait jusqu’ici avec sa soeur Claire et ses cousines Prisca et Jenna – tout en boudant les publications françaises… – au profit des très sérieuses rubriques économiques. En acceptant le poste de directrice développement, marketing et communication de la maison Mugler, propriété du groupe Clarins qui entend bien en relancer la mode, elle marche clairement sur les traces de Delphine et Antoine Arnault, héritiers de deuxième génération chez LVMH, capables de jongler tous les deux habilement avec leurs fonctions business et people.

 » Dès qu’une entreprise atteint une certaine taille, à moins bien sûr qu’elle ne soit dans un secteur qui nécessite une confidentialité très importante, comme une banque privée, par exemple, une certaine notoriété devient nécessaire, que ce soit pour vendre ses produits ou réussir à attirer des collaborateurs de haut niveau, décrypte Eric De Keuleneer, professeur de finance à Solvay-ULB. L’image et la réputation de la société et de ses dirigeants sont les ingrédients importants d’une bonne communication vis-à-vis du reste du monde mais aussi en interne.  » Une recette qui convient encore mieux au secteur du luxe, qui cultive plus que tout autre l’art de se mettre en scène avec attitude. Loin de paraître suspecte, la présence médiatisée des membres de la famille aux événements glamour organisés par des marques de son portfolio aurait plutôt tendance à les légitimer. Tout en démontrant, en prime, que même s’ils n’ont qu’un rôle d’actionnaire passif au quotidien, ils se préoccupent bel et bien de ce patrimoine dont ils ont hérité. Ainsi, chez Hermès, où l’on est soucieux de montrer à la face du monde – et surtout de ceux qui voudraient douter de l’apparente unité des héritiers actionnaires rassemblés dans la holding H51 – que l’esprit de famille n’est pas un vain mot, il n’est pas rare de croiser, aux défilés comme sur le lancement d’un nouveau parfum, tout un tas de cousins – on en est quand même ici à la sixième génération – pas du tout impliqués dans la gestion au day-to-day de l’entreprise.

Parce que l’on attribue à ces sociétés familiales, et souvent à raison d’ailleurs, des valeurs associées à l’idée d’une gestion  » en bon père de famille « , une notion qui plaît beaucoup au consommateur, la présence de descendants parmi les cadres ne peut que renforcer la bonne réputation de l’entreprise. A condition qu’ils sachent se tenir – dans le genre, les soeurs Hilton font plutôt tache – et surtout qu’ils sachent ce qu’ils font.  » Autant il est important de respecter le choix des héritiers qui souhaitent rester à l’écart, et cela passe par beaucoup de transparence mais surtout une rémunération correcte au travers de dividendes pour s’assurer de leur loyauté, autant il est essentiel aussi de laisser ceux qui le souhaitent s’impliquer en mettant en place des règles rigoureuses de nomination, insiste Eric De Keuleneer. Rien n’est plus précieux pour une entreprise, qu’elle soit familiale ou non d’ailleurs, que des actionnaires motivés et compétents.  » L’arrivée de Jean-Victor Meyers-Bettencourt – le jeune homme est aussi le patron de L’Exemplaire, une marque de pulls en cachemire premium – dans le conseil d’administration du groupe L’Oréal, en 2012, n’a sûrement pas fait de mal à l’image écornée par des querelles de famille du N°1 mondial de la beauté. L’avenir dira s’il passera en douceur ou pas le cap de la quatrième génération…

PAR ISABELLE WILLOT

La gestion en bon père de famille plaît au consommateur.

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