Protocole et petits plats: dans les coulisses des cuisines des ambassades belges à l’étranger

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Ils sont de ces chefs discrets dont on connaît rarement le nom. Pourtant, dans leurs casseroles, c’est l’image de notre pays qu’ils accommodent aux petits oignons. Aux tables des résidences des ambassadeurs de Belgique à travers le monde se joue une partie de la qualité des relations entre nations. Plongée dans l’univers de la gastronomie diplomatique.

Il est 19h38, dans un bel hôtel particulier du VIIIe arrondissement parisien. Une voiture réveille les graviers de la cour d’honneur. A l’affût, le majordome et son équipe savent que la représentation va commencer. Une soixantaine d’invités de marque, dont un ministre, vient de visiter l’exposition autour de l’artiste belge Fernand Khnopff. Ils vont bientôt pénétrer dans la résidence de l’ambassadeur pour un élégant dîner. Devant les marmites, un seul homme: Rénaud Thiry, 23 ans, recruté directement à la sortie de l’Ecole hôtelière de Namur. Cela fait plusieurs jours que le menu est établi et qu’il anticipe les mises en place pour ce buffet. « Il est rare qu’il y ait un extra dans la cuisine, je fais le maximum pour tout gérer seul. Je vois chaque réception comme un challenge à relever », explique le jeune homme qui assure par ailleurs la gestion des repas au quotidien. C’est l’une des particularités de ce job: pas de grande brigade à son service, même quand il faut envoyer des assiettes dignes d’établissements gastronomiques.

On ne va pas trouver de solutions u0026#xE0; un problu0026#xE8;me mondial autour de la table, mais cela contribue u0026#xE0; cru0026#xE9;er une atmosphu0026#xE8;re bienveillante.

Le décorum a aussi toute son importance. Ici, les amuse-bouches quittent les coulisses sur des plateaux d’argent et la sauce aux morilles rejoindra le filet mignon dans des saucières avec liséré d’or et couronne de la royauté. « Il faut être attentif au moindre détail, insiste cet originaire d’Andenne en rectifiant un assaisonnement. Bien sûr, si j’étais dans un restaurant je ferais aussi attention, mais là, je sais que mes plats vont en partie aider aux relations entre convives, il faut en être conscient. Il n’y a pas de place pour l’à-peu-près. »

Même sentiment aux fourneaux de l’ambassade belge à Tokyo, où officie le chef Samuel Albert. « Je suis Français, mais je sais qu’ici, je représente la Belgique », affirme-t-il. Si son nom vous dit quelque chose, c’est peut-être parce qu’il est l’un des candidats prometteurs de la saison de Top Chef, actuellement en diffusion. « C’est une expérience singulière d’occuper ce rôle. Je n’ai pas hésité, je savais que ça apporterait une touche supplémentaire à mon CV, quelque chose de différent. Avant, je gérais plusieurs restaurants en Chine. Ce poste me permet de manipuler à nouveau les produits, mais également de mêler des cultures culinaires diverses. J’essaie d’associer la qualité et la quantité des mets de l’hospitalité à la belge et la finesse de l’esprit japonais. » A chaque passage au Tsukiji Market, dans la mégapole nipponne, il s’enquiert donc des aliments de chez nous actuellement disponibles pour innover dans ses recettes.

« Il a par exemple créé des moules-frites version gastronomique, un plat que l’on sert très souvent, illustre S.E. Gunther Sleeuwagen, ambassadeur dans l’empire du Soleil levant. C’est un petit bol avec juste quelques coquillages décortiqués, prêts à manger, et des frites disposées en étoile avec une sauce réduite. C’est très délicat et joliment présenté, ça plaît beaucoup. » Bien sûr, ce n’est pas comme ça tous les jours, précise le chef qui met en avant l’une des grandes qualités demandées à lui et ses confrères: la polyvalence. Déjeuner intimiste, grande soirée VIP, buffet froid gigantesque; toutes les configurations sont possibles. « Nous accueillons des invités de très haut niveau mais parfois c’est une tout autre ambiance, comme lorsque nous organisons des ateliers gaufres pour les enfants du quartier ou durant la Coupe du monde, où nous diffusions les matchs en direct à 3 heures du matin. Je crois qu’on a distribué à cette occasion 250 kilos de frites et un bon nombre de bouteilles de bière », s’amuse l’ambassadeur, bien conscient du poids de tous ces happenings pour maintenir de bons rapports entre les deux nations: « On ne va pas trouver de solutions à un problème mondial autour de la table, mais cela contribue à créer une atmosphère bienveillante et, avec mon épouse, nous sommes très contents que Samuel soit là et nous permette d’accueillir nos hôtes autour d’un bon repas. »

Travail de couple

Si Madame l’Ambassadrice apparaît dans la conversation, c’est parce que derrière chaque menu, se cache souvent le partenaire du diplomate. Rien d’officiel, ces multiples tâches liées à l’hospitalité ne font pas l’objet d’un contrat et sont laissées au bon vouloir de chaque conjoint, qui continue parfois son activité professionnelle en parallèle. Mais si vous voulez connaître les coulisses des dîners officiels, ils sont les interlocuteurs parfaits. Deux de ces compagnes au long cours, Kathleen Billen et Kristin Van de Voorde-Heidbüchel, actuellement à Ottawa et Berlin, ont d’ailleurs récemment publié un bouquin sur le sujet: .be our guest (*). L’ouvrage rassemble des recettes de chefs noir-jaune-rouge connus, et parfois étoilés, à qui l’on a demandé de concevoir un plat évoquant une ambassade belge à l’étranger – en mixant un peu les deux cultures. Les photos ont été prises dans lesdites ambassades. Désireuses de présenter un monde méconnu au grand public et d’éditer un beau livre qui pourrait être offert à leurs hôtes, les deux auteures espèrent que leur recueil donnera en parallèle des pistes de réflexion aux cuisiniers d’ambassades. Car si des sièges comme ceux de Paris ou Washington peuvent se permettre de faire venir un Belge à plein temps, les autres résidences travaillent la plupart du temps avec des locaux. « Nous voulions inspirer nos collègues et les cuisiniers des différentes ambassades, explique Kathleen Billen. C’est capital de montrer que cela peut être tendance, moderne. »

Composition de menus, sélection des ingrédients – et connaissance de leur histoire afin de pouvoir tenir une conversation sur le sujet -, agencement des résidences, choix de la décoration; tout a son importance. « La nourriture est essentielle, mais les cartes de remerciement qui suivent l’événement aussi, développe la coauteure de l’ouvrage, Kirstin Van de Voorde-Heidbüchel. Les gens que nous recevons sont très sollicités. Il est important qu’ils se souviennent de ce moment. » L’hôtesse a ses astuces comme le beer pairing à table, plus original que l’association avec du vin, d’élégantes sucettes en dentelle de chocolat ou d’innovantes associations sucré-salé.

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Pour garantir un accueil de qualité, une bonne partie du budget de ces institutions est dès lors investi dans ce pôle « réceptions ». « Cela comprend également l’organisation d’un festival de films… Ce ne sont pas juste les dîners formels », évalue notre interlocutrice. « Mon mari compare toujours l’importance des réceptions à celles qui ont lieu à Davos, complète sa comparse. Les participants, parmi les plus puissants de la planète, paient des dizaines de milliers d’euros pour y être. Ils ont besoin de se voir, d’échanger en tête-à-tête. C’est comme ça que les liens se tissent et c’est pareil dans les ambassades. »

Et ce n’est pas S.E. Dirk Wouters, en poste à Washington, qui la contredira. « Ici, les échelons du pouvoir sont très complexes et il n’est pas évident pour un pays comme la Belgique d’y jouer en première division. Pour pouvoir entrer dans ce jeu de respectabilité, il faut avant tout avoir pignon sur rue. L’hospitalité joue un rôle clé; les personnes que l’on reçoit doivent l’être chaleureusement et si l’on peut compléter par l’excellence de la gastronomie, il y a moyen de faire la différence. Les Américains raffolent de notre cuisine, cela nous sert indéniablement. On part avec une longueur d’avance. En outre, notre jeune chef, Dries Molkens, qui vient de l’Ecole hôtelière de Coxyde, est capable de prouver cette excellence à chaque événement. »

Pour une ambassade, la qualité du chef est d’ailleurs cruciale afin d’attirer les invités dans son institution plutôt qu’ailleurs. A Washington, un concours entre tous ces professionnels des fourneaux est même organisé, l’Embassy Chef Challenge…

S.E. Dirk Wouters a lui en tête des dizaines d’anecdotes pour prouver l’importance de cette diplomatie par l’assiette: « On me parle encore avec reconnaissance d’un event autour du chocolat organisé il y a vingt ans, explique-t-il. Très récemment, mon épouse a réuni des personnalités de haut niveau pour un dîner avec un menu particulièrement soigné. Les convives ont apprécié de retrouver un sentiment d’entente, même entre bords politiques différents, qui s’est perdu depuis la présidence Trump. Ce dîner m’a déjà ouvert des portes utiles pour la Belgique auprès de membres du Congrès, de la Cour suprême ou du gouvernement américain. »

Cours particuliers

Pas étonnant donc que le ministère des Affaires étrangères prenne très au sérieux cet aspect de la diplomatie. Family Officer, Hildegarde Van de Voorde s’occupe entre autres de l’accompagnement des épouses ou conjoints de nos diplomates après avoir elle-même fait le tour du monde avec son mari. Chaque année, elle organise des workshops sur une série de sujets, comme par exemple l’étiquette, lors de la semaine dite de « retours diplomatiques », en janvier. « Cette fois, j’ai utilisé le livre .be our guest comme support. Nous avons parlé de vins et de fromages belges. C’est important de discuter de ce qui se fait actuellement chez nous. Des personnes qui sont parties depuis longtemps n’ont souvent aucune idée des évolutions ici. » La conseillère donne entre autres des astuces pratiques: « Quand il y a un départ en poste, je précise quels types de produits belges on peut glisser dans le conteneur afin de donner une touche spéciale aux événements qu’on va organiser… » Pour cette experte, les menus, comme les plans de table, sont des outils précieux qui doivent être maniés avec doigté. « Proposez une glace au spéculoos en dessert dans un pays où ce n’est pas connu; directement les gens vont s’interroger et vous aurez un sujet de conversation qui va venir très naturellement et va être plus léger. » De la discussion sympathique à la confidence, de l’assiette savoureuse à la reconnaissance suite à un bon moment partagé, se tissent des liens durables entre notre pays et des acteurs internationaux de premier plan. Nous avons parfois tendance à sous-estimer notre gastronomie et à complexer face aux saveurs d’autres contrées. Voilà qui fait réévaluer tout l’intérêt et la portée d’un waterzooï bien valorisé ou d’une belle poêlée de choux de Bruxelles!

(*) .be our guest – Les Ambassadeurs de l’hospitalité belge, par Kathleen Billen et Kristin Van de Voorde-Heidbüchel, Lannoo, 224 pages.

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