Un vent de nouveauté souffle sur les épiceries fines. Sous l’impulsion de quelques  » toqués  » du goût, ces lieux élargissent leurs horizons : on peut désormais y manger et faire le plein de découvertes. Suivez Weekend parmi les meilleures adresses du moment.

A voir Pierre Lefèvre faire revenir quelques champignons finement émincés dans le vinaigre, on en a l’eau à la bouche. L’assiette qu’il élabore, pourtant simple en apparence, est une composition gastronomique digne des meilleures tables. Copeaux de parmesan, vinaigre balsamique, roquette, sel marin et huile d’olive. Tout est dans la nuance et dans la fraîcheur.

Le palais est sur le qui-vive : les champignons qui semblaient de banals spécimens de Paris recèlent un arrière-goût d’anis. Derrière ses lunettes branchées et son tablier blanc, Pierre sourit.  » Des agarics des achères « , annonce-t-il fièrement. Son plaisir est là,  » piéger  » son hôte avec des produits que ce dernier croit connaître. Mais déjà se profile le plat, une terrine de cerf aux cèpes. A défaillir.

Au moyen d’ingrédients simples, le jeune épicier dessine un voyage gourmand et emmène les épicuriens faire un tour du côté de leur enfance. S’il fallait ne citer qu’un exemple du nouvel esprit qui s’empare des épiceries fines, ce serait à coup sûr Champignac, l’espace que ce Bruxellois de 33 ans a dédié aux champignons. Situé sur la commune de Saint-Gilles, à Bruxelles, ce magasin est un véritable enchantement. Pour les yeux et pour le palais. Nichée dans une ancienne boucherie des années 1920, la boutique dispose d’une décoration qui relève du patrimoine architectural de notre pays. Portes en arc de cercle, plafond de verre et carrelages Art déco, le lieu évoque le charme des petits commerces de bouche d’autrefois.

Pour Pierre, ce décor est une aubaine dans la mesure où il  » colle  » complètement à l’esprit de sa démarche. Une démarche d’authenticité, de raffinement et de respect du travail artisanal.  » Au départ, j’ai voulu consacrer ce lieu exclusivement au champignon, explique le jeune épicier. J’avais pour ambition que cet ingrédient noble retrouve le chemin de l’assiette des Belges. Car, malheureusement, au contraire de la France, nos compatriotes n’ont pas la  » culture  » de ce produit. On peut en faire autre chose qu’un toast ou une omelette. » Elevé dans le culte de ce végétal – son père a été l’un des premiers fournisseurs des grands restaurants -, Pierre connaît depuis toujours les climats et les parcelles propices à sa passion. Collybie tachetée, marasme alliacé, polypore en touffe ou russule à feuillets denses, autant de noms qui constituent un véritable savoir gourmand avec lequel il jongle.

Dans son épicerie, il ne se contente pas d’en juxtaposer les différentes sortes.  » Mon but est de créer un univers autour du champignon. L’idée étant de susciter des synergies avec d’autres saveurs. Je voulais prouver qu’il s’agissait d’un produit à part entière qui n’est pas seulement là pour accompagner un met.  » Pierre rencontre alors Philippe Emmanueli, un jeune sommelier français, avec lequel il va élargir son alchimie du goût. A deux, ils organisent des dégustations thématiques – associant champignons et champagnes ou encore champignons et Hermitage blanc – qui surprennent plus d’un gourmet.

Au fil du temps, Pierre élargit son éventaire, toujours dans le sens d’une compatibilité avec son produit fétiche. Il se passionne pour le saucisson artisanal et sélectionne avec soin les fournisseurs qui chérissent le travail bien fait et la qualité. Il vend des petites merveilles qui sont de véritables produits de terroir soumis à des conditions particulières : l’un d’entre eux est séché à mille mètres d’altitude pour une saveur inégalable. Inlassablement, Pierre arpente les régions pour mettre au jour des produits inédits fourrés aux girolles, aux cèpes, aux pistaches ou encore aux noisettes.  » Parce qu’en Belgique, poursuit-il, il est difficile de trouver du bon saucisson qui est produit essentiellement industriellement. « 

Pierre aime partager ses découvertes. Il organise pour les gourmets des sorties-cueillettes et des dégustations. Mais il exprime aussi son art culinaire autour d’une petite table d’hôte qui se cache dans le fond de sa boutique.  » Un jour, à Amsterdam, j’ai vu une poissonnerie qui derrière le comptoir proposait une table dressée sans façon, sur laquelle on dégustait des produits en toute fraîcheur. L’idée m’a semblé délectable.  » Alors, chaque jour à midi, le jeune épicier donne vie à sa vision de la gastronomie à coups de vins de soif issus de petits viticulteurs et de tours de moulins à poivre. C’est souvent l’improvisation qui décide du menu du jour, mais c’est toujours la simplicité et la découverte qui se retrouvent au bout de la fourchette.

Pierre n’est pas seul à s’inscrire dans ce nouveau courant gastronomique. Ainsi, la boutique Un Pas Plus Loin, à Bruxelles. Une épicerie fine où quelques tables invitent à s’arrêter le temps de déguster des mets à l’esprit méditerranéen. Si les rayonnages font surtout place à l’art de vivre, une belle sélection d’huiles d’olive et de vinaigres confirment la vocation gourmande du lieu. Là aussi, le chef joue la carte de la fraîcheur. Son  » pesto  » en est d’ailleurs la plus belle preuve.

Anvers à l’italienne

Les adresses raffinées ne sont pas le monopole de Bruxelles. Cap sur Anvers. Située dans le centre historique de la ville, l’épicerie italienne Civiltà del Bere vaut largement le détour. Comme l’atteste une clientèle qui provient de Londres, Paris ou Bruxelles. C’est là en effet que s’affiche l’une des plus belles sélections de produits italiens importés. Les deux propriétaires, Sandro Lampis et Vincenzo Aru, se sont en plus dotés d’un cadre design décapant. En faisant appel à l’architecte Jo Peeters, qui a également réalisé le bar-restaurant Hangar 41 sur les quais de l’Escaut, ils ont opté pour une architecture au minimalisme envoûtant. Le mélange du béton, des volumes et de la grande luminosité signe un endroit impressionnant. Côté produits, les deux patrons se montrent d’une exigence totale.  » Nous nous sentons très proches de l’esprit du  » slow food  » ( NDLR: un mouvement prônant le retour aux produits du terroir et cultivés de façon biologique) « , souligne Vincenzo Aru.  » Nous estimons qu’il est crucial de respecter les saisons et les temps de production pour obtenir des produits irréprochables. Nous avons un faible pour les gens qui travaillent encore à l’ancienne. Il y a dans notre métier quelque chose qui s’approche de l’archéologie du goût. Nous essayons d’exhumer et de préserver de l’oubli des saveurs fragiles.  »

Pas de place pour les produits industriels donc, seules les petites filières à la démarche authentique trouvent grâce à leurs yeux. Même en matière d’eaux minérales! La sélection des vins – principalement rouges – est, elle aussi, drastique, avec une préférence marquée pour les crus sans soufre et les viticulteurs bio. Si on n’y mange pas à proprement parler, l’esprit dégustation y règne toutefois en maître. Une table dépouillée, sorte de U renversé, est prévue à cet effet. Sur ce comptoir, on peut parcourir l’Italie, du Nord au Sud. On trouve évidemment un magnifique assortiment d’huiles d’olive, de vinaigres balsamiques, de charcuteries, de fromages et de pâtes fraîches. Un espace est même dédié à la torréfaction.

Namur aussi

Dans le sud du pays, même si souvent les adresses sont plus classiques, la ville de Namur réserve deux bonnes surprises. Le Comptoir de L’Oliviat possède une très belle gamme de produits. Outre les délices du Périgord, importés en ligne directe, on trouve des petites perles issues des terroirs belges. Un des points forts étant une remarquable sélection de différents vins de fruits : framboise, rhubarbe, cassis, fleurs de sureau. Sans oublier, des produits plus  » world « , comme les thés verts venus de Chine et du Japon. La propriétaire, Michèle Therasse, a su également développer un département  » épices  » très convaincant. La Cave de Wallonie – Côté Terroir, elle, propose un grand choix d’alcools et de spiritueux distillés artisanalement. Musique ethnique et ambiance tout en douceur, la boutique d’Etienne Dethier fait également place à un assortiment de produits venus du Sud-Ouest.

Saveurs de Paname

En matière de saveurs, Paris est un rendez-vous obligé. La ville dont la plus ancienne épicerie fine avait 28 ans à la Révolution affiche de belles adresses. Cela d’autant plus qu’elle compte des noms qui ont fait les grandes heures des produits de bouche raffinés : tout le monde a en tête les enseignes de Fauchon et d’Hédiard qui s’exhibent en lettres capitales sur la place de la Madeleine. On sait combien la dernière citée a oeuvré pour faire découvrir au Tout-Paris des saveurs inconnues. Alexandre Dumas n’a-t-il pas goûté son premier ananas offert par Ferdinand Hédiard ?

Loin des noms consacrés, on peut découvrir le long des ruelles plus dérobées de bien précieuses adresses. Ainsi, dans le quartier hype du Marais. Dédié à la fraîcheur, aux produits de qualité et à la cuisine simple, Au Duc de Montmorency, avec son décor très sixties dominé par le formica, est en passe de devenir l’épicerie la plus courue de Paris. Sur la table, quelques tartines Poilâne ; au mur, des saucissons appétissants. Avec un fourneau en plein milieu de la pièce, Laurent Delcros, le patron, a misé sur une totale transparence. Ancien apprenti de chez Guy Savoy, il a mis son talent au service de mets classiques dont le fumet embaume l’espace : blanquette, tomates farcies, boeuf bourguignon, endives au gratin (nos  » chicons « ). Le concept vient de recevoir le  » Fooding 2002 de l’endroit le plus sympa de Paris « . A midi, les gens posent leur assiette où ils le peuvent tant la formule fait recette : Laurent fait plus de 70 couverts par jour. Il faut préciser que l’on mange ici pour quelque 4 euros (160 F).

Le projet a été mûrement réfléchi.  » L’idée était de réhabiliter une cuisine que plus personne n’a le temps de faire convenablement, poursuit Laurent. Ni les particuliers, ni les restaurants. Si l’on veut préparer honnêtement un boeuf bourguignon et le laisser mijoter comme il le faut, cela prend un temps dingue. Je n’avais pas envie que le vrai goût de ce type de mets disparaisse « . Un client témoigne :  » Venir ici, c’est un peu comme pousser la porte d’une grand-mère qui nous mitonnerait de bons petits plats.  » Côté épicerie, le même souci d’honnêteté prévaut.  » Je choisis moi-même chaque référence, assure Laurent, et j’assume les quelques produits industriels même si ma préférence va au bio. Je ne suis pas dogmatique.  » Les vins affichent des petits prix et l’on sent souffler un esprit privilégiant les terroirs moins consacrés.

En plein coeur de l’île Saint-Louis, une superbe devanture à pans de bois surmontée d’une simple enseigne, L’Epicerie mérite le détour, avec ses étagères bien remplies de pots et de bouteilles. Créée il y a seize ans, cette maison plus classique – on n’y mange pas – fait la part belle aux confitures, vinaigres, huiles d’olive et moutardes d’un domaine, situé près d’Angers, à la qualité irréprochable. Seule, la grande variété de miels provient d’autres petits producteurs.

La rue Rambuteau, elle aussi, affiche une enseigne à découvrir. Little Italy, comme son nom l’indique, est consacrée aux produits fins de la Botte. Les quelques tables offertes – et qui ne désemplissent pas de la journée – offrent un frais panorama de la cuisine italienne. Les préparations, chaudes ou froides, font preuve d’un extrême raffinement.

Jean-Pierre Coffe, fervent défenseur de la cause du bien manger, est formel : le succès des épiceries fines était à prévoir en période de crise alimentaire.  » Face à leurs peurs, les consommateurs retrouvent le chemin de l’épicier avec qui ils ont une relation de face à face, commente-t-il. Grâce à leur choix de produits de qualité, ces commerçants maintiennent en vie toute une chaîne de production qui privilégie la lenteur ainsi que le respect du produit et des saisons. Sans compter que beaucoup d’entre eux font un travail très intéressant pour remettre d’anciennes saveurs au goût du jour. Sans cela, des légumes comme les topinambours risquent de disparaître de la circulation. « 

Carnet d’adresses en page 64.

Michel Verlinden Photos: Antoine Moreno

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