En avril dernier, la fine fleur de l’industrie horlogère a présenté ses dernières nouveautés lors des salons de Bâle et de Genève. Plus que jamais, l’heure est aux créations luxueuses et élégantes. Weekend Le Vif/L’Express vous dévoile les principales tendances de ces événements prestigieux.

Salon de Bâle Des stratégies anticrise

Des masques, des gants en plastique et une équipe médicale prête à entrer en action… Toutes les mesures avaient été prises pour rassurer les 80 000 visiteurs de Baselworld. La plus importante exposition d’horlogerie et de joaillerie du monde qui compte quelque 2 200 exposants en provenance de 40 pays, s’est, en effet, tenue, en avril dernier, pendant une période de guerre et d’incertitude économique assortie de l’épidémie de pneumonie atypique. Ce salon est un événement incontournable parce qu’on y présente, en avant-première, les dernières nouveautés mais aussi parce que les acheteurs et les exposants y brassent des millions d’euros. Cette année, cependant, les autorités suisses ont refusé l’accès au pays à 400 exposants venant de Chine, de Hongkong, de Singapour, du Vietnam et du Canada. Motif ? Une mesure de protectionnisme : en Suisse aussi, le secteur horloger, qui emploie 40 000 personnes dans 650 entreprises, souffre de la mauvaise conjoncture. En revanche, les visiteurs asiatiques, eux, pouvaient pénétrer sur le territoire helvètique sans le moindre problème.

Après des années record avec un chiffre d’affaires culminant à 10,6 milliards de CHF ( 7,02 milliards d’euros) en 2002, la branche de l’horlogerie a enregistré une baisse de 6 % au cours des premiers mois de 2003. Mais en dépit de cette morosité, la tendance est au luxe. L’or jaune ou rose fait un retour remarqué, les diamants et autres pierres précieuses se multiplient et les montres à complication s’imposent. La nouvelle Classical GMT 24 de Corum qui indique l’heure de deux fuseaux horaires, par exemple, s’adresse à la clientèle des hommes d’affaires alors que les deux nouveaux chronographes édition limitée Admiral’s Cup et les montres bijoux excentriques visent les collectionneurs et le marché asiatique. Chanel, qui continue à se concentrer sur les montres bijoux, donne le ton avec la variante à cadran blanc de la J12. De son côté, Longines propose la nouvelle ligne hommes et dames Evidenza tout en étoffant la collection Elégantes : des créations raffinées, ornées de diamants, et inspirées de modèles des années 1920. Enfin, d’ici à la fin de l’année, Hermès annonce le lancement de la montre pour homme la plus chère et la plus compliquée que son atelier ait jamais réalisée. En attendant, la maison présente Glissade, une élégante montre dame en or au cadran en nacre, caché derrière un couvercle coulissant.

 » Ce sont surtout les montres dont le prix oscille entre 1 500 et 3 000 euros qui souffrent de la crise. Les modèles de la catégorie de prix supérieure ou inférieure continuent à bien se vendre « , précise Patrick de Potter, le directeur des ventes de Ebel en Belgique.  » Les consommateurs pour qui l’acquisition d’une montre représente un effort financier reportent leur achat. Depuis les événements du 11 septembre 2001, ils se refusent tout luxe superflu. C’est pourquoi il règne un climat d’incertitude dans le monde horloger. D’autant plus que la crise actuelle, au contraire de la première guerre du Golfe, n’est pas un phénomène passager. Nous assistons, en effet, à la conjonction de différents problèmes : guerre, marché boursier déprimé, fermetures d’entreprises, plans de licenciement collectif et, pour couronner le tout, une épidémie. Les conséquences portent sur le long terme et il faudra beaucoup de temps pour rétablir la confiance des consommateurs.  »

Personne ne veut toutefois se laisser piéger par la morosité ambiante. Ebel initie la tendance rétro en lançant la nouvelle montre pour hommes Carré de 1911. Omega remet son célèbre échappement coaxial au goût du jour et lance également des éditions limitées telles que la Speedmaster Broad-Arrow en or rouge qui rend hommage à Michael Schumacher. Dans la collection Speedmaster Professional, apparaissent une montre squelette indiquant les phases lunaires et un chronomètre équipé d’un tachymètre. Ce dernier commémore le Nasa Snoopy Award, décerné à Omega en 1970 pour le retour en toute sécurité de la mission Apollo XIII.

 » Une crise freine le développement de nouveaux mouvements, reconnaît Jean-Claude Monachon, le vice-président d’Omega. Mais, à long terme, notre cours reste stable. En outre, des marques comme Omega peuvent accroître leurs parts de marché et chaque crise crée de nouveaux débouchés. Pensez au Japon pendant la crise pétrolière des années 1970, par exemple. Ce n’est pas un hasard si nos marchés les plus porteurs sont actuellement la Chine et la Russie.  » Le nombre de personnes fortunées y est restreint mais la population est énorme. Dans le cas de Longines, la Chine représente d’ailleurs 40 % du total des ventes.

Salon de Genève L’avenir en rose

Le Salon international de la haute horlogerie, créé à l’initiative de marques de prestige telles que Cartier, Girard-Perregaux et Jaeger-LeCoultre au début des années 1990, est le pendant genevois de Baselworld. Une manifestation exceptionnelle au cours de laquelle 11 000 invités et 800 journalistes sont particulièrement soignés : croisière sur le lac de Genève, spectacles nocturnes, repas raffinés dans le Palais des Expositions…

Les seize maisons d’horlogerie réunies ici voient l’avenir en rose. La vente de montres dont le prix oscille entre 2 500 et 3 000 CHF a en effet augmenté de 22 % en 2002. Chez Cartier, on joue plutôt la carte de la série limitée, comme pour la Cartier Libre, une montre bijou très mode. Les pierres précieuses colorées et les diamants sont très prisés et la nouvelle Declaration, en dépit de son prix, s’adresse manifestement à un public plus jeune.  » C’est un moment difficile pour toutes les entreprises, explique Hélène Poulit, la directrice Marketing de Cartier. Ce sont surtout les nouvelles marques issues du monde de la mode qui souffrent. Elles ne possèdent pas notre histoire, notre notoriété et ne bénéficient pas d’un réseau de distribution aussi large que le nôtre. En outre, nous avons tiré de nombreux enseignements des crises précédentes : nous réactualisons sans cesse nos collections. Cette récession écrémera le marché et le normalisera…  »

Girard-Perregaux, qui présente une montre squelette tourbillon à trois ponts en or et une nouvelle Richeville pour hommes, partage le même optimisme. Depuis la crise du marché asiatique, la marque étend ses ventes sur divers continents alors que la production est intégrée verticalement.  » L’indépendance fait notre force, ajoute Jacques Ourny, le directeur commercial. Actuellement, il faut pouvoir prendre des décisions très rapidement et en tant qu’entreprise familiale nous contrôlons en permanence la qualité de nos produits. Nous décidons même des entreprises à qui nous livrons nos mouvements.  »

Au salon de Genève également, les montres à complication et les éditions limitées présentées en coffrets luxueux donnent le ton. Elles visent principalement la cible très lucrative des collectionneurs. A. Lange & Söhne, IWC Schaffhausen, Glashütte Original et Blancpain déclinent des montres équipées d’un indicateur de phases lunaires très sophistiqué. Officine Panerai inaugure une série de chronographes de 44 mm de diamètre dans les collections Radiomir et Luminor. Les tourbillons ont également la cote. Breguet expose une montre pour dame en or blanc sertie de 73 diamants alors que Piaget commercialise l’Emperador, le tourbillon le plus mince du monde. Les autres marques se concentrent sur les valeurs sûres qui ont assis leur réputation. Ainsi, la série, souvent imitée, TV Screen de Daniel Jean Richard s’étoffe avec la TV Screen Double Retrograde et la Grand TV Screen Diver alors qu’Audemars Piguet lance la nouvelle Royal Oak. Enfin, Baume & Mercier sort la Hampton City, inspirée de la Hampton Classic qui a vu le jour en 1994.

 » Ces derniers temps, on commercialisait tout et n’importe quoi « , martèle Marc Hayek, président de Blancpain. Des marques venues des secteurs d’activité les plus divers se sont mises à fabriquer des montres et à les vendre au prix fort. Le consommateur s’est senti lésé… Désormais, il se montre plus circonspect et c’est tout bénéfice pour les maîtres horlogers de prestige.  »

Wim Denolf

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