Technophile, bricoleur, écolo, amateur de luxe et adepte du  » coaching mental « , l’homme de demain cultive les paradoxes. Gros plan en huit escales sur un être pressé de vivre toutes ses vies…

En 1999, le groupe Roularta (qui édite notamment Weekend) se penchait sur les tendances du futur lors d’un symposium baptisé Opus XXI. De nouveaux comportements encore balbutiants et aujourd’hui banalisés y étaient identifiés par les intervenants. Comme l’avènement de la sunshine generation, surnom désignant ces jeunes qui allient esprit d’entreprise et fibre écologique.

Huit ans plus tard, en collaboration avec le Flanders District of Creativity, la Roularta Media Academy remet ça. Pour ce deuxième Future Summit, qui se tiendra le 14 juin à la Surf House, à Bruxelles, les organisateurs ont fait appel à quatre trendwatchers renommés : le Britannique Martin Raymond du Future Laboratory, le Danois Johan Peter Paludan du Copenhagen Institute for Future Studies et les Belges Maarten Leyts (Trendwolves) et Herman Konings (PocketMarketing/nXt).

En guise de mise en bouche, nous avons demandé à Herman Konings de nous livrer quelques clés du futur proche. Pas besoin de boule de cristal. Il s’est appuyé d’une part sur un diagnostic général de schizophrénie (on s’entoure d’objets high-tech et en même temps on est attiré par tout ce qui est  » technology free  » comme l’écologie ou les loisirs artisanaux). Et d’autre part sur les résultats d’une vaste enquête spécialement commanditée pour l’événement du 14 juin (et révélant, par exemple, que les médias traditionnels restent des sources d’information très crédibles ou que la chambre à coucher devient de plus en plus un espace multimédias). En malaxant toutes ces données, il a épinglé huit grandes tendances, dont nous livrons la substance en primeur. Prenez des notes, l’avenir s’écrit ici et… maintenant.

1. Babybloomers

Littéralement  » les enfants de la croissance « . Ils ont entre 35 et 50 ans et constituent la génération la plus puissante du moment. Mieux lotis que leurs benjamins, notamment parce qu’ils ont acheté une maison avant la flambée immobilière, les quadras disposent toutefois de moins de temps que leurs aînés au même âge. Les actifs ont en effet perdu en vingt ans en moyenne 7 heures de temps libre par semaine. Conséquence : ils cherchent par tous les moyens à rattraper le temps perdu. En parlant et en marchant plus vite que les générations précédentes ou en profitant des gains de temps qu’offrent les nouvelles technologies. On téléphone en faisant ses courses, on  » check  » ses mails en attendant le métro et ainsi de suite.

2. Fractional luxury

Le  » luxe en morceaux « . Posséder des produits de luxe est devenu une priorité pour beaucoup de gens. Mais tous n’en ont pas les moyens. Une solution : le leasing. Le Net a joué un rôle essentiel dans le développement de ce marché prometteur. La Toile sert en effet de point de rencontre pour tous les adeptes du luxe à coût réduit. Des sites (www.fractionallife.com) se sont même spécialisés dans ce business. Plusieurs personnes vont se mettre ensemble pour acheter un yacht, une Porsche ou un avion. Elles ne paieront qu’un certain pourcentage de la facture et pourront jouir du bateau, du bolide ou du coucou x semaines par an. Il est aussi désormais possible de louer des lits haut de gamme (Hästens). Ou de devenir propriétaire d’un olivier dans un champ en Italie (www.nudo-italia.com). Chacun a sa définition du luxe… Dans le même esprit, la pratique du sport se fait également plus morcelée. On veut tout essayer mais sans s’engager sur le long terme et sans trop se prendre la tête. On privilégie dès lors les initiations, au golf par exemple, et on plébiscite des activités physiques plus ludiques, moins réglementées. La console Wii de Nintendo, où le joueur doit mimer dans le vide les gestes de son avatar à l’écran, surfe sur cette vague.

3. répertoire des identités

L’homme est devenu un caméléon. Il change d’identité en fonction des circonstances. Dans le travail, il se comporte d’une façon, dans le privé, d’une autre. La complexification du monde lui impose ces métamorphoses. Et les nouvelles technologies lui donnent les outils pour changer de peau à la carte. Quand l’internaute gère ses comptes bancaires depuis son PC, il endosse le costume de banquier. Quand il réserve hôtels et transports en ligne pour ses prochaines vacances, il se mue en agent de voyage. Et quand il navigue dans les mondes virtuels comme Second Life, il est… ce qu’il veut. Je est un autre, et même plusieurs autres.

4. Calcumanie

Dans un monde où les connaissances les plus pointues sont à portée de clic, les individus sont devenus des experts en tout. Ces amateurs professionnels entendent du coup contrôler au plus près leur vie. Pas seulement leur portefeuille, mais aussi leur temps ou leurs calories. La technologie se révèle un allier précieux dans cette gestion millimétrée. Et on n’en est qu’au début. A présent que les réticences à l’égard du high-tech sont levées (cf. le taux de pénétration des GSM), on parle de plus en plus du concept de  » machine to machine « . Un label qui s’applique à tous ces appareils bourrés d’électronique capables de communiquer entre eux pour faciliter encore un peu plus la vie de l’utilisateur. C’est le cas du GPS qui  » dialogue  » en temps réel avec un satellite ou, plus étonnant, de ce radioréveil qui va vérifier les conditions météo et la situation du trafic sur votre trajet avant de déterminer l’heure de votre réveil… La domotique est pour demain.

5. Community culture

Grâce aux nouvelles technologies, et à Internet en particulier, les gens communiquent de plus en plus. Ils font connaissance sur des sites de rencontre ( rendez-vous. be), s’échangent bons plans et vidéos sur des sites de partage (You tube, Daily motion ou Flickr). Plus surprenant, ces relations virtuelles n’empêchent pas un investissement dans la vie réelle. Les jeunes n’ont ainsi jamais été aussi nombreux dans les mouvements de jeunesse (scouts et autres) et dans les associations militantes (genre Amnesty ou Gaia). Au contraire même, tout indique que la technologie stimule cette implication. On se rassemble à coups de SMS (flash mob ou rave), on signe des pétitions en ligne. Le  » cross-generational « , le fait que les générations jettent de plus en plus de ponts entre elles (on part en vacances avec ses parents, on accompagne ses enfants à un concert rock…), participe du même mouvement communautaire.

6. écoïsme

Ce néologisme, formé de la contraction des mots  » écologie  » et  » égoïsme « , désigne un nouveau comportement chez les groupes sociaux moyens à élevés. A mesure que l’écologie gagne du terrain, les classes aisées s’emparent du sujet et le recyclent en gadget hype. Revendiquer sa fibre verte relève ainsi aujourd’hui de la stratégie marketing pour renforcer son statut social… C’est ce qui explique que les stars circulent en voitures hybrides ou installent des panneaux solaires sur les toits de leurs maisons. Dépenser  » propre  » est donc devenu chic et trendy. Une industrie du luxe écochic est d’ailleurs en train de voir le jour. Paradoxe, pour convaincre les nantis de s’offrir, par exemple, une maison biodégradable, on ne va pas chercher à titiller une hypothétique conscience écologique mais bien leur démontrer qu’ils en tireraient un bénéfice en termes de prestige.  » On les convainc de passer au vert avec des arguments bleus « , résume Herman Konings.

7. selfness

Si le wellness (le culte du  » bien-être « ) s’occupe du corps (en témoigne la prolifération des spas, centres de soins, etc.), le selfness prend en charge la tête. Inspiré par les grands sportifs comme Justine Henin ou Tom Boonen qui ne font pas mystère de compter dans leur staff un  » mental coach « , l’homme de la rue n’hésite plus à faire appel lui aussi aux services d’un conseiller pour guider sa vie. L’idée du training, jusqu’il a peu réservée à la sphère professionnelle, descend donc dans la rue. Et inspire même des émissions de télévision comme  » Super nanny  » dans laquelle une nounou  » old style  » vient remettre de l’ordre dans des ménages en perdition.

8. Arts et métiers 2.0.

Savoir faire quelque chose de ses mains n’est plus considéré avec commisération. Dans un environnement en voie de standardisation accélérée, les loisirs et les métiers artisanaux prennent du galon. Ils apportent cette touche exclusive et cette authenticité qui manquent aux produits de grande consommation. Être boulanger ou ébéniste est ainsi devenu très tendance. Et pour peu qu’il y ait du talent à revendre, ce sont des métiers qui conduisent à la fortune et au prestige social. Faut-il encore rappeler les destins d’Alain Coumont (Le Pain Quotidien) ou de Pierre Marcolini ? Plus modestement, cette soif d’authenticité alimente le succès des loisirs créatifs. Le week-end, on bricole, on cuisine, on peint, on restaure de vieux meubles. Autant d’antidotes à l’inflation technologique, fort utile mais pas toujours très valorisante…

Laurent Raphaël

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