Avec Alfred Deller, Philippe Herreweghe, Jordi Savall et quelques autres, William Christie û claveciniste, chef d’orchestre, musicologue et enseignant û appartient à cette prestigieuse génération de musiciens qui ont remis la musique baroque à la mode. A la tête des Arts Florissants, qu’il a fondés en 1979, ce Français d’origine américaine (né à Buffalo, dans l’Etat de New York, formé à Harvard et à Yale, installé en France depuis 1971) est parti à la redécouverte du patrimoine musical français, italien, anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Cet ensemble, qui se produit aussi bien en formation de chambre qu’avec des solistes, ch£urs et orchestre, défend le répertoire sacré comme le répertoire de théâtre. Son parti pris ? Ne jouer la musique ancienne que sur des instruments anciens.

William Christie a ouvert à Weekend les portes de sa belle maison, nichée à la frontière de la Charente et de la Vendée. Au fil de la visite, il parle de son métier de musicien, de sa passion pour la musique ancienne et, aussi, de quelques-uns de ses jardins secrets.

Weekend Le Vif/L’Express : Quel rôle, pour vous, la musique doit-elle avoir dans la société ?

William Christie : Un rôle moralisant. La musique existe pour adoucir la vie, pour la soulager, pour la rendre plus supportable. Elle accompagne, c’est son rôle historique, tous les moments forts de l’existence : on naît avec elle, on meurt avec elle, les plus beaux instants de l’existence sont ponctués par de la musique. La musique a aussi un rôle thérapeutique : elle peut aider à guérir des embarras de l’existence.

Comment votre passion pour la musique baroque vous est-elle venue ?

Je ne sais pas. C’est arrivé par hasard, comme le goût pour le caviar, les artichauts, les olives ou le pastis. Un jour, j’ai entendu Rameau et Couperin et j’ai été séduit. Je crois, à l’analyse, que j’ai aimé trois choses chez eux : les formes, les discours et les instruments anciens. Peut-être aussi le côté fragilisé de cette musique… Une impression qu’elle était en péril, menacée, et qu’elle avait besoin d’être défendue…

Etes-vous fier d’être musicien ?

Evidemment. Je remercie tous les jours le bon Dieu de m’avoir désigné ainsi… J’ai une chance inouïe : je fais ce qui est ma passion. Mon métier me satisfait, me nourrit, soulage les autres… Je suis un privilégié.

Avec qui aimez-vous parler de musique ? Des musiciens ? Des peintres ? Des écrivains ?

Je fréquente beaucoup les historiens d’art. Nous avons des échanges très fructueux. Mais je suis aussi très visuel, très attaché aux couleurs, et je rencontre beaucoup de peintres. J’aime aussi m’entretenir de la musique avec des cuisiniers, la cuisine étant une de mes passions . A deux reprises, j’ai été apprenti cuisinier…

Les ressemblances entre la cuisine et la musique sont évidentes : il n’est question, ici et là, que d’accords et d’harmonie. Rossini est aussi connu comme un fin gourmet… Mais l’auteur du  » Barbier de Séville  » n’est peut-être pas votre compositeur préféré…

Détrompez-vous, j’aime beaucoup Rossini. C’est léger, frais. Et puis, il y a une dimension méconnue chez lui, à laquelle je suis très sensible, c’est son humour, son ironie…

Rossini a attaché son nom à une manière gourmande d’accommoder le tournedos. Y a-t-il un plat, un mets, une préparation dont vous aimeriez qu’on puisse dire  » il est à la William Christie  » ?

Peut-être la pêche Melba…

En cuisine, plongez-vous dans le passé, comme vous le faites en musique, pour partir à la recherche d’émotions fraîches ?

Je suis passé par toutes les étapes de l’art culinaire. Celles de la grande cuisine française. J’ai été apprenti dans une maison spécialisée dans la cuisine bourgeoise traditionnelle, avec fonds de sauce et compagnie. J’adore ça. Je me suis beaucoup intéressé aussi à la cuisine asiatique, à la cuisine chinoise, notamment, puis j’ai exploré les possibilités de la nouvelle cuisine. Je suis très éclectique. Mais, au total, je vais vers la simplicité, en insistant de plus en plus sur la fraîcheur des produits, leur qualité. J’ai un potager, une basse-cour, des poulets. Je connais de bons éleveurs des produits que je ne fabrique pas moi-même…

Avez-vous pensé à écrire un jour un livre de cuisine musicale ?

On me l’a déjà proposé. Pourquoi pas ?

A la frontière de la Charente et de la Vendée, vous avez choisi, pour villégiature, une des plus belles régions de France, certainement une des plus douces et des plus harmonieuses…

C’est vrai. C’est ce que j’ai cherché ici. Mais le pays s’abîme, parce qu’en dépit d’une extraordinaire fierté des gens, apparaît un phénomène regrettable : l’américanisation du paysage. Je ne suis pas rétro. Je ne tiens pas, à toute force, à vivre dans le passé, mais j’aimerais que les gens respectent la beauté, le patrimoine. Il y a des gens qui ne respectent rien, il y en a de plus en plus, et c’est inquiétant. Sous prétexte de progrès, d’amélioration de la vie, on détruit le patrimoine. Il est grand temps de réagir, de prendre conscience que notre époque détruit considérablement, qu’elle a plus détruit en quelques années que ne l’avaient fait les siècles passés, avec leur lot de guerres et de révolutions. C’est désolant. La Vendée est encore belle, mais on a commis de terribles erreurs. Il est peut-être encore temps de les réparer.

On vous connaît une autre passion encore : le jardinage. Est-ce pour vous un besoin d’être rassuré par un contact avec la  » terre nourricière « , avec les réalités indiscutables du cycle des saisons, des aléas climatiques ?

Oui, certainement un besoin d’être rassuré, un besoin de contact physique avec la nature. Avec mon frère et ma s£ur, enfants, nous avons toujours vécu à la campagne. Nous avons tous eu notre crise par rapport à la nature, mais nous nous retrouvons tous, aujourd’hui, avec des propriétés à la campagne, eux aux Etats-Unis, moi en Vendée.

Votre jardin et votre musique entretiennent-ils des rapports ?

Naturellement. Les points communs entre jardin et musique sont nombreux. Je m’attache à deux en particulier : l’architecture (celle d’un jardin ressemble à celle de la musique) et les couleurs (celles des fleurs sont les mêmes que celles de l’orchestre). Au total, mon jardin me donne beaucoup d’idées pour ma musique.

Propos recueillis par Robert Colonna d’Istria

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content