En signant une ligne de meubles high-tech résolument avant-gardiste, le créateur de motos et d’automobiles futuristes Sacha Lakic confirme son goût pour le travail dynamique de la matière. Rencontre avec un designer passionné de vitesse et de technologies qui ne sera jamais rangé des voitures.

On le savait plutôt porté sur les belles mécaniques. Ces lignes aérodynamiques qu’il crayonnait, tout petit, en grandeur nature, sur le sol de la cour de sa maison d’enfance, Sacha Lakic avait déjà l’espoir secret de les voir se mettre en mouvement. Ses rêves de vitesse se sont réalisés, chez Peugeot d’abord, où, en autodidacte, il fait l’apprentissage du métier de designer avant de rejoindre l’agence d’Alain Carré. Chez ce designer vedette des années 1980, il dessinera ses premiers prototypes de motos futuristes pour Kawasaki, Suzuki, Yamaha. MKB lui demande aussi de rajeunir l’image de ses scooters et de ses bicyclettes ce qui lui donnera l’envie de créer des vélos high-tech en fibre de carbone. Il a 29 ans lorsqu’il fonde, en 1993, la société Sacha Lakic Design à travers laquelle il imposera de plus en plus son propre style en créant des objets  » intelligents qui ne polluent ni l’environnement de l’homme ni son esprit « , nous assurait-il avec enthousiasme, confortablement installé dans le canapé Puz qu’il vient de dessiner pour Roche-Bobois. Il y a quelques mois à peine sortait Speed Up, sa ligne terriblement sixties de meubles fluides, racés, technologiques même, quand on regarde les matériaux qui les composent (Daquacryl thermoformé, composite fibre et carbone laqué, acier satiné…). Alors qu’il signe le design avant-gardiste de la Venturi Fetich,  » la première voiture de sport électrique aux performances hallucinantes « , Sacha Lakic poursuit donc pour l’éditeur français son exploration de la maison en proposant des meubles qui, il l’espère,  » accompagneront la vie de leurs nouveaux propriétaires pour longtemps « .

Weekend Le Vif / L’Express : Qu’est-ce qui vous a donné l’envie, après toutes ces années passées à dessiner des objets en mouvement, d’entrer dans l’univers forcément plus statique du design d’intérieur ?

Sacha Lakic : J’avais déjà dessiné le lit Onda en bois moulé pour Roche-Bobois en 1996, une sorte de tapis volant, de tatami très près du sol qui s’accompagnait d’un semainier et d’une commode. Mais à l’époque, je n’étais peut-être pas autant excité par l’idée de concevoir des meubles que je le suis maintenant. C’est une question de maturité sans doute. Mais je ne suis pas un designer de meubles, je suis un designer tout court ! Quoi que je fasse, mon approche sera toujours la même : il faut que ce soit parfaitement proportionné et fonctionnel. Avec Speed Up, je m’inscrivais dans une ligne résolument contemporaine, limite avant-garde. Dans la foulée, j’ai immédiatement imaginé d’autres produits, comme la table Dyna avec ses chaises en coque de bois moulée ou le canapé Puz, d’apparence un peu plus classique mais revu à ma manière, en épurant le dessin, en simplifiant un maximum les choses. Cette année, j’ai encore une dizaine de nouveaux produits qui vont sortir chez Roche-Bobois. Un lit notamment, qui sera beaucoup plus ludique qu’Onda.

Votre attitude est-elle fondamentalement différente, selon que vous dessinez un meuble ou une voiture ?

J’éprouve aujourd’hui la même passion quoi que je dessine. La seule réelle différence, finalement, c’est que le véhicule est vraiment en mouvement. Moi, j’aime donner une illusion de mouvement, d’accéléré, à des objets statiques, en jouant sur l’asymétrie. Comme avec la vague, sur l’armoire Speed Up. En automobile, on aime jouer avec la lumière, regarder les reflets qui se projettent sur le capot. J’ai travaillé cette collection comme une carrosserie. Un meuble est souvent plat ou simplement sculpté. Je voulais ajouter une troisième dimension.

Les objets que vous créez, aimez-vous les imaginer figurant dans un intérieur particulier ?

J’aime New York, je verrais très bien mes meubles dans l’univers d’un loft new-yorkais caractéristique. Mais pas seulement. Je les vois aussi très bien dans une maison d’architecte japonais, où se mêlent le verre, le béton et la lumière, où tout ce qui l’entoure s’intègre à l’intérieur sans cassure. Ce qui m’intéresse avant tout, ce sont les contrastes : j’aime placer des objets fluides dans des univers structurés, intégrer une vague aléatoire, isolée, sur une forme carrée, mêler le rugueux et le lisse, le froid et le chaud, la courbe et la ligne droite

Une chaise, un lit, ce sont des objets aux fonctions bien définies. Comment arrivent-ils à vous inspirer ?

Je dessine un meuble un peu comme un logo. La chaise Woody, je l’ai esquissée de profil, en quelques traits. Les idées me viennent toujours comme ça, sur un coin de table, souvent en écoutant de la musique. Dans le domaine, j’ai des goûts très éclectiques. Je suis tout aussi inspiré par les DJ du moment, la musique électronique que la pop contemporaine, Gainsbourg qu’Aznavour. Un peu de classique et de jazz. Je regarde aussi tout ce qui se passe tant dans la mode que l’architecture. J’aime associer design et technologie de pointe. Prenez la Fetish de Venturi : c’est la première voiture de sport électrique commercialisée au monde. La preuve qu’on peut réaliser une voiture propre, silencieuse qui soit excitante à conduire. Elle a des batteries au lithium, une carrosserie en carbone et des performances hallucinantes… Le fait de choisir cette technologie, c’est ça qui va la rendre unique. De la même manière, si vous prenez la table Speed Up, elle a un plateau de 80 kilos posé sur un pied très fin. Pour réaliser cela, j’ai utilisé du carbone. ça a l’air simple, mais il y a pas mal de technologie derrière tout ça.

A quoi sert, selon vous, le design aujourd’hui ?

Le design, pour moi, symbolise en quelque sorte un art de vivre. Un designer, c’est celui qui a le talent de matérialiser ses propres idées, pour lui d’abord mais aussi pour les autres ensuite. Il est le reflet de la société dans laquelle il vit. Les meubles que j’ai conçus, ce sont vraiment ceux que je voudrais chez moi. Je suis incapable de dessiner juste pour plaire aux autres. Je veux faire rêver en proposant quelque chose de vraiment nouveau. Ce qui m’intéresse, c’est toucher les gens, susciter une émotion qui va peut-être provoquer l’acte d’achat. Ce meuble deviendra alors intemporel car il va accompagner la vie de ses propriétaires pour longtemps.

Quand vous planchez sur un projet, vous donnez-vous des limites ?

Quel que soit l’univers de création, pour moi, la question de la rentabilité est toujours présente, même au premier stade du design. Cela fait partie intégrante du métier de designer, c’est tout simplement évident. Toutes les industries de pointe, aujourd’hui, ont plus ou moins la même technologie. La différence se marque par le design, le style et l’émotion qu’il procure. On ne peut pas prendre le design à la légère. C’est pour cela aussi que les designers sont de plus en plus médiatisés.

La collection Speed Up est clairement inspirée des années 1960. Un petit soupçon de nostalgie ?

Quand je crée un meuble, je raisonne de la même manière que pour une moto ou une voiture. Je me débrouille pour proposer des objets qui ont un caractère fort, qui sont pensés en termes de forme et de fonctionnalité. Si je regarde en arrière, ce n’est pas pour m’inspirer du passé, mais pour m’assurer que je ne vais pas reproduire par accident quelque chose qui a déjà été fait. Ce sont des créations uniques car je ne voudrais pas signer des objets qui n’apportent rien. L’important, c’est de regarder devant, le plus loin possible sans pour autant foncer dans le tas. Car si l’on est trop en avance, on n’est pas non plus en accord avec son temps.

Vous touchez vraiment à tout, de l’automobile à l’accessoire de mode, du meuble à la bouteille de bière branchée ? Vous avez besoin de cet éclectisme ?

Complètement. Le meuble prend une importance de plus en plus grande dans mon travail, mais je veux garder aussi mes autres collaborations. J’ai adoré travailler sur le packaging de la bière monégasque Propaganda, comme véhicule de communication. Tout est une question d’échelle. J’aimerais travailler sur un immeuble. Ou même sur un bateau. ça, j’en ai vraiment envie, plancher tant sur le confort à bord que sur le design de la coque. Pour le plaisir de la navigation. Je devrais bien sûr me faire aider par un architecte naval mais en automobile aussi, j’ai travaillé avec des ergonomes aérodynamiciens. La plupart du temps, c’est d’abord une question de contact humain. Je dois être en phase avec les personnes qui vont me demander de concevoir un design. J’ai besoin de sentir la confiance qu’on me porte. Si j’ai l’impression qu’on se repose vraiment sur moi, je pourrais décrocher la Lune ! Les gens qui travaillent avec moi savent que je vais leur apporter quelque chose de très typé. Cela ne m’est presque jamais arrivé d’avoir une idée et d’aller frapper à la porte de celui qui pourrait la réaliser. Je préfère les garder pour les ressortir au moment voulu. Car elles sont souvent en avance, décalées. Elles restent valables, même plus tard.

Pourriez-vous, comme d’autres créateurs, imaginer la scénographie ou le décor d’un spectacle ?

Pourquoi pas ? Mais un spectacle, c’est peut-être trop éphémère pour moi. J’aime laisser une empreinte, créer un objet intemporel qui ne va pas se démoder. C’est peut-être pour cela que, contrairement à mon père qui était styliste de mode, je me suis détourné de ce monde-là, trop superficiel à mon goût, car on y change trop vite de direction. Le meuble, l’architecture ou l’automobile marquent davantage leur temps.

Propos recueillis par Isabelle Willot

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content