Dans  » Party de vie « , le célèbre DJ night-setter parisien trace son itinéraire d’enfant du soleil ébloui par les brillants de la nuit. Un livre en rose et noir qui expose aussi un autre Claude Challe.

Dans certains pays à la démocratie frileuse, on imagine bien Claude Challe arrêté en pleine rue par la brigade du crime visuel. Les preuves ne manquent pas. Au hasard : veste orange implosée, pantalons de sherpa, chaussures bicolores, chapeau zazou, écharpe zébrée, soit un croisement biochimique entre le dalaï-lama, Kid Creole et le clown sympa de votre cirque de quartier. Ce n’est pas tout puisque Challe possède un rire dont la monstruosité tonitruante – retenez les lustres – est capable de couvrir les basses d’une soirée House ou le décollage d’un jet à pleins réacteurs. Fringué comme un bonze daltonien, Challe trimballe un long rapport amoureux à la nuit qui l’a plus souvent mis dans les bras de Jack Nicholson, de Roman Polanski ou de bataillons de jeunes femmes affriolantes, que dans ceux de Morphée. Peu de choses destinaient ce fils de tailleur juif tunisien à devenir une figure publique, mais quarante années de nuits et l’avènement des compilations lounge Buddha Bar – dont il a orchestré les deux premiers volumes – en ont décidé autrement. Dans  » Qui est Claude Challe ?  » (*) écrit avec Pierre Grillet, son  » ami intime « , le frais sexagénaire raconte avec drôlerie, sincérité et parfois naïveté, son abracadabrant parcours de titi juif parisien devenu membre de l’Internationale de la Nuit.

Weekend Le Vif/L’Express : Dans  » Party de vie « , il y a cette scène hallucinante où tu atterris à l’aéroport de Bombay avec ta valise chargée de CD, pour un mariage princier. Le douanier est réticent : arrive alors son chef qui te prend pour une sorte d’envoyé de Dieu sur Terre. Et tu finis par quitter l’endroit en bénissant tous les agents des douanes qui n’en reviennent pas…

Claude Challe : Un ami producteur m’a certifié que c’était digne d’une scène de film ! C’est effectivement complètement surréaliste et impossible à inventer. Je me suis retrouvé à bénir ces gens avec cinq cents personnes qui poireautaient derrière moi, à la descente de l’avion… Je ne comprenais pas que le type qui m’avait fait venir n’ait pas arrangé le coup. Je me rappellerai toujours le regard du chef scrutant ma chaîne – celle qui combine les trois symboles musulman, juif et catholique – et qui a dit  » Be careful, this man is a powerful man ! « … C’est la première fois qu’on me disait que j’étais quelqu’un de puissant !

Il y a aussi cette arrestation à Los Angeles où les flics fouillent ta voiture et trouvent une fiole avec des résidus de cocaïne qui  » appartenait à une copine « .

Oui, en quelques heures, je suis passé du rêve au cauchemar américain. Les flics, les menottes, la poursuite. Je ne me suis jamais senti un bandit parce que j’ai toujours fait les choses dans la légalité : je suis un peureux et je ne sais pas mentir. Donc, quand les flics m’ont déshabillé pour me faire enfiler la tenue pénitentiaire et me mettre dans une cellule avec trois types patibulaires, j’ai hurlé ! Tout de suite. C’est ce qui m’a sauvé. J’ai trouvé que pour un dépucelage, c’était un peu dur (rires). Jusque-là, j’avais fait semblant de ne pas parler anglais mais j’ai quand même crié  » Help ! « .

C’est le moment d’effroi du livre…

Cette démocratie américaine est une démocratie de l’argent : je dis pourquoi je n’aimerai jamais l’Amérique et c’est parce qu’elle n’a qu’un seul Dieu et c’est le dollar ! Mon rapport avec l’argent est très simple : comme j’ai eu la facilité d’en gagner très vite étant très jeune, il n’a jamais été le moteur. Je n’ai jamais rien mis de côté, je suis une cigale, pas une fourmi. Mon père était comme ça aussi, aimant briller sur le moment. Ici, je ne suis même pas propriétaire ( NDLR : l’interview a lieu dans le spacieux duplex de Claude Challe près de la Bastille), donc je pense que je vais aller un an ou deux à Marrakech où je possède un petit appartement (140 m2 quand même). Même s’il y a des soucis au Maroc…

C’est-à-dire ?

Déjà l’attentat contre la synagogue de Casablanca a été un choc et je sais ce que les écoles coraniques inculquent aujourd’hui aux jeunes du Maroc… A cause des événements entre Israël et la Palestine, voici ce que l’on apprend aux gamins : parler ou serrer la main à un juif, et surtout, pour une jeune femme, faire l’amour à un juif, signifient l’enfer. J’adore le Maroc, le pays, les gens et aussi, pour la première fois, un souverain : ce monsieur me sidère. En six ans de règne, les femmes du Maroc ont décroché les mêmes droits que les femmes européennes. Pourtant, on n’annonce que de mauvaises nouvelles : pourquoi ne parle-t-on nulle part de la réunion qui a récemment eu lieu pendant une semaine à Séville entre imams, rabbins, archevêques et autorités protestantes ? J’ai appris cette info par la télé marocaine avec celle qui est ma fiancée depuis neuf ou dix mois : elle a 20 ans et est marocaine musulmane. Je suis un coq en pâte, je ne pensais pas pouvoir être aussi serein avec une femme.

De quelle façon ?

Elle a 20 ans, mais elle a le sens des responsabilités et de l’essentiel. Depuis un mois que je fais de la promo et que je rentre tard, j’ai découvert en elle la cuisinière qui me prépare des plats incroyables. Comme je l’ai dit à un magazine marocain, je prouve tous les jours que dans un pays musulman, juif ne cachant pas sa judaïté, je peux vivre en harmonie avec mes frères musulmans comme le faisaient mes ancêtres.

Tu racontes que tes petits camarades de classe d’après-guerre,  » fils de collabos « , te traitaient de  » sale youpin  » et que tes parents ont donc décidé de te mettre dans une école juive.

Oui, à l’école Lucien de Hirsch, avenue Secrétan, qui existe toujours. Je suis ce que je suis grâce à ces dix ans passés dans cette école qui m’a fait découvrir des textes intéressants : au lieu de  » Mes ancêtres les Gaulois « , j’étais dans la Bible qui est quand même un sacré bon bouquin et un best-seller (sourire) ! Le rituel religieux de mes ancêtres, que je menais de manière pratiquante extrême, m’a donné une discipline. Plus tard, à travers les philosophies orientales, j’ai découvert que le bonheur était ici et maintenant ! Le moment est sacré.

Cela nous amène à ta visite au QG du dalaï-lama en Inde où tu entres en discussion avec l’une des autorités supérieures de l’endroit – le lama Taï Sithou Pa – en traitant le système bouddhiste d’  » esclavagisme féodal  » contemporain !

On se retrouve trois jours à vivre dans un monastère, chez un ami de Fabien Ouaki ( NDLR : héritier de la marque Tati, sponsor de la Maison du Tibet en France), chez un lama qui est l’un des quatre grands de la hiérarchie tibétaine. Cet homme, brillant, a reconstitué un petit Lhassa en haut d’une montagne : là, je découvre que les moines servant le repas, arrivent vers lui, la tête baissée, en tenant leur robe par les dents, et que lui est perché sur un trône devant nous, assis par terre. C’est tellement inconfortable que je m’allonge et commence une discussion étonnante, très animée, avec lui. C’est comme le cardinal que je rencontre dans cet hôtel à Madrid dont je refuse d’embrasser la bague. Tu l’embrasses, toi, la bague d’un cardinal ? Moi, ce qui m’a gêné, c’est que cette bague est tachée du sang de la religion ! Je n’avais jamais pensé être aussi prêt d’un cardinal. Et même si Jésus est mon héros – avec Bouddha – il est le symbole de la croix, de la souffrance. Je pense que cette culpabilité ne permet pas le bonheur. Dans mon livre, je dis que le monothéisme ne peut plus me convenir parce qu’il n’y a que des sens interdits et des sens obligatoires.

Mais n’est-il pas illusoire de vouloir fonder une religion transversale avec un syncrétisme de croyances ?

Le Dieu est le même pour les trois religions, mais Dieu est trop grand, trop beau, trop miséricordieux, pour avoir à nous punir. Si Dieu existe, il ne demande qu’une chose, c’est qu’on s’épanouisse et qu’on grandisse.

Dans des situations extrêmes évoquées dans ton livre, tes chagrins d’amour ou de ton cancer, tu invoques Dieu…

Quand cela va mal, la religion est une béquille et quand on n’a plus de béquille, il reste la prière, mais je crois surtout à mon destin, à ma force personnelle. Les chagrins d’amour sont les seuls moments où je ne trouve pas le moyen de m’en sortir… J’ai toujours eu le courage d’arrêter mon boulot pour vivre mes histoires d’amour. Donc, quand une histoire s’arrête, je ne suis plus rien, une loque, l’ombre de moi-même. Dans le livre, je raconte que j’en suis même arrivé à vouloir me suicider et que ma fille m’a sauvé !

Cela aurait pu être la fin abrupte d’une vie de roman.

Un jour, une femme avec qui je vivais depuis quelques mois, m’a dit :  » Tu n’es pas un artiste, mais ta vie, tu en fais une £uvre d’art  » (sic)… C’est l’un des plus beaux compliments que l’on m’ait fait. J’essaie de sublimer chaque instant. Je suis un rêveur et c’est ce qui me donne la force.

Le goût de la fringue est-il génétique pour toi, fils de tailleur ?

Oui ! Tout môme, mon père me fabriquait des costumes trois pièces dans des alpagas incroyables, des pieds-de-poule, des prince-de-galles, j’étais habillé comme un petit milord. Il y avait toujours une fête juive où il fallait un nouveau costume : j’ai eu un père et une mère qui étaient gagas devant moi. J’étais le dernier de la classe et ils me disaient :  » Tu n’a pas de chance, il y a des meilleurs que toi  » (rires). Cela donne confiance en soi. L’un des plus beaux cadeaux est l’amour, l’amour, l’amour. Ma fille, où que je sois dans le monde, même sur une île déserte, je me débrouillais pour l’appeler tous les soirs à vingt heures !

N’es-tu pas fatigué de la jet-set ?

Mes vrais amis ne sont pas de la jet-set : ce sont des gens que j’ai connus quand ils n’avaient pas un sou, qui ont souvent réussi et qui n’ont pas changé ! Des amis comme les Ventilo ont eu leur château, leur jet, leur Bentley mais ils en sont revenus. Avant-hier, je dînais chez l’un des frères Ventilo dont la fille allait faire du baby-sitting pour se faire de l’argent de poche. J’ai trouvé cela très bien. J’ai gardé des contacts avec eux et cela m’a rassuré de fréquenter des gens qui avaient des familles, trois ou quatre enfants.

Au fond, tu es assez conservateur, non ?

J’aime bien les bases. Cela me rassure énormément. Le meilleur son – je suis toujours à la recherche du son – est celui des enfants qui jouent dans une maison ! Malgré toute mon expérience et mon vécu, je ne suis pas blasé et reste émerveillé devant les choses les plus simples de la vie.

On t’a souvent pris pour un gay, non ?

Oh oui : c’est incroyable, dans les dîners publics, certaines personnes, histoire de faire croire qu’elles me connaissent bien, disent que je suis bisexuel et cocaïnomane ! J’aurais aimé être bi mais j’aime trop la femme : le corps d’un homme ne m’attire pas ! Si je n’avais pas eu, gamin, la femme qui m’a fait descendre le testicule (voir livre), j’aurais pu être gay ! Les gens ne peuvent pas croire que je ne boive que de l’eau. Ils pensent que je carbure à la coke, ce qui n’est pas vrai. C’est pas mon truc, cela m’endort plutôt ! J’ai perdu pas mal d’affaires parce que mes associés étaient accros. Je prends juste le pétard qui me permet de démarrer au quart de tour : même la fumée du voisin me suffit !

As-tu toujours le costume du  » Joker  » de Batman que t’a offert Jack Nicholson ?

Oui. Nicholson est comme moi : il aime les femmes et la musique. Par contre, il est fou de sport, et moi pas du tout… Chez lui, à Aspen, il se calait des heures durant devant son écran géant pour voir le basket, le hockey. Bof !

Aujourd’hui, tu es vêtu d’une simple djellaba orange et rasé de près… Ne serais-tu pas en phase de simplification visuelle ?

Peut-être. Quand je suis dans l’énergie et la création, je suis bien. Là, je monte une collection de mode pour la rentrée 2007, cela s’appellera  » Claude Challe – Spiritwear « … J’aurais adoré travailler à l’ancienne, serrer la main d’un mec en guise de contrat mais, maintenant, ce n’est plus possible !

Comment vis-tu la nuit d’aujourd’hui ?

Je ne sors pratiquement plus la nuit à Paris, parce qu’il n’y a plus guère d’endroit où j’ai envie de sortir. La semaine dernière, j’avais rendez-vous au Café de Flore qui était entouré d’un barrage de CRS, à cent mètres de la rue Bonaparte où avait lieu une soirée donnée par Diesel. Un truc délirant avec des lasers, des machins, des DJ, le tout- Paris branché se trouvait à cent mètres des flics. C’est de la décadence non ? Mais ailleurs, à Marrakech, Prague, Beyrouth, Tel- Aviv, Istanbul, je sors…

La période  » glorieuse  » des Bains, la boîte parisienne que tu tenais avec ton associé dans les années 1980, a été une sorte de moment unique de la nuit. On ne voit pas très bien comment, aujourd’hui, on pourrait revivre cette excitation !

Les Bains étaient remplis à 60 % par des habitués ! C’était plein tous les jours. La plupart des clients étaient étrangers, des écrivains, des créateurs de mode, des étudiants – l’endroit était fait pour les artistes – et surtout, il s’y croisait tous les âges et toutes les classes sociales confondues. C’était cela qui faisait l’énergie de l’endroit. Aujourd’hui, Paris est ghettoïsé, les  » vieux « , c’est-à-dire les gens de plus de 35 ans, ne sortent plus et les musiques sont pour les jeunes. Je ne sais pas si j’ai envie d’écouter AC/DC quand je sors, c’est ça le nouveau son ou les sons électros minimalistes qui ne font pas bouger le cul. Moi, j’aime les mélanges, je suis tout-terrain, multi-tout !

As-tu écrit  » Party de vie  » pour montrer également que tu n’étais pas qu’un  » clown  » ?

Non, je pense que j’ai d’abord voulu donner confiance aux gamins : si vous croyez en quelque chose, il faut y aller, il faut le faire. Tout est vrai dans ce livre, rien n’est romancé et je pense qu’on me voit aussi dans des moments peu glorieux : c’est vraiment la vérité.

(*)  » Party de vie « , aux Editions Panama.

Propos recueillis par Philippe cornet

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