Comme Ryan Bingham, l’antihéros du nouveau film de Jason Reitman In the Air, ces nomades de luxe prennent l’avion comme d’autres leur voiture. Pour fidéliser ces voyageurs d’élite, les compagnies aériennes ont créé des clubs très privés.

 » L’an dernier, j’ai passé 322 jours en voyage et parcouru en tout plus de 350 000 miles. La lune n’est qu’à 250 000.  » Celui qui parle ici n’est pas un voyageur ordinaire. Un de ces passagers lambda coincé à côté des toilettes, contraint de plus en plus souvent à payer ses consommations ou son journal. Ce n’est pas non plus le type que sa société balade plusieurs fois par mois en classe éco aux quatre coins de l’Europe et qui rêve de s’offrir, à la fin de l’année, grâce aux miles qu’il aura accumulés sur sa carte de  » frequent flyer « , deux billets gratuits pour emmener sa femme à Rome. Non, notre baroudeur de luxe est l’un de ces nomades professionnels hors catégorie pour lesquels les compagnies aériennes ont créé des statuts d’élite, aux secrets presque aussi bien gardés que ceux d’une loge maçonnique.

Ryan Bingham, le héros du nouveau film de Jason Reitman, brillamment incarné par George Clooney, fait partie de l’un de ces cercles très privés. Fidèle dans tous ses déplacements à American Airlines (AA) – en étant l’unique partenaire aérien du film, la compagnie américaine a réussi un placement de produit exemplaireà -, il n’a qu’à montrer sa carte frappée du logo Concierge Key pour que l’ensemble du staff, au sol comme à bord, le soigne aux petits oignons. Ce club – bien réel mais dont AA n’aime pas trop parler -, seule une infime partie des passagers en fait partie car on ne peut en devenir membre que  » sur invitation seulement « . Alors qu’elles facturent de plus en plus de services de base à leurs clients voyageant à l’arrière de l’avion, les compagnies aériennes multiplient les attentions à l’égard de leurs  » über frequent flyers « . Ainsi, Continental Airlines vient-elle d’imaginer une nouvelle catégorie baptisée Presidential Platinium pour ses passagers dépensant plus de 30 000 dollars (environ 21 600 euros) en tickets chaque année. Chez Delta, on parle de niveau Diamond, chez SAS de Pandion et chez Brussels Airlines, depuis son rachat par Lufthansa et son entrée dans le programme de fidélité Miles & More, de cercle HON (comme honorable).

 » Les conditions pour en faire partie sont extrêmement strictes, insiste Pascale Beeckman, en charge des relations clients et du programme Miles & More chez Brussels Airlines. Il faut accumuler 600 000 miles – mais uniquement en volant sur nos avions ou ceux de nos partenaires – sur deux années civiles consécutives.  » Si Pascale Beeckman préfère rester discrète sur le nombre de ses HON et leur identité, elle confirme bien qu’il en existe plusieurs en Belgique. Des hommes, en majorité, voyageant surtout vers l’Afrique pour leurs affaires. Des clients exigeants, conscients de leurs privilèges et n’hésitant pas à en user, qui connaissent souvent l’aéroport mieux que les gens qui y travaillent. Au rang des  » bénéfices  » que l’on veut bien rendre publics, on retrouve bien sûr un accueil personnalisé, la garantie d’avoir la meilleure place à bord, des invitations à des soirées de prestige, notamment lors du lancement de nouvelles destinations, la mise à disposition prochainement d’une Porsche Cayenne pour tous les déplacements sur le Tarmacà Et bien sûr des offres ciblées permettant de doubler ou tripler le nombre de miles acquis lors d’un voyage, lorsqu’approche la date fatidique du décompte annuel !  » Car pour rester HON, c’est 600 000 miles et pas un de moins « , martèle Pascale Beeckman.  » Pour conserver mon statut élite chez United Airlines, je n’ai pas hésité à prendre un avion de Los Angeles pour Chicago pour m’acheter une pizza « , avouait même Jason Reitman, lors de la sortie aux États-Unis en décembre dernier d’In the Air.

Cadre dans une société spécialisée dans l’informatique bancaire, Arve Schrøder se souvient avec nostalgie de ses deux années de membre élite chez SAS.  » Un jour, j’ai reçu une lettre signée par un haut dignitaire du management m’informant que j’avais rejoint le cercle Pandion, rappelle-t-il. Nous étions 700 à l’époque.  » Ici, pas question de terminal ni de lounges privés dans les aéroports comme chez certains gros acteurs du secteur.  » J’étais convié à des dîners, à des concerts, ajoute Arve Schrøder. Dès que j’arrivais à bord, on me saluait par mon nom. Si je n’étais pas en business et qu’il y restait de la place, j’étais systématiquement surclassé. Et si je devais rester en classe économique, l’hôtesse apportait une collation spéciale pour moi mais aussi pour les personnes qui m’accompagnaient. Je ne vous dis pas les regards en coin des autres passagers ! J’avais aussi droit à des excédents de bagages et surtout ma place à bord de n’importe quel avion était garantie à condition d’arriver dans les temps pour l’embarquement. Si nécessaire, SAS aurait  » éjecté  » un autre passager. Mais je n’ai jamais utilisé ce privilège.  » Depuis, Arve Schrøder ne voyage plus autant. Et sa carte Pandion n’a pas été renouvelée.  » Surtout, crise oblige, maintenant, quand nous volons, c’est en éco « , regrette-t-il. Derrière le rideau cachant pudiquement à la caste des petits payeurs, les plaisirs olympiens des nouveaux chevaliers du ciel.

Par Isabelle Willot

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