Dépoussiérée, l’orfèvrerie retrouve son éclat, aidée par le talent d’une nouvelle génération de créateurs. Leurs ouvres sont encore peu connues. C’est le moment de les découvrir… et, si l’on en a les moyens, de les acheter!

Que d’argent ! Au Salon du collectionneur, en septembre dernier, au Grand Palais à Paris, l’orfèvre Goudji avait droit à un stand pour lui tout seul, offert par la galerie Claude-Bernard. A Londres, mi-octobre, ce sont les coupes et les vases signés du Japonais Hiroshi Suzuki, ainsi que les incroyables fleurs de Junko Mori, qui brillaient au Pavilion of Art & Design. Il est temps de s’intéresser à l’argenterie d’aujourd’hui. Et sans tarder. Il y va peut-être de votre fortune à venir…

Prenez l’exemple de Goudji. Ses créations, à incrustations de pierres dures, inspirées de civilisations antiques, sont à présent fort prisées. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas. Ce Géorgien, fuyant la dictature soviétique, arriva en France, il y a trente ans, avec, pour tout bagage, six cuillères en argent offertes par sa mère, en cadeau d’adieu. En fondant cet unique trésor, Goudji conçut ses premiers modèles, qu’il exposa dans les salons professionnels de la porte de Versailles. S’ensuivit une belle carrière. On regrette de ne pas s’être penché sur sa production plus tôtà Misons, donc, sur les jeunes.

Hiroshi Suzuki a le vent en poupe. A peine sorti du Royal College of Art de Londres, en 1999, il fut remarqué par le Victoria & Albert Museum, qui lui acheta une pièce. Un vase sublime, dont la paroi creusée de vagues semble onduler pour toujours. La cote du Nippon a aussitôt fait des bonds. Il est vrai que son marchand britannique, Adrian Sassoon, fréquente le beau monde. Dans le petit catalogue consacré à Suzuki, le duc de Devonshire ne pose-t-il pas, fier, dans son château de Chatsworth, au côté d’un vase du Japonais ? La première exposition en solo d’Hiroshi est programmée pour 2010, à Londres. Hâtez-vous ! Les prix vont grimper. Selon le poids, la taille, la difficulté de réalisation, ses vases coûtent entre 5 000 à 25 000 euros.

Onéreux, dites-vous ?  » Une pièce d’orfèvrerie est beaucoup plus accessible qu’un tableau du xviie siècle !  » rétorque Marie-Josée Linou, conservateur en chef du musée Mandet, à Riom (Puy-de-Dôme). Ce dernier n’est autre que le seul musée français à collectionner l’orfèvrerie contemporaine, et avec assiduité :  » Nous possédions un remarquable ensemble d’argenterie ancienne, il semblait naturel de le prolonger.  » Dans le musée rénové, au c£ur de l’Auvergne, la collection se déploiera l’année prochaine en majesté. Marie-Josée Linou guette aussi bien les £uvres d’artisans, comme celles du Bordelais Roland Daraspe, que les productions de designers tels que Gae Aulenti, Olivier Gagnère, Elisabeth Garouste, Mattia Bonetti, Ettore Sottsassà Suivons son exemple.

Les moins fortunés se tourneront vers le métal argenté. Chez Christofle, qui vient de produire une nouvelle pièce de haute orfèvrerie avec l’exubérant Karim Rashid, un beurrier dessiné par Andrée Putman ne coûte pas plus cher (490 euros) qu’un modèle classique. De plus, son design élégant alimente les conversations. Un vase conçu par Martin Szekely n’est pas plus ruineux (915 euros) qu’une pièce anonyme. Au contraire : sa forme épurée permet une élaboration moins longue. Prendront-ils de la valeur ? Tout dépend du nombre d’exemplaires fabriqués. La rareté déterminant les prix, la pièce unique sera toujours plus cotée que l’objet de série. Il faut donc entrer chez ces artisans qui £uvrent dans la solitude de leur atelier.

Songez que, à partir d’une simple feuille de métal, ils créent une forme rien qu’en la martelant. A répéter les coups de marteau, cent fois, deux cents fois, mais au bon endroit, non seulement ils  » montent  » la pièce, mais ils en décorent la surface. Certes, dans ce domaine, la France n’est plus une pépinière. Les  » sculpteurs en orfèvrerie  » sont nombreux en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas ou en Suède, où des écoles les forment activement.Quant à l’Italie, on le sait, elle affiche en matière de design une vitalité jalousée. Les créateurs se traquent dans les foires internationales. Pour reconnaître leur talent, observez l’originalité du style. Ainsi, la technique mise au point par les Allemands Henriette et Martin Tomasi est inédite. Ils étirent des fils d’argent pour façonner des coupes, dont l’aspect rappelle celui de la barbe à papa. Succulent. Jamais vues non plus, les  » granulations  » de David Huycke ! Ce Flamand de 42 ans conçoit des sphères ou des coupes avec de minuscules billes d’argent. Il compose aussi avec ces petits grains des boules qui, une fois assemblées, se font sculptures. Une quinzaine de pièces par an (entre 3 500 et 11 000 euros) naissent ainsi de ses mains. Impossible, du fait de la lenteur du processus, d’en produire davantage. Sans compter que la matière première est coûteuse. Sa compatriote Annick Tapernoux était sur le point de renoncer lorsqu’elle rencontra Pierre Marie Giraud, galeriste enthousiaste, sis à Bruxelles, qui défend les arts appliqués contemporains. Ses clients ? Des amateurs raffinés qui cherchent la  » poésie au quotidien « . L’originalité à tout prix. L’un d’eux vient de commander à Annick Tapernoux douze coquetiers, tous différents. Joli défi pour une artiste adepte des formes dépouillées ! Reste un inconvénient : l’argent s’oxyde. Mais  » ceci n’est pas toujours un défaut, pointe Pierre Marie Giraud. Un gobelet dont on se sert tous les jours prend de nouvelles tonalités, des brunes, des roussesà « , remarque-t-il. Autre bonne nouvelle : de peur qu’on n’en endommage le poli, certains orfèvres préfèrent reprendre leur pièce pour la nettoyer eux-mêmes. Délicat service après-vente.

Carnet d’adresses en page 101.

PAR LAURE COLINEAU

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