Stars scintillantes des cheminées, les bougies parfumées ont quitté le registre purement figuratif pour réveiller des souvenirs olfactifs. De nouveaux objets diffuseurs titillent aussi nos sens, tout en émotion.

Le compositeur américain John Cage connaissait mieux que personne la petite musique du silence, au point d’oser coucher sur une partition un morceau muet de 4’33 ». Soit 273 secondes en suspension pendant lesquelles le moindre souffle, le moindre craquement du plancher résonne parfois mieux que des notes aux oreilles de celui qui prend la peine de vouloir les entendre. Depuis qu’elle a quitté l’agitation de Paris pour vivre à Cabris, sur les hauteurs de Grasse, Céline Ellena se repasse, quand elle peut, ce standard de sons jamais les mêmes, histoire de laisser le silence se remplir de tous ces petits bruits qui viennent nourrir les rêves.  » Chaque maison a sa respiration propre, assure-t-elle. L’écouter, c’est s’évader. Mes bougies comme mes objets parfumés, je les vois comme des murmures olfactifs qui vous accompagnent en douceur.  »

A ce jour, la fille de Jean-Claude Ellena, elle aussi parfumeur, a mis en odeurs cinq jolis dialogues avec l’imaginaire, comme autant d’invitations  » à prendre l’air « . Aux antipodes des fragrances figuratives qui tentent de reproduire à l’identique les effluves de la rose, du sapin ou du feu de bois, les propositions de celle qui est désormais la créatrice attitrée du Parfum de la Maison chez Hermès, sont des vues de l’esprit, poétiquement baptisées Des Pas dans la Neige, Temps de Pluie, Fenêtre Ouverte, Champ Libre ou encore A Cheval !  » Dès qu’on parle de parfum d’intérieur, il est forcément question de rencontres avec la matière, souligne-t-elle. Que ce soit la céramique, la cire ou le papier, chacune d’elle a sa manière de se comporter.  » Et au final, de laisser le mélange raconter son histoire au travers de diffuseurs que le sellier parisien, fidèle à sa tradition, a voulu nomades et pérennes à la fois.

 » Ils ne se donnent à voir que si on les regarde, note le designer Guillaume Bardet. Ils ne se font pas remarquer. Le cheval en origami posé sur la table de nuit d’une chambre d’hôtel emmène un petit peu de chez vous à l’autre bout du monde. Le galet en céramique poreuse avec sa texture qui rappelle celle du papier, justement, vous permet, même dans un open space, de marquer votre territoire olfactif sans assommer les autres. J’aime par ailleurs l’idée que la coupe puisse devenir une tasse à thé ou un saladier une fois la bougie consumée.  »

Une certaine idée de durabilité qui habite pareillement les produits de la nouvelle Collection 34 de Diptyque. Son trio de photophores, fabriqué par des artisans d’exception, est pensé pour accueillir aussi bien les cierges – dont l’odeur, non figurative également, a été conçue à partir d’un lieu : un tiroir renfermant un pot-pourri délicieux, un jardin tout en lilas au-dessus d’une falaise de Normandie, un cabinet de curiosité – que les bougies  » traditionnelles  » de la marque parisienne. C’est dans un atelier de céramique de l’Aveiro, au Portugal, où se pratique encore la technique dite de la terre mêlée, que sont mis en oeuvre ces modèles Paysages. Sur le tour, l’artisan mélange deux teintes de porcelaine, une noire, une blanche, mais si le geste est essentiel, la part du hasard fait le reste, rendant chaque article absolument unique. Le contraste des deux matières crée ici un jeu de volutes dans lesquelles chacun projette ses propres paysages abstraits.

Preuve que chez Diptyque on aime les belles rencontres, deux nouveaux diffuseurs d’intérieur sont nés des expériences communes du designer Jean-Marc Gady et du spécialiste en moulages paléontologiques Claude Tribouillard. Pour parvenir à mettre en forme l’ovale, véritable sceau de la maison, et l’oiseau stylisé, les capillaires classiques ont été remplacés par des formes en plâtre ramifié, soigneusement étudié pour concilier beauté et diffusion optimale.

Chez Acqua di Parma, on retrouve la même envie, qui sonne presque comme une urgence, de mettre en avant des savoir-faire qui pourraient un jour se trouver menacés. Autour de trois matières premières – la fève tonka, la tilleul et l’acajou – le parfumeur italien a imaginé tour à tour trois atmosphères qui évoquent des pans de l’histoire vénitienne : les effluves exotiques des bazars et des échoppes où se retrouvaient les marchands et les voyageurs venus du monde entier, les notes lumineuses et fleuries des jardins secrets qui bordent les canaux, la sensualité et la chaleur des bois dont on fait les gondoles. Le tout emprisonné dans des écrins de verre soufflés sur l’île de Murano au contact de baguettes colorées dont les tonalités suggèrent les codes jaune, rouge et brun de la marque.

La célèbre manufacture Cire Trudon, la plus ancienne au monde, qui met aujourd’hui ses services à la disposition de labels comme The Kooples ou Valentino désireux de se façonner une signature olfactive personnalisée, a choisi de revisiter ses propres traditions en proposant pour cette fin 2014 un trio de bougies aux noms particulièrement évocateurs – Bethléem, Gabriel et Nazareth – qui parlent d’hiver à leur manière.

Des odeurs épicées et gourmandes comme les aime par-dessus tout Jo Malone qui n’a pas hésité à reproduire dans ses boîtes d’emballage la texture rose et crémeuse de sa bougie Frosted Cherry & Clove. Un pur plaisir XXL qui convoque sans fausse honte d’autres souvenirs, bien régressifs ceux-là, du vin chaud épicé et des desserts sucrés des soirs de fêtes où il fait bon se retrouver.

PAR ISABELLE WILLOT

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