Barbara Witkowska Journaliste

Le créateur parisien recherche les plus beaux matériaux dans toutes les cultures du monde. En les mixant, les brassant et les fusionnant, il imagine des bijoux-accessoires complètement inédits. Et extraordinaires.

Carnet d’adresses en page 97.

P hilippe Airaud vient d’aménager ses bureaux au fond d’une cour parisienne, dans un ancien atelier. Il était sombre, petit et  » pourri « . Le talent d’un jeune architecte l’a transformé en une oasis blanche et immaculée, de belles proportions, propice à la réflexion et à la création. On s’installe dans la salle de réunion au sous-sol, à l’origine privée de lumière du jour, aujourd’hui superbement éclairée. Dans l’univers fébrile des créateurs parisiens, notre interlocuteur détonne. Il a des gestes lents, prend son temps, se montre attentif, disponible et prolixe.

Philippe Airaud est né à Nantes, dans une famille de commerçants. Enfant unique et solitaire, il passe son temps à s’inventer des histoires et à construire son univers bien à lui à coups de briques Lego. Il attend, surtout, d’être adulte, pour pouvoir envisager les choses pour lui-même, pouvoir partir loin du contexte familial, loin de tout. Après le bac, direction Cambridge, en Grande-Bretagne. Dans cette cité prestigieuse qui  » rassure « , il s’inscrit, pour la forme, à la Royal Society of Arts, mais en profite surtout pour faire des virées à Londres et se frotter à la faune glamoureuse de la mode. De retour à Paris, le même scénario se répète. Philippe Airaud réussit le concours à l’Académie d’arts appliqués. Il se montre un peu plus assidu aux cours, mais on le croise le plus souvent dans les studios photos et dans les défilés. Le soir, il sort beaucoup :  » C’est une activité très nourrissante.  » Au bout de deux ans, il met un terme à la formation scolaire. Pas de diplôme, donc, mais une seule conviction : rester dans la mode.  » Dans la mode, dit-il, tout m’intéresse, de la chaussure à la coiffure. Tout ce qui détermine l’allure, le paraître. Mon attention s’est particulièrement focalisée sur le bijou. Tout en n’ayant pas de fonction réelle, c’est peut-être l’accessoire le plus chargé de sens, très symbolique. Souvent, on le garde toute une vie. Un bijou n’est pas superflu, il est rassurant.  »

Philippe Airaud devient l’habitué du salon de Jeannette Alfandari, l’une des fondatrices de la marque Chloe. Jeannette y reçoit des princesses arabes, invite des couturiers et des créateurs d’accessoires. Le jeune homme assiste le styliste Tan Giudicelli et surtout observe, enregistre et affine son £il. Il écoute, aussi, fasciné, Lilou Marquant, la dernière collaboratrice de Coco Chanel, lui égrener quelques souvenirs et anecdotes. Au début des années 1990, il se lance, en free-lance, dans la création de bijoux pour les défilés des couturiers en vogue : une collection néo-massaï pour les tout premiers défilés de Michel Klein, des parures pour Jean-Louis Scherrer haute couture aux côtés de Bernard Perris, pour Claude Montana et pour Emanuel Ungaro. Au bout de plusieurs années, une frustration se fait de plus en plus aigüe.  » La création me procurait beaucoup de plaisir et de satisfaction, souligne Philippe Airaud. Cela dit, il y avait un problème de finition. Censés servir une seule fois, durant le défilé, tous les bijoux étaient réalisés très vite, dans l’esprit d’une existence éphémère. Or, j’ai un très grand souci du détail. D’où ma décision de créer des pièces expérimentales pour moi-même, des bijoux avec panache et éclat, mais très bien faits, d’une réalisation irréprochable.  »

En 1998, Philippe Airaud fonde avec Darry Seng (un ancien de Claude Montana) TSI-Design, bureau de style spécialisé dans le bijou avec deux pôles d’activités : laboratoire de recherche personnel ainsi que création et exécution de commandes extérieures. Ces dernières affluent rapidement. Sollicité par le Swatch Group, Philippe Airaud dessine des montres Calvin Klein, des bijoux Swatch, collabore au design de la joaillerie et de l’horlogerie Léon Hotat. Kenzo est un autre client prestigieux pour qui il interprète son esprit du prêt-à-porter dans des collections de bijoux en argent.

On passe, enfin, à son travail personnel. Philippe Airaud ouvre ses tiroirs pour nous montrer de véritables trésors. Tel ce collier plastron en panama, brodé de turquoises, de perles cubiques métallisées et bordé de python. Rien de tel pour rehausser une tenue estivale minimaliste. Puis il y a ces deux pièces exceptionnelles. On les porte comme collier ou comme ceinture. La première est réalisée avec une véritable tête de bébé alligator. Le corps du  » serpent  » est composé de grosses perles de cristal Baccarat. Sa queue est formée par des ailes d’oiseaux de paradis. La seconde pièce réunit des boules de vison, des racines de corail et des plumes d’ara. Du jamais-vu. Pour orner le cou, on remarque ce choker en vison épilé, piqué de branches de corail sur python bleu. En guise de bracelet, on a le choix entre un poignet en bronze blanc, agrémenté d’une bande de vison absinthe piquée de plumes de coq ou le poignet en bronze blanc prolongé de chaînes et associé à un bracelet recouvert de vison.

Philippe Airaud vient de créer sa première ligne masculine  » pouvant être portée par une femme « . On y découvre, notamment, une longue bandoulière en acier parsemée de 20 obsidiennes noires argentées et un poignet en cuir équipé d’une chaîne en acier et décorée d’une obsidienne. Toutes les parures interprètent les formes les plus sobres et les plus pures, puisées dans les cultures tribales du monde entier, pour épouser admirablement la sophistication actuelle et le raffinement urbain. Elles sont superbes et font souffler un esprit nouveau dans l’univers du bijou et de l’accessoire.

Depuis presque deux ans, Philippe Airaud travaille aussi pour Baccarat. Il signe des expositions de bijoux uniques, mais conçoit aussi des collections accessibles à tous et commercialisées dans les boutiques. Pour la saison 03-04, il a ainsi revisité  » Tentation « , la célèbre goutte de cristal, lancée en 1999 sur des sautoirs mobiles. Baptisée  » Tentation Duo « , elle associe le cristal et des pierres dures (quartz de rutile, labradorite et calcédoine). Le collier est composé de cinq chaînes de longueurs différentes, se terminant, chacune, par une goutte. Elles se ferment sur le devant à la hauteur souhaitée.

Aujourd’hui, Philippe Airaud caresse le projet de développer davantage sa propre marque,  » en sortant des standards et en allant vers quelque chose de plus précieux « . La joaillerie ? Son sourire énigmatique ne dit pas le contraire, mais il est encore trop tôt pour entrer dans les détails. En tout cas, l’homme reste confiant :  » Dans les années 1980, on parlait beaucoup des créateurs de mode. En ce début des années 2000, on parlera beaucoup des créateurs en joaillerie.  »

Barbara Witkowska

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