La cuisine californienne s’élabore avec brio au Zuni Café de Judy Rodgers. Confirmé par un quart de siècle de succès ininterrompu, ce restaurant mythique de San Francisco marie les saveurs de l’Italie… au savoir-faire made in France des frères TroiSgros.

Carnet d’adresses en page 101.

C’est l’histoire d’une adolescente de Saint Louis Missouri qui a envie de voyager. Des amis de la famille s’apprêtent à accueillir une jeune Française dans le cadre d’un programme d’échanges ? Elle se voit bien prendre le chemin inverse à destination de la vieille Europe ! C’est ainsi que Judy Rodgers se retrouve un jour de 1973 au beau milieu de la famille Troisgros… chez les frères Pierre et Jean, les chefs triplement étoilés de Roanne.

C’est Jean Troisgros en personne qui vient chercher la jeune Américaine à l’aéroport. Chemin faisant, ils s’arrêtent dans un resto-stop pour grignoter un sandwich jambon-beurre. Dans les premières lignes de l’introduction biographique de son livre  » Zuni Café Cookbook « , Judy prend un malin plaisir à conter ce qui se passe ensuite.  » A quatre heures du matin, arrivés à la maison, Jean nous a préparé un second sandwich au jambon, avec du pain de campagne d’un jour, un délicieux jambon, une bonne cuiller de moutarde forte, des cornichons à l’estragon et, en guise de hors-d’£uvre, quelques langoustines. Je suis persuadée que tout cela n’était pas le fait du hasard. Simplement, Jean voulait que je saisisse la différence qui séparait ce festin de saveurs du jambon-beurre sans goût que nous avions simplement ingurgité en route.  »

C’est ainsi que commence une éducation hors du commun.  » Pour rien au monde, je ne serais restée au lit, sourit Judy. Dès 6 heures du matin, j’observais ce qui se passait en cuisine avant d’aller au lycée (j’étais en terminale). A midi, puisque nous avions deux heures de pause, je revenais au restaurant. Et cela recommençait le soir.  » L’adolescente ne se contente pas d’observer. Elle note tout ce qu’elle voit, et se compose un cahier de saveurs et de recettes comme d’autres un journal intime.  » En l’espace de quelques mois, souligne-t-elle, j’ai succombé à la philosophie qui préside aujourd’hui au Zuni Café.  »

L’année achevée à Roanne, Judy met le cap sur la Californie pour des études classiques à Stanford qu’elle achève en 1978. Le virus de la cuisine a cependant fait son £uvre. Elle s’installe à Berkeley, au nord de San Francisco, pour deux ans d’apprentissage au fameux Chez Panisse d’Alice Waters. En 1980, elle devient chef de l’Union Hotel, dans la Napa Valley. Elle s’y fait déjà remarquer pour la franchise de sa cuisine, avant d’être engagée par les fondateurs du Zuni Café, à San Francisco. Depuis l’an 2000 où elle fut classée meilleure chef de Californie, les récompenses pleuvent. En 2004, elle a reçu le trophée de Oustanding Chef in the United States. Publié en 2003, son livre  » The Zuni Café Cookbook  » a été lui aussi bardé de récompenses.

Aujourd’hui, Judy est chef et copropriétaire du Zuni Café, niché au 1658 Market Street. Formant le coin avec Rose Alley, ce bâtiment de 1913 semble entièrement vitré, son architecture évoquant davantage le Greenwich Village de New York. Mais quel est donc le secret de son succès ? Pourquoi dans un pays où la primauté est accordée à la nouveauté, un restaurant déjà vieux de 25 ans suscite- t-il toujours un tel engouement ? Parmi les musts de la maison figurent la salade césar et le poulet rôti, servi avec sa salade de pain rassis… Le poulet ( voir recette) est salé trois jours à l’avance et est cuit au bois dans un four en briques, semblable à ceux des boulangers d’autrefois, ce qui explique le caractère superbement juteux de sa chair.

Quelques grands standards mis à part, la carte évolue de jour en jour, selon un rituel inamovible. Signe de sa fraîcheur, elle se base sur le tour des frigos, réalisé en fin de matinée. Les recettes sont alors élaborées et goûtées vers 16 h. Il reste à peine le temps d’imprimer le menu pour accueillir les premiers clients qui arrivent vers 17 h 30.

L’énoncé des recettes reflète l’influence déterminante de l’Italie û de la Toscane aux Pouilles û, devenue la première source d’inspiration de Judy.  » Je me fixe une limite vers le nord de la Péninsule car je n’aime pas le beurre « , confie-t-elle.  » Et puis, la cuisine italienne fonctionne bien avec notre climat et les produits dont nous disposons.  »

Judy met aussi un point d’honneur à élaborer certains ingrédients au restaurant même. C’est ainsi que les anchois servis avec un morceau de parmesan et des olives niçoises sont tous préparés dans les caves de l’établissement. Parcourant les frigos, on va de surprise en surprise. Ici et là ce sont des jambons, des saucissons qui, suspendus, achèvent leur affinage, tous réalisés dans la maison. Les matières premières, à commencer par les légumes, sont d’origine biologique.

La nuit tombe doucement sur San Francisco. Le Zuni Café se remplit. Quelques convives passent un temps adossés au long bar. Ils peuvent y consommer quelques huîtres sélectionnées dans un banc qui compte une vingtaine d’origines. Le pain au levain est servi en gros quartiers.  » Il est rassis d’un jour « , précise Judy, animée, comme ses maîtres français, par un grand sens du détail.

Les recettes de JUDY RODGERS

1. îuf poché, tartine à la moelle

Pour 4 personnes : 4 £ufs frais, 4 épaisses tranches de pain de 1 jour, 2 tronçons (± 15 cm) d’os à moelle cru, sel, poivre, 30 g de beurre 20 g de truffes fraîches (à défaut en conserve), vinaigre d’alcool.

Demander au boucher de scier les os en deux dans le sens de la hauteur. Laisser reposer 2 h à température ambiante. Prélever délicatement la moelle et la mettre à tremper durant 24 h dans de l’eau glacée (au frigo), avec un peu de sel de mer. Egoutter ensuite.

Emincer finement les truffes et les mélanger au beurre.

Couper des tranches de pain assez épaisses. Compter une longueur de 13 cm par personne. Les griller légèrement.

Les tartiner ensuite de moelle, sur une seule face. Au dernier moment, les toaster, côté moelle, dans une poêle antiadhésive bien chaude, sans matière grasse.

En même temps, mettre à chauffer de l’eau bouillante additionnée d’une bonne rasade de vinaigre d’alcool. A l’aide d’un fouet, tourner dans le liquide de manière à former un entonnoir. Casser l’£uf et le déposer au centre de celui-ci. Compter 3 à 4 min de cuisson.

Répartir le beurre aux truffes au centre de la tartine, côté moelle et déposer dessus l’£uf chaud. Servir immédiatement.

En saison des truffes d’hiver, Judy Rodgers fait séjourner les £ufs 2 à 3 jours dans un bocal avec des truffes et du riz. Grâce à sa paroi poreuse (un £uf respire), celui-ci s’imprègne de l’arôme de la truffe.

2. Soupe poivrée d’asperges et de riz à la pancetta

Pour 4 personnes : 6 c à soupe d’huile d’olive extravierge, 150 g d’oignons doux (blancs ou jaunes), 6 à 8 belles asperges vertes, 50 g de riz, 7 dl de bouillon de volaille, 1 dl d’eau, 150 g de pancetta (en tranches de 1 à 2 mm d’épaisseur), sel, poivre noir du moulin.

Dans 3 c à soupe d’huile, faire suer les oignons, sans coloration. Saler et poursuivre jusqu’à ce qu’ils soient translucides. Ajouter le riz, le bouillon et l’eau.

Cuire à frémissements jusqu’à ce que le riz soit cuit, soit environ 15 min.

Pendant ce temps, retirer la base dure des asperges. Vérifier si la peau du pied ne doit pas être enlevée à l’économe. Emincer les asperges en lamelles obliques de 1 cm d’épaisseur. Laisser plus longue la portion avec la tête (2 à 3 cm).

Dans le reste d’huile, faire sauter durant 5 à 6 min la pancetta détaillée en lamelles et les asperges. Saler et poivrer. Bien mélanger de manière à obtenir une légère coloration des asperges qui doivent rester al dente.

Mélanger les deux parties de la recette et donner une ébullition. Rectifier l’assaisonnement et poivrer généreusement au moulin.

3. Risotto aux agrumes

Pour 4 à 6 personnes : 1 pamplemousse, 1 citron vert, 50 g d’oignon finement émincé, 300 g de riz pour risotto (carnaroli ou arborio), 1,2 l de bouillon de volaille, 150 g de mascarpone, sel, huile d’olive.

Pour peler les agrumes, trancher à l’horizontale leurs bases, jusqu’à la chair. Les déposer sur une planche. A l’aide d’un bon couteau, suivre la courbe du fruit de manière à atteindre la chair à vif.

Fendre ensuite chaque quartier en longeant la membrane et prélever uniquement la chair. Récupérer le peu de jus qui s’écoule, puis presser les membranes restantes, de manière à exprimer tout le jus. Réserver celui-ci.

Préparer le risotto de manière classique. Faire suer l’oignon dans l’huile d’olive, sans colorer. Ajouter ensuite le riz et l’amener à température en tournant sans cesse avec une spatule. A ce stade, plusieurs possibilités existent, soit ajouter le bouillon peu à peu en reproduisant l’opération, soit ajouter le double du volume du riz et couvrir. Saler. La cuisson à feu moyen dure environ 18 min. 5 min avant la fin de celle-ci ajouter les quartiers d’agrumes, préalablement émincés en 2 ou 3 segments.

Terminer la cuisson et, hors du feu, incorporer le mascarpone et le jus des fruits en mélangeant énergiquement la masse. Servir immédiatement.

4. Lotte braisée, bouillon de fenouil, tomates et pommes de terre

Pour 4 personnes : 600 g de filet de lotte, 5 à 6 c à soupe d’huile d’olive extravierge, 1 bulbe de fenouil moyen (200 à 250 g), 80 g d’oignon jaune, 1 dl de vin blanc sec, 2 belles tomates bien mûres, 2 gousses d’ail, 1 pincée de piment séché (facultatif), 1 petite pincée de pistils de safran, 1 trait de pastis ou d’ouzo, 2 à 3 dl de bouillon de volaille, 1 à 2 pommes de terre, sel.

Demander au poissonnier de parer les lottes de manière à enlever les peaux et membranes translucides. Quelques heures à l’avance (de 4 à 12), saler ces filets. Au moment de les utiliser, les rincer et les essuyer.

Parer le fenouil et l’émincer en tranches de 6 à 7 mm d’épaisseur. Emincer finement l’ail et l’oignon. Peler les tomates, les épépiner et les détailler en dés.

Dans une poêle moyenne, cuire à l’huile les tranches de fenouil, compter 3 min de chaque côté, à feu moyen. Réduire la flamme, ajouter l’oignon et saler. Cuire 5 min de plus, sans colorer l’oignon. Verser le vin et donner une brève ébullition. Ajouter les dés de tomates, l’ail, le piment, le safran, le pastis. Cuire à frémissement durant 5 min. Ajouter le bouillon et les pommes de terre préalablement cuites à la vapeur ou à l’eau. Rectifier éventuellement en sel et réserver au chaud.

Préchauffer le gril du four. Déposer un peu d’huile sur une poêle (qui peut aller au four). Chauffer et y saisir les filets de lotte sur chaque face. Puis enfourner sur une grille posée à 15 cm environ du gril. Compter 5 min en tout. Transférer ensuite le poisson dans le bouillon chaud durant 4 à 5 min.

5. Poulet rôti, salade de pain

Pour 2 à 4 personnes : 1 poulet de 1,5 à 1,8 kg, sel, poivre noir du moulin, 4 rameaux d’herbes fraîches (thym, marjolaine ou romarin).

Pour la salade : 300 à 400 g de pain de ferme (rassis d’un jour) en tranches de 2,5 cm, 1 dl d’huile d’olive extravierge, 1,5 c à soupe de vinaigre de champagne ou de vin blanc, 2 c à soupe de raisins secs, 1 c à café de vinaigre de vin rouge, 1 c à soupe d’eau chaude, 3 c à soupe de pignons légèrement toastés, 2 gousses d’ail émincées, 4 jeunes oignons émincés (le blanc et une partie du vert), 2 c à soupe de bouillon de volaille, 1 poignée de salade : jeunes pousses de moutarde, de feuilles de frisée ou de roquette (ou un mélange), sel, poivre du moulin.

Pour la cuisson du poulet : Judy Rodgers insiste sur un élément déterminant : le salage de la volaille qui doit avoir lieu entre 2 et 3 jours avant la cuisson. Elle compte 2/3 de c à soupe de sel de mer fin par kg de poulet. Bien répartir de tous les côtés et un peu à l’intérieur. Au préalable, insérer les rameaux d’herbes entre la chair et la peau. La cuisson terminée, laisser reposer le poulet 10 min avant de le découper.

Pendant ce temps, mettre les raisins dans un bol et les couvrir du vinaigre de vin rouge et de l’eau chaude.

Faire suer l’ail et les jeunes oignons dans un peu d’huile et garder au chaud.

Détailler le pain en cubes et retirer la croûte. A l’aide d’un pinceau, brosser les morceaux de toutes parts, avec de l’huile d’olive et les griller sur toutes les faces (sans les marquer) sur une plaque.

Préparer une vinaigrette avec le vinaigre de champagne et le triple d’huile d’olive ; saler et poivrer. Répartir le quart de ceci sur le pain.

Mélanger les raisins égouttés, les pignons, l’ail et les oignons avec le pain. Ajouter le bouillon.

Mélanger la salade lavée avec le reste de vinaigrette au champagne.

Pendant que le poulet repose, mettre le mélange à base de pain à tiédir dans le four.

Au dernier moment, mélanger ceci avec la salade et, dans un grand plat, mélanger délicatement au poulet détaillé en 8 portions. Rectifier l’assaisonnement. n

Jean-Pierre Gabriel

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