Avec sa citadelle, ses palais, caravansérails et souks pittoresques, c’est l’une des plus anciennes villes du monde. Alep, en Syrie, dégage un charme hors du commun. Son nom à lui seul nous invite à rêver à un Orient authentique et voluptueux.

Alanguis dans les fauteuils des terrasses situées face à la citadelle, un narguilé distillant des effluves de pommes et des pistaches grillées à portée de main, les jeunes Aleppins observent le ballet des flâneurs qui déambulent sur l’esplanade. Le jeu des lumières mauve, rouge et bleue qui souligne la passerelle du monument-phare de la ville confère une atmosphère mystérieuse au lieu. Les charrettes aux mets alléchants des petits vendeurs ambulants se bousculent. Des écoliers en uniformes trépignent devant le glacier. Tandis que  » Monsieur Café  » fait tinter ses coupelles de porcelaine pour attirer l’attention des amateurs de petit noir corsé.

Là-haut, les remparts accueillent les tête-à-tête amoureux, à l’abri des regards de la rue. C’est aussi le premier rendez-vous des voyageurs dans cette cité respirant l’Orient authentique. La citadelle, dont l’édification fut lancée au xe siècle par l’émir hamdanide Sayf al-Dawla, se veut avant tout monument défensif. Sa conception architecturale est donc impressionnante. Surmonté d’un escalier monumental, un pont d’entrée à huit arches qui abrite un aqueduc approvisionnant la forteresse en eau doit dissuader les intrus.

À l’intérieur, on y trouve un concentré de ville, avec ses mosquées, un amphithéâtre, des thermes et, bien sûr, les vestiges du palais ayyubide construit au xiiie siècle. La salle du trône, flanquée d’un plafond en bois sculpté, de vitraux, de marbre et bois incrusté de nacre, permet d’imaginer le faste d’antan. L’une des mosquées est dédiée à Abraham, une légende prétendant que le patriarche s’arrêta ici, sur ce qui n’était alors qu’une colline, pour traire sa vache. Le nom d’Alep pourrait d’ailleurs dériver du mot arabe halab, qui signifie lait.

Le chemin de ronde offre une vue panoramique sur la cité et son océan de toits plats d’où émergent une centaine de minarets différents et les fameuses coupoles du souk. Un projet de réhabilitation de la vieille ville, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, redonne un peu d’éclat aux monuments d’importance nécessitant une sérieuse restauration. Aujourd’hui, plus question de construire des bâtiments défigurant la personnalité unique de cette cité antique et de la saigner pour aménager de grandes artères, à l’instar des quartiers des alentours.

Tout comme Damas, la capitale, Alep, située au nord-ouest de la Syrie, compte parmi les villes les plus anciennes. Cité-carrefour des routes commerciales depuis le iie siècle avant Jésus-Christ, elle subit l’influence des Hittites, des Assyriens, Arabes, Mongols, Mamelouks et Ottomans. Un bouillon de cultures qui la caractérise encore de nos jours. Située sur la route des épices, reliée à Bagdad par voie ferrée, elle fut longtemps le point de chute de nombreuses caravanes qui lui fournissaient pierres précieuses, soieries, épices, encens d’Oman et d’Asie. D’où ses nombreux khans, ces caravansérails érigés pour accueillir les marchands et aujourd’hui transformés en hôtels ou restaurants raffinés.

Khans secrets

Les souks d’Alep ont la réputation d’être les plus beaux du monde arabe. Moins spectaculaires que ceux d’Istanbul, moins achalandés que ceux de Marrakech, ils sont certainement plus authentiques. Hormis quelques petites boutiques gorgées d’étoffes chatoyantes, de bijoux et objets en bois incrustés de nacre ou autres curiosités, ils sont véritablement conçus pour satisfaire les besoins quotidiens de la population locale. Étroits et longitudinaux, ils accueillent une kyrielle de micro-échoppes où s’amoncellent des sacs de jute emplis de fruits secs, notamment de pistaches, dont la réputation n’est plus à faire. Épices, pâtisseries au miel, fruits et légumes composent d’irrésistibles tableaux gourmands.

Dans ces ruches foisonnantes, les petits métiers tiennent le haut du pavé. Ici, quelques mètres carrés suffisent pour loger un barbier et ses fauteuils de cuir. Là, une armoire s’ouvre sur une cuisine improvisée où falafels et autres délices sont frits dans d’immenses poêles, autour desquelles s’agglutinent les gourmands. Mais on ne peut quitter les lieux sans s’attarder auprès des éventaires tout entiers dédiés au savon d’Alep, le plus vieux du monde – il aurait plus de 3 000 ans – fabriqué à partir d’huile d’olive et d’huile de baies de laurier, et qui possède d’insoupçonnables propriétés pour la peau.

Les souks cachent encore quelques fabriques authentiques comme le khan Al-Saboun, un bâtiment hérité du xve siècle, de facture mamelouke. D’autres khans sont transformés en boutiques d’antiquités, comme celui qui jouxte la mosquée Al-Saffahiyia. Certains abritent aussi des cafés et même d’adorables maisons d’hôtes, dont on ne soupçonne pas l’existence depuis les venelles. Non loin de là, on s’imprègne encore d’Orient dans le très ancien hammam d’Al-Nahasin ou dans celui de Yobulga, vieux de 500 ans.

Cité multiculturelle

Plusieurs de ces demeures secrètes sont encore habitées par de grandes familles aleppines. D’autres, comme la Beit Ajiqbash, ont été transformées et accueillent aujourd’hui le musée des Arts et Traditions populaires. Cette maison de 1757, ayant appartenu à une famille chrétienne, recèle un iwan sculpté – une arcade encastrée dans le mur destinée à recevoir les hôtes dans la cour centrale – rivalisant de finesse avec les frises ornementées. Non loin de la mosquée de style ottoman Al-Bahramiyé, s’est blotti le plus grand khan d’Alep. Al-Joumrok occupait jadis 6 000 m2 et accueillait 400 boutiques croulant sous les marchandises provenant du monde entier. Du côté de la porte de la Victoire, le Beit Joumblatt, l’ancien palais d’une famille druze libanaise, figure parmi les plus beaux d’Alep, avec son superbe iwan couvert de céramiques.

En quittant la vieille ville, un détour s’impose par l’hôtel Baron. Établissement de légende, il accueillit Agatha Christie, Roosevelt, mais aussi Lawrence d’Arabie, qui s’illustra par une note non honorée ! Celle-ci étant toujours affichée dans le bar de l’hôtel. Aujourd’hui, il n’est plus que l’ombre de lui-même, quoique l’on ne puisse lui nier une certaine séduction. À l’instar de ces façades ottomanes en bois, qui bordent notamment l’avenue Al-Khandak. Tous ces petits détails trahissent un passé glorieux et la richesse d’une ville qui fut délaissée pour Damas, dès la fin du xixe siècle.

Aujourd’hui, la bourgeoisie chrétienne, qui joua un rôle important d’intermédiaire dans le commerce caravanier, se concentre dans le quartier de Jdeïdé. Plusieurs hôtels de charme et des restaurants gastronomiques, tels les délicieux Sissi et Kan Zaman, servant une fine cuisine aleppine, se sont établis dans les anciens palais. Conçues selon les plans classiques de la maison arabe, ces demeures s’organisent autour d’une cour agrémentée d’orangers et d’une fontaine, à l’instar des riads marocains. Ici encore, stucs, plafonds en bois peint, vitraux et pierre calcaire, donnent tout leur cachet à ces endroits insoupçonnés. Le quartier héberge également plusieurs lieux de culte comme l’église maronite, située à l’ombre des bijoutiers qui proposent leur or aux futures mariées. La communauté arménienne y possède l’église des Quarante Martyrs, parsemée d’icônes, mais aussi de tombes de victimes du génocide perpétré par les Turcs.

Balades dans les villes mortes

Envie d’échapper quelque peu à la torpeur urbaine et de se mettre au vert ? Alep est le point de départ idéal pour découvrir les anciennes cités historiques de la région, connues sous le nom de villes mortes. Ainsi Saint-Siméon, extrêmement bien conservée, abrite les vestiges d’une église du ve siècle, l’un des derniers témoins de l’architecture byzantine, avec Sainte-Sophie d’Istanbul. Celle-ci ne fut édifiée que dix ans après la mort de ce curieux saint, qui vécut comme ascète en haut d’une colonne de trois mètres de hauteur, surmontée d’une plate-forme. Histoire de prier un peu plus près de Dieuà

Les collines calcaires de cette région parsemée d’oliviers dégagent un petit côté biblique. La plupart des quelque 820 villes mortes étaient d’ailleurs habitées par des Chrétiens qui durent battre en retraite suite aux invasions perses et arabes, au viie siècle. Parmi celles-ci, Al-Bara et son tombeau pyramidal, mais aussi Sergilla, qui possède plusieurs vestiges de maisons, un café et son bain public, dont les constructions se fondent dans le paysage, par mimétisme avec la roche calcaire. L’ancienne cité de Qalb Loze arbore aussi le premier exemple de basilique byzantine, dont certains détails ne sont pas sans rappeler Saint-Siméon. Au xxe siècle, les paysans sont revenus dans la région et ont relancé la production et le commerce de l’huile d’olive qui fit la prospérité du massif calcaire. Hormis quelques détails, le paysage n’a pas beaucoup changé ces dix derniers sièclesà

Carnet pratique en page 104.

Par Sandra Evrard

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