Loin de l’étuve athénienne, les Sporades rafraîchissent l’image d’une Grèce blanc-bleu façon Cyclades et esquissent des sourires en forme de plages sous les frondaisons des forêts qui recouvrent leurs reliefs sauvages. Cap sur l’archipel de tous les bonheurs.

Morceaux de terre entre deux mers semés par la main d’un géant… L’archipel des Sporades ponctue de brun et de vert le bleu intense de la mer Egée. Tour à tour minérales ou couvertes d’une végétation aussi dense que les forêts tropicales, ces îles sont tantôt des rochers refuges pour les oiseaux, tantôt de grandes montagnes sauvages où, de loin, personne ne semble pouvoir vivre. Pourtant, lorsque l’avion atterrit sur Skiathos, l’île principale, le doute est levé : sa côte sud est une alternance de bourgs animés, tout entiers dévolus au tourisme, sur fond de plages de sable. A l’intérieur des terres, la montagne couverte de garrigue, de chênes-lièges et de pins prend le dessus. Tandis que les côtes nord et est, sauvages, ventées et inhabitées, se prêtent à l’aventure, face au ressac, avec les étoiles pour seul toit. Depuis les terrasses des chambres de l’hôtel Aegean Suites, à quelques minutes de la ville de Skiathos ( » th  » se prononce à l’anglaise), la mer ouvre ses reflets à nos yeux. Le luxueux confort des chambres en blanc et bleu rappelle, bien sûr, les couleurs grecques. Ajoutez-lui un sofa orange, des coussins turquoise, des dalles d’un beige orangé, quelques discrets objets de déco sur le thème de la mer, de la fraîcheur dans la salle de bains aux carreaux de faïence gris. A l’extérieur, l’Aegean Suites est une charmante succession de jardinets, d’escaliers et de passages qui s’étagent jusqu’aux restaurants en terrasse et à la piscine – trop petite. Si la plage devant l’hôtel déroule son étroit ruban, mieux vaut, en revanche, retrouver les plus belles de l’île, à quelques minutes de scooter. Car pour comprendre ces îles mieux vaut louer un vélomoteur dans l’une des innombrables échoppes.

Vromolimnos est sans conteste la plage où il faut être. Le sable fin, quelques rochers, une mer d’un calme égéen ! Puis Koukounaries, considérée comme la plus belle de l’île. Si vous préférez un hôtel sur la plage, ce sera plutôt le Troulos Bay Hotel, tenu par Katia Kyparissos. Clientèle d’habitués qui aiment se sentir chez eux, même si la déco des chambres laisse à désirer. Les pieds dans l’eau aussi, mais avec une jolie piscine en prime et des chambres mieux décorées, ce sera le Kassandra Bay Hotel, tenu par les deux s£urs Kalaïtzidis, aussi belles que leur île natale. Retour le soir à Skiathos ville. Dans une ruelle bordée de maisons disparaissant derrière des bougainvillées de cinéma, Maria Gerekou tient boutique de plaisirs culinaires. Pourtant Maria’s Pizza n’est pas un restaurant grec avec feuilles de vigne, tarama et caviar d’aubergine :  » Mes recettes sont italiennes, mais doivent se plier aux ingrédients locaux « , confie Maria, aussi discrète qu’enthousiaste. Et plus que ce mélange des genres, c’est le capharnaüm d’objets et de toiles aux murs qui vous fait entrer ici.

Skiathos, côté nature

Depuis le port, partent des bateaux blancs et rouges surlignés de bleu. Sur les quais, des filets safran en tas attendent d’être rangés par le pêcheur. Quelques barques mouillent là, dansant sur la mélodie d’un infime clapotis. Un ferry accoste, la houle claquant contre le môle, des goélands tournoient, un chat mis en appétit les observe, apeuré par la dimension du festin. Derrière un mur envahi de végétation, un palmier diffuse de l’ombre contre une chapelle oubliée. Une maison poussiéreuse côtoie une demeure d’un blanc immaculé, surmontée d’un toit de tuiles rouges, certaines en forme de coquillage. Sous la toiture, une frise de marbre. Un balcon arbore sa rambarde de fer forgé aux délicats motifs. Au bout d’une rue, des escaliers inégaux descendent au milieu d’une végétation folle. Plus bas, c’est la mer qui caresse les rochers blancs de marbre. Des tiges de bambou chatouillent des cactus imperturbables. A l’ombre d’une autre ruelle, une femme tricote, des enfants courent, un scooter passe. Dans la vieille ville de Skiathos, on retrouve cette Grèce d’antan, qui regardait les touristes comme des Martiens à la peau blanche ou écrevisse. Cette Grèce d’autrefois, la revoilà dans les montagnes sauvages de l’île. On grimpe par des routes asphaltées, puis des chemins forestiers dans les collines couvertes de pins. Un vent souffle et fait chanter les frondaisons. Les senteurs du maquis envahissent tout, des insectes virevoltent. Des monastères se cachent. Dont Evangelistria, perdu en pleine forêt, loin de tout, dans un silence absolu, proche du ciel. Dans la sombre chapelle, des objets de culte, des icônes, une musique diffuse, un retable en bois sculpté d’une extraordinaire finesse.

A l’autre extrémité, d’autres chemins improbables et défoncés, des plages désertes et isolées, quelques parasols parfois, et même une buvette. Nikotsara, Ligharies… L’électricité n’arrive pas ici et le ravitaillement à peine. Alors, on boit et on mange ce qu’il y a, du poisson, une omelette. Seuls les sodas arrivent en masse dans les réfrigérateurs alimentés par des groupes électrogènes.

Retour à la civilisation. En soirée, on s’installe sur les marches au-dessus du port de Skiathos, devant le Glam (glamour), où Litsa a installé sofas et coussins pour goûter aux cocktails sur fond de house et de jazz.  » Si l’on s’y sent bien, on peut même dormir, livre Litsa, mais sans ronfler…  » L’endroit,  » trendy  » à souhait, accueille surtout des Anglais, nombreux sur l’île, si bien que le Glam ne désemplit que lorsqu’il ferme ses portes, au bout de la nuit.

Skopelos, l’authentique

L’hydrofoil de la Flying Dolphins file sur une mer ponctuée d’îles, d’îlots et de rochers émergeants, puis longe le nord de l’île de Skopelos, montagneuse et recouverte d’une dense végétation, avec des falaises qui s’affalent dans la mer. Arrivée au port de Skopelos, coloré et vivant. Le long de la promenade ombragée, des restaurants et des cafés où l’on boit un  » cappoutsino  » qui n’a rien de grec. Des ruelles s’enroulent autour des maisons blanches. Geste de survie : le scooter. Puis la campagne, avec ses oliviers, ses amandiers, ses vignes, ses pruniers et ses modestes champs de légumes. Sur la côte sud, le littoral sauvage laisse place à quelques plages fort courues en saison, comme Stafilos, fin gravier sur eau turquoise et carré nudiste de l’autre côté d’une échancrure rocheuse. Plus loin, le port d’Agnondas, petite merveille habitée de pêcheurs : on y boit un café à l’ombre d’un arbre généreux et l’on goûte calamars frits, langoustes au kilo, tomates et feta au restaurant Kopavi, qui frôle l’eau limpide. La route sinueuse traverse des forêts de pins et un maquis qui gagne ici et là les plages sauvages, comme Kastani, au bout d’un chemin caillouteux. Au village de Glossa, nous retrouvons Sabina qui nous fait visiter des maisons à louer, perdues dans la campagne dominant la mer. La maison Thalia est ancienne, son intérieur joliment rénové. De même, Rodia. Objet d’une stricte protection, l’architecture de Skopelos est réputée dans tout le pays : toits de tuiles rouges, en pente et sans terrasse, volets bleus ou couleur bois, murs blancs. Depuis Glossa, la route bascule sur la côte nord et un superbe itinéraire mène à l’un des lieux les plus magiques, un immense piton posé sur le bord de mer, relié à l’île par une passerelle et d’autres rochers. Des escaliers interminables montent à l’assaut de la chapelle Ioannis sto Kastri. Il faut encore parcourir les routes qui pénètrent la forêt et suivent le relief, à grands coups d’épingles et de descentes vertigineuses qui aboutissent sur des plages sauvages aux noms chantants : Perivoli, Pethameni, Glisteri… Des milliers de papillons multicolores virevoltent en tous sens.

Alonissos, la sauvage

Skopelos rapetisse derrière le sillage du  » Flying Dolphin « . Plus on s’éloigne, plus les îles se font sauvages. Sur Alonissos, le port de Patitiri et son voisin Votsi sont les seuls villages auxquels, à dix minutes par la route, il convient d’ajouter la vieille ville de Patitiri. Perchée sur son piton à quelques centaines de mètres d’altitude, ses ruelles sont reliées par des escaliers et bordées de maisons en pierre. A l’entrée du village, le café musical Aeridès (du nom d’un vent qui souffle en août) apporte sa touche inattendue de modernité acidulée. Près d’une charmante chapelle, une épicerie, souvenir d’une autre époque, tenue par une femme d’un autre âge, affublée d’un vieux tablier sans couleur, avec derrière elle un perroquet multicolore en cage. Au bout de la ruelle centrale, on s’attable au café Meni’s Hayiati, dont la rambarde plonge vers la mer. Merveilleux vertige. Et secret dévoilé : pour faire un bon gâteau au fromage, il faut utiliser du fromage de chèvre !

Un thé plus tard, on se prend à chercher des yeux une maison qui pourrait nous héberger pour un séjour paisible. Montagneuse dans sa partie ouest, Alonissos devient à l’est une succession de collines couvertes de maquis, d’oliviers et de pins. Les hameaux sont bien plus rares que les chapelles et les ermitages. L’unique route étend un bras pour descendre vers le minuscule port de Steni Vala, petite merveille de crique où des maisons de pêcheurs se serrent. En suivant la côte vers le nord, la langue de sable de Aghios Demetrios, l’une des plus belles plages des Sporades, s’avance dans l’azur. Des anses succèdent aux rochers cachant d’autres plages. Pour y accéder, autant prendre la mer, ce que nous faisons grâce à Kostas Efstathiou, propriétaire d’un splendide deux-mâts, l’  » Odyssey « , tout de teck, d’iroko et d’acajou, où les intérieurs de cuir des sept cabines rivalisent de luxe. Le temps de retrouver les eaux de la réserve naturelle aquatique, des dauphins narguent l’étrave du voilier. Nous aurions certes pu profiter de l’  » Odyssey  » pour une croisière d’une semaine au gré des îles de la mer Egée jusqu’à la lointaine Skiros, nous baigner dans une eau limpide, atteindre des criques inaccessibles… La tentation est forte, mais sujets aux impératifs du retour autant qu’au mal de mer, nous renonçons à contrec£ur !

Carnet de voyage en page 76.

Renaud Richebé

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