Lorsque Anne-Marie Lizin, la bouillonnante féministe et bourgmestre de Huy, rencontre Loana, la pulpeuse gagnante de l’émission  » Loft Story « , les hommes et le pouvoir sont forcément examinés à la loupe… Action!

Beaucoup plus qu’une simple émission de télévision,  » Loft Story  » a été LE phénomène de société français de l’année 2001 : deux mois de voyeurisme gratuit pour des téléspectateurs en mal de banalités au terme desquels la sculpturale Loana est sortie gagnante sous les applaudissements de la foule en délire. Depuis, l’héroïne fabriquée par M6 tente de surfer sur la vague du succès en cherchant la reconversion idéale. Plutôt bien d’ailleurs puisque sa récente double carrière de mannequin et d’écrivain malgré elle semble superbement amorcée. Son livre  » Elle m’appelait… Miette  » (éditions Pauvert) est, en effet, déjà un best-seller et c’est donc sans la moindre arrière-pensée ironique que Weekend Le Vif/L’Express a confié un exemplaire de cette autobiographie à la sénatrice et bourgmestre de Huy Anne-Marie Lizin. Il ne restait plus qu’à réunir ensuite les deux femmes intriguées autour d’une bonne table de l’hôtel Le Châtelain, à Bruxelles, pour une rencontre franchement inattendue…

Anne-Marie Lizin : Combien de jours êtes-vous restée dans le Loft?

Loana : Soixante-dix jours. Les quatre finalistes sont restés soixante-dix jours. Sans télé, sans radio, sans journaux, sans téléphone portable.

A.-M.L.:  » Loft Story  » a eu, en Belgique, beaucoup moins d’impact qu’en France…

L.: Oui, vous n’avez pas M6.

A.-M.L.: Mais, tout en ne voyant pas l’émission, on en entendait régulièrement parler.

L.: Ah bon?

A.-M.L.: Oui, oui. Et puis, j’ai lu des articles. Bon, je dois vous dire que ce type de voyeurisme médiatique était quand même assez critiqué dans les milieux que je fréquente. Et puis, l’image générale que donne ce genre d’exercice peut paraître superficielle. Mais moi, je suis présidente du Conseil des femmes et militante féministe depuis trente-cinq ans. Et donc, je ne prends jamais les femmes pour superficielles comme on voudrait parfois les faire paraître.

L.: Oui, vous avez un regard différent.

A.-M.L.: En plus, ce que vous écrivez n’est pas superficiel. C’est une histoire, finalement, très touchante.

L.: C’est gentil.

A.-M.L.: L’enfermement à quelques-uns, c’est quelque chose d’extrêmement intéressant sur la personnalité des hommes et des femmes. Par exemple, voir qui domine dans un enfermement, c’est absolument passionnant et le résultat n’est jamais celui que l’on croit deviner au départ.

L.: C’est vrai que dans le Loft, il y a certaines personnes qui sont rapidement apparues comme dominantes.

A.-M.L.: A ce sujet, le Loft est un peu le reflet du monde politique. On ne parle plus de politique au sens de grands objectifs mais de la tactique politicienne à l’intérieur d’un groupe. Parce que, dans un sens, la politique, c’est prendre le pouvoir. Ce n’est pas seulement avoir de grands objectifs et essayer d’y travailler. Ça, c’est la vision externe. Mais la vision interne, c’est prendre le pouvoir pour être  » en charge de « . Et le Loft, c’était ça aussi. C’était très présent : il ne fallait quand même pas être complètement nul pour réussir. Et ça, c’est intéressant.

L.: On m’avait posé la question lors de la sélection :  » Jusqu’où seriez-vous prête à aller pour enterrer les autres?  »

A.-M.L.: Mettre du poison dans leur eau dès le matin ( rires)!

L.: Non, moi j’avais répondu :  » Si on m’aime bien tant mieux, si on ne m’aime pas tant pis.  » Je préfère partir si on ne m’aime pas.

A.-M.L.: C’est très bien de répondre ça, mais dans la réalité, entre ce qu’on dit et ce qu’on fait… Parce que la prise de pouvoir se fait dans n’importe quel milieu. Elle n’est pas seulement réservée au milieu politique.

L.: Mais on peut aussi prendre le pouvoir sans le savoir. Pour moi, cela a été l’inconnue totale.

A.-M.L.: Oui, prendre le pouvoir par hasard, c’est possible, mais une seule fois. Et c’est pour cela que lorsqu’on l’a pris une fois, il faut comprendre le pourquoi et le comment. Et en tirer des leçons.

L.: Oui, bien sûr, il y a une réflexion qui se fait après.

A.-M.L.: Parce qu’un pouvoir qui se fonde sur l’apparence extérieure, c’est un peu court sur une durée de quinze-vingt ans…

L.: Ne tenir que par l’image, cela doit être très dur, j’en suis consciente. C’est pour cette raison aussi que j’ai écrit un livre : pour enlever cette notion d’image. On disait toujours :  » Oui, Loana, la grande blonde, la bimbo…  » Bref, n’importe quoi. Mais moi, j’ai plutôt envie que l’on dise :  » C’est quelqu’un qui réfléchit, qui écrit… »

A.-M.L.: C’est un très bon choix.

L.: Oui, mais c’est un petit peu périlleux quand même. C’est très dur de n’avoir qu’une image à la base et d’écrire un livre ensuite. Au début, cela a été très critiqué. Les gens disaient :  » Mais qu’est-ce qu’elle va bien pouvoir mettre dans son livre?  »

A.-M.L.: Certainement aussi parce que les médias qui créent un personnage ne s’attendent pas à ce que leur créature les entraîne dans une autre direction…

L.: Exactement! Cela a énormément surpris. On s’attendait sûrement à ce que je fasse plein de photos, mais certainement pas à ce que j’écrive un livre. Donc, pour les médias, je n’étais pas l’intelligente qui allait sortir un livre. Jamais! J’étais plutôt la grande blonde qui allait faire plein de photos ( rires).

A.-M.L.: Les médias ont cette dualité : créer et puis détruire. Il est très intéressant de voir la phase de retournement. Cela va se poser pour vous aussi. Et là, c’est le contenu et la durée qui vont compter. Les médias ne sont pas idiots. Ils savent très bien qu’on ne peut pas les manipuler deux fois.

L.: C’est sûr. Je suis tout à fait d’accord. Je me sens parfois à la merci des médias. S’ils décident de casser une personne, autant aimée soit-elle, ils y arriveront. C’est le revers de la médaille.

A.-M.L.: Je suis bien placée pour vous dire que l’événement média change énormément de choses. Et il n’est absolument pas à prendre à la légère. Les médias ne sont pas aussi superficiels que certains essaient de le dire. Vous pouvez tromper les médias une fois mais pas deux fois. Pas sur le long terme. Une fois qu’ils continuent à s’intéresser à vous, c’est parce qu’il y a un contenu. C’est certain. Et ce qui est intéressant dans votre cas, c’est qu’il n’y a pas 36 personnes dont on parle dans la suite du Loft. Donc, c’est que vous représentez quelque chose qui touche les gens en profondeur. Pas superficiellement.

L.: C’est gentil. Les gens me disent rarement cela. Moi, j’ai déjà trouvé très bizarre toute cette médiatisation à mon sujet sur le simple fait que j’avais participé à un jeu. Nous n’avions pas conscience de la folie que cela avait suscité. D’ailleurs, juste avant de sortir du Loft, on s’était dit qu’on allait visiter tranquillement Paris pendant trois jours pour voir les autres lofteurs qui avaient été éliminés. Et après, on rentrait chez nous. Mais quand nous sommes sortis, c’était la folie! Je ne comprenais rien. On me faisait signer des autographes et lorsqu’on a pris les Champs-Elysées, cela ressemblait à la victoire de la France à la Coupe du monde de football! Il y avait des gens partout qui hurlaient  » Loana, Loana!  » avec des pancartes. Le choc! Je crois que cela a été un des plus beaux jours de ma vie…

A.-M.L.: Je veux bien le croire!

L.: Je ne comprenais pas parce que je n’avais rien fait. J’avais juste vécu ma vie à l’intérieur, c’est tout! Et donc, aujourd’hui, j’ai l’impression que je dois faire le chemin à l’envers par rapport aux autres personnes connues. D’habitude, un chanteur qui réussit doit d’abord écrire une chanson qui marche pour passer à la télé et devenir éventuellement une star. Moi, c’est l’inverse. Je sors du Loft et je suis automatiquement une star alors que je n’ai rien fait! Donc, encore une fois, je dois apprendre à faire le chemin à l’envers. C’est pourquoi j’ai écrit ce livre pour montrer que je savais faire quelque chose et, surtout, pour dire enfin ma vérité avant et après le Loft. Cela évitait aussi à mes amis d’être harcelés par des journalistes. Il vaut mieux dire soi-même les choses que de laisser écrire n’importe quoi. J’ai appris par l’expérience que c’était beaucoup mieux.

A.-M.L.: Et après ce livre, qu’allez-vous faire?

L.: Moi, j’aimerais faire du cinéma. Ce serait mon rêve. J’ai envie de prendre des cours et de rencontrer des réalisateurs. Comme tous ceux qui ont envie de faire ce métier d’ailleurs. Mais ce n’est pas parce que je m’appelle Loana que ça ira plus vite. Et si devant une caméra, je n’arrive pas à me débrouiller, je passerai à autre chose. Le but n’est pas de rester une star. Le but, c’est de rester soi-même et de continuer à plaire pour ce que je suis. Je ne veux pas faire n’importe quoi justement pour rester une star. C’est hors de question. A côté de cela, je compte aussi créer une petite marque de vêtements pour le printemps prochain. Pas quelque chose d’énorme, mais une marque pour adolescentes à un prix abordable avec des vêtements que j’aime, pas forcément à la mode, mais plutôt d’inspiration années 1970, une époque que j’aime beaucoup. J’ai toujours été une grande fan des chaussures de ma maman : les talons compensés! Et comme on me suit beaucoup sur le plan vestimentaire, j’ai eu cette idée de créer des vêtements. C’est une fierté. Mais comme je ne sais pas dessiner, je vais travailler avec une styliste en lui dictant ce que j’aime.

A.-M.L.: C’est un peu la démarche de beaucoup de sportifs qui gèrent l’utilisation de leur nom. Moi, j’ai enfin trouvé la marque de vêtements qui me convient, c’est Louis Féraud! Elle me correspond bien.

L.: C’est sûr que je vous vois mal habillée tout en rose avec une petite peluche sur le dos. Cela ne vous irait pas ( rires)! Moi, je peux me le permettre.

A.-M.L.: Ce qui compte, c’est d’avoir des vêtements qu’on aime bien et dans lesquels on se sent bien.

L.: C’est très important. On m’a souvent guidée en me disant  » Il faudrait que tu mettes ça ou ça, cela irait mieux avec ton image « . Mais moi, je mets ce que j’ai envie. Et puis, je mène aussi une carrière de mannequin en parallèle. Il y a les défilés deux fois par an et les séances de photos qui durent généralement une journée. Donc, ça n’empiète pas sur une autre carrière éventuelle et cela se gère très bien. Mais, pour moi, c’est une passion. J’adore ça. L’avantage que j’ai d’être connue par rapport à un mannequin normal, c’est que le monde de la mode essaie de garder un peu ma personnalité.

A.-M.L.: Je voudrais vous poser une question. Avec l’expérience que vous avez aujourd’hui, comment voyez-vous les féministes? Que représentent-elles pour vous?

L.: Pour moi, elles représentent les grandes étapes qui ont bousculé la vie des femmes. Des femmes qui luttent pour avoir des droits à l’égalité de l’homme. Je suis plutôt pour le féminisme. Je ne pense pas que l’homme soit supérieur à la femme. Je pense que nous sommes tous égaux et complémentaires. Et que l’on a tous besoin l’un de l’autre.

A.-M.L.: Il ne faut pas dire que vous êtes féministe parce que je suis là ( rires)!

L.: Non, non! Je ne pense pas être féministe dans l’âme, mais je pense simplement que l’on doit tous avoir les mêmes droits, que l’on soit un homme ou une femme. C’est tout.

A.-M.L.: Moi, j’ai quand même 52 ans et ma génération a parfois l’impression que les jeunes femmes d’aujourd’hui croient qu’il n’y a plus de problème, alors qu’il y a toujours un problème important de discrimination. Et c’est plus perceptible en France qu’en Belgique, même s’il existe chez vous une loi sur la parité. Mais la mise en oeuvre est difficile. Moi, ici, j’essaie de faire la même loi qu’en France et je peux vous dire que je pédale! Ce n’est pas évident. On reste dans un milieu majoritairement masculin qui défend ses fonctions.

L.: Les mâles défendent leur territoire!

A.-M.L.: Oui, c’est ça! Mais vous savez, les féministes aiment les hommes. C’est vrai. Parce qu’on cherche toujours les plus intelligents. Et dès qu’on voit qu’ils sont cons sur la question du féminisme, on n’en veut plus! Regardez autour de vous : généralement, les féministes vivent avec des hommes intéressants qui comprennent notre démarche. Mais, pour en revenir au Loft, je pense qu’il serait aussi très intéressant de comparer un groupe de 20-25 ans et un groupe de 50-55 ans. A la limite, ce serait plus dommageable pour des personnes qui ont plus de 50 ans. Rien n’est gratuit à cet âge-là. Prenez les relations sexuelles : quand on a 20 ans, c’est beaucoup plus gratuit qu’à l’âge de 50 ans…

L.: Oui. Tout à fait.

A.-M.L.: Je crois d’ailleurs que la relation à la vie sexuelle est plus importante quand on est plus âgé. Aussi idiot que cela en ait l’air! J’ai l’impression qu’à 20 ans, on peut se permettre des aventures sans lendemain. A 50 ans, beaucoup moins.

L.: On recherche quelqu’un avec qui rester.

A.-M.L.: Oui. Je ne sais pas comment vous voyez cela…

L.: Moi, dans le Loft, j’ai rencontré quelqu’un qui était plutôt du style volage, alors que moi, je ne le suis pas du tout. Donc, je serais plutôt du profil 40-45 ans! J’aurai plutôt envie de rencontrer l’homme de ma vie alors que la majorité des gens de mon âge vivent plutôt des aventures d’un soir.

A.-M.L.: Les femmes sont rarement superficielles sur cette question même si extérieurement elles en donnent l’impression. Dans le fond, la grande différence entre les hommes et les femmes n’est pas dans la relation au pouvoir, mais plutôt dans ce qu’ils mettent dans l’acte sexuel. Et ça, on n’ose pas le dire. Ce n’est pas un sujet de conversation habituel. Si vous êtes enfermée pendant deux mois dans un endroit, vous avez forcément le problème et ça, vous devez le gérer!

L.: Bien sûr.

A.-M.L.: Les plus insécurisés, ce sont les hommes. Et c’est très intéressant, pour les féministes, de voir l’évolution des comportements masculins. C’est passionnant. Votre démarche est quand même unique. Il n’y a pas beaucoup de femmes dans votre situation!

L.: Non! Je suis le premier exemple ( rires)! J’avance un peu en terrain inconnu. Mais je dois garder les pieds sur terre.

A.-M.L.: Mais, au final, une expérience comme la vôtre dans le Loft, rend-elle une relation stable plus difficle ou moins difficile?

L.: Plus difficile. Parce que, aujourd’hui, je ne sais pas si un homme veut être avec moi seulement pour moi ou pour partager la célébrité de l’image de Loana. Donc, je suis extrêmement méfiante et c’est pour cette raison que je suis toujours célibataire.

A.-M.L.: Et comment allez-vous faire à l’avenir avec les hommes?

L.: Je verrai. Je tenterai. Si je rate, ce n’est pas grave. Je continuerai. C’est comme dans le Loft. Finalement, la vie qu’on a vécue à l’intérieur, c’est un peu la même qu’à l’extérieur.

A.-M.L.: Mais la méfiance est renforcée avec ce que vous avez vécu.

L.: Oui, c’est vrai.

A.-M.L.: Mais ne pensez-vous pas finalement que la recherche d’une relation stable fait partie d’une carrière?

L.: Pas d’une carrière. D’une vie.

A.-M.L.: Non, mais je suis en train d’examiner comment vous avez intégré éventuellement la politique, au sens tactique, dans la relation sexuelle ( sourire). C’est intéressant parce que, finalement, la vie est courte.

L.: Bien sûr!

A.-M.L.: On peut tomber amoureuse de 25 hommes dans sa vie mais, quelque part, il y en a certains qui peuvent vous aider et d’autres qui vont simplement être des éléments d’une relation à égalité. Donc, à un moment donné, si vous faites une démarche de pouvoir, vous avez quand même intérêt à avoir avec vous des hommes qui participent à cette démarche de pouvoir. Est-ce la suite logique du Loft? Allez-vous plus calculer vos relations amoureuses qu’avant?

L.: J’aimerais que les hommes m’aident à évoluer, mais ce ne sera pas une obligation. Pour moi, il ne doit pas y avoir d’intérêt. Le simple fait qu’un homme soit à mes côtés m’apporte déjà beaucoup. Je n’ai pas envie de calculer quoi que ce soit.

A.-M.L.: Je pense que les femmes sont d’office beaucoup plus détachées que les hommes par rapport à l’intérêt de la relation amoureuse. Mais pouvez-vous imaginer ne jamais rencontrer dans votre vie quelqu’un qui va vraiment être votre compagnon? Pouvez-vous imaginer votre vie sans cet homme-là?

L.: Ce serait très dur. Je ne l’ai jamais imaginé. J’espère toujours trouver quelqu’un. Sinon, ce serait une vie un peu vide. J’aime partager. Découvrir des endroits seule, cela ne m’intéresse pas.

Propos recueillis par Frédéric Brébant. Photos : Jean-Michel Clajot/Reporters

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