Avec lui pas besoin de traité de scénographie. Un stylo à bille, un papier vierge, de l’émotion. Et Bob Verhelst met en scène la mode et l’art. Lumières.

Jour J-1, Graanmarkt 13, à Anvers, veille de l’ouverture d’une boutique  » antimarque « , grandeur maison, échelle humaine, qui affiche son adresse en guise de nom. Parmi les cartons à peine déballés, ça s’active, ça fourmille, les électriciens à l’électricité, les peintres à la peinture, les autres à leur poste, et au milieu, Bob Verhelst, directeur artistique, en pantalon bleu de travail, mais c’est son uniforme de vie, pas de chantier. à l’instant, ce qui l’occupe, c’est comment présenter les collections qu’il a choisies avec la propriétaire du lieu, comment mettre en scène les créateurs coups de c£ur – mélanger tout ou plutôt séparer, les faire vivre leur vie exemplaire, dans un coin nominatif ou en un mariage de passion qui exclut la raison ? Il ne sait pas encore, travailler dans l’urgence a ceci de positif qu’il faut décider rapidement, ça l’excite plutôt. Cela fait un an et demi maintenant que le projet de cette maison-boutique-restaurant-galerie d’art l’occupe, mais pas à part entière, car Bob Verhelst a toujours deux ou trois expos d’avance, aucune coïncidence.

à trois pâtés de maisons de là, au ModeMuseum, dans la Nationalestraat, on s’apprête à commencer l’accrochage de Noir, noir magistral dans la mode et le costume, scénographie Bob Verhelst (lire en pages 52 à 59).  » Ce sera totalement abstrait, un peu bizarre, pas minimaliste du tout et assez simple « , dit-il en joignant le geste à la parole : deux, trois traits au stylo de bille sur un papier qui traînait là, et la mise en scène de l’expo émerge du néant. Il avait imaginé un espace comme une boîte noire, mais les gardiens du musée ont demandé grâce, alors  » ce sera blanc « . Il dessine comme une toile d’araignée, avec des taches noires, des ombres qui montent à l’assaut des murs, grimpent parfois jusqu’au plafond, et des podiums pour mettre en valeur ce qui le mérite, tous ces vêtements ainsi sauvés d’une petite mort.

Une seule exigence, peut-être deux :  » que la scénographie ne dépasse jamais le sujet « ,  » que les visiteurs soient surpris.  » Avec lui, pas de vitrines, même si, il le sait, le textile est fragile, il contourne l’obstacle et tacle.  » Un bordel de chaises renversées  » pour protéger des drapés antiques de Goddess au MoMu en 2004. Des trésors originaux mais sans décorum d’époque, pour l’expo d’ouverture du même musée, deux ans plus tôt, titrée Backstage : Selection I : une robe 1830, un corset ancien, le manteau duvet de Maison Martin Margiela, avec à côté, leurs reproductions à l’identique, dans le même tissu, donnés à toucher – que les aveugles, et les autres, puissent caresser la beauté. Toujours, il réussit à tordre le cou à cette tristesse qui pourrait émaner d’un vêtement non porté, devenu pièce de musée, entre ombre et lumière, maximum 50 Lux.

Il y a plus de trente ans, Bob Verhelst était parti pour étudier la sculpture à l’Académie royale d’Anvers mais il y a croisé la section mode et le professeur Hieron Pessers, en tablier blanc, qui expliquait l’art du drapé à ses étudiants.  » Je me suis dit : c’est cela que je veux faire, créer des volumes mais avec du tissu.  » Et c’est ce qu’il fera, mais pas seulement.

Début 80, il se spécialise en costumes de théâtre et d’opéra à Varsovie, approfondit le dessin à Rome, devient le plus jeune costumier du Burgtheater de Vienne, dessine des vêtements pour des labels commerciaux, conquiert la Chine. Un jour d’octobre 1988, il est à Paris, au Café de la gare, où Martin Margiela, qu’il a connu à l’Académie, défile pour la première fois. Bob Verhelst lui demande s’il a besoin d’aide,  » ils n’étaient alors que 4  » et  » au fur et à mesure « , commence  » à travailler avec lui « , huit ans de collaboration impossible à résumer.

Dans ses yeux si vifs et amusés, comme dans un View-Master, on voit des robes trompe-l’£il et des endroits improbables pour des shows mémorables siglés MMM,  » quand c’est compliqué et que ça marche, quelle joie « , souffle-t-il. Depuis, il a cessé de dessiner des vêtements et d’orchestrer des défilés, mais pas de scénographier des univers dans lesquels il plonge, parfois en apnée. De Zurich, à Londres, Paris, Bruxelles et Anvers, de Chantal Thomass à Miquel Barceló, Cartier, Hermès, Viktor & Rolf, Ann Demeulemeester, Delvaux et La route de la soie. Bob Verhelst se joue de l’espace et du temps qui passe. à sa façon, la vie en perspective.

Anne-Françoise Moyson

« Que la scénographie ne dépasse jamais le sujet. »

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