Finis les années bling-bling, la bouffe-esbroufe et les tics de toques ! La gastronomie postcrise fait profil bas et signe le retour de l’authentique. Voici les dix tendances refuge.

L’ANTI-MASTERCHEF ATTITUDE

Une épreuve, toutes ces nouvelles émissions de cuisine en prime ? Certes, mais aussi une épreuve de vérité ! Voir certains candidats du Top 20 de Masterchef – le soi-disant gratin des cuisiniers amateurs de l’Hexagone – caler sur la Tatin, faute de savoir confectionner un caramel ou, pire, une pâte brisée dévoile cruellement le ridicule de la food mania ambiante. Incitant les vouzémoi, spécialistes ès recettes frimeuses et cuissons approximatives, à potasser humblement leurs basiques : vraie purée, mayo maison, crème caramel impec. TF 1 et son jury garde-chiourme auront au moins eu ce mérite : on prendra des cours de dacquoise quand on saura rôtir un poulet à la perfection. Ou presque.

TOUS FANS DE LÉGUMES PROLÉTAIRES

On en a soupé de tous ces raves et courges  » oubliées  » ! On a mieux à faire dans la vie qu’éplucher des scorsonères avec des gants de chirurgien. Gavés de tomates anciennes à 12 euros le kilo, on redécouvre avec bonheur les légumes modestes. Carottes (rôties coupées dans la longueur, comme chez Nicolas Scheidt, La Buvette, Bruxelles), cocotte de légumes de saison (travaillée sans chichis comme chez David Martin, La Paix, Bruxelles), céleri-rave (proposé avec des chicons, des choux de Bruxelles et du lard, comme chez Pierre Résimont, l’Eau Vive, Rivière), sans oublier l’épinard ou la blette, star low-cost des recettes rustiques italiennes. On les sert dans un esprit  » j’arrive direct du potager « , avec une fane par-ci, un toupet de feuilles par-là, en un geste moins snob qu’espiègle.

VIVE LA PÂTISSERIE DES TRENTE GLORIEUSES

Tout va bien : le macaron truffe blanche-verveine poursuit sa lente descente aux enfers et les grands classiques (millefeuille, paris-brest, éclair) sont en plein essor. La suite ? On nous annonce le retour des javanais et autres misérables qui squattaient les goûters dominicaux époque Belgique de papa. Preuve indéniable, même les fameuses Tartes de Françoise, référence de la régression sucrée en Belgique, ont renoué avec le genre en proposant un merveilleux qui n’a rien à envier à ses prédécesseurs. Dans la foulée, le célèbre lingot d’or – salade de fruits sur feuilletage et meringue caramélisée – de chez Wittamer, à Bruxelles, fait à nouveau le buzz. Idem pour les vénérables profiteroles au chocolat signées par Marc Ducobu à Waterloo.

LA CUISINE LOW-TECH

La grande leçon de l’hilarant Dîner presque parfait ? Tous ces cercles, verrines et autres machins en silicone ne sont que des prothèses-à-cuisiner. Out, la dictature de l’ustensile inutile ! Anti-esbroufe, écolos, vaisselle-friendly, la râpe, le pilon et le mortier reprennent du service, comme les irréprochables couteaux que l’on se procure chaque année lors des Journées de la coutellerie à Gembloux (plus convaincants, finalement, que le sabre en céramique nippon !). Dans la foulée, on vire les condiments gadgets, poivre de chikungunya fumé et jus de qumquatuzu éventé ! Si on épate les invités, ce sera par la fraîcheur de notre laitue, assaisonnée d'(exquise) huile d’olive bio Delhaize. Frustrés ? Allez, on vous autorise à chiner sur eBay un tournebroche en fonte à remontoir, antique merveille 100 % low-tech.

LA CULTURE DE LA PROXIMITÉ

Dans un pays petit comme la Belgique, aucune excuse pour ne pas glaner les produits au c£ur des terroirs qui les portent. Pas de rond de serviette à L’Air du Temps, le restaurant du chef doublement étoilé Sang-Hoon Degeimbre, à Noville-sur-Mehaigne ? On rend visite à Jean-Yves Bruyère, son fournisseur officiel de pigeonneaux de Waret. D’autres adresses méritent largement le détour : la ferme de Belle-Vue à Etalle pour sa sublime viande d’agneau, la ferme d’Hacquedeau à Piétrebais pour ses volailles à croissance lente, le potager Zèbre Vert de Benoît Blairvacq à Couthuin pour ses légumes parfaits… On surfe sur Lespaniersverts.be ou Exquisitegreen.be qui rapprochent gourmets des villes et travailleurs des champs, et on va aussi remplir son cabas chez Votre Marché Vert, à Bruxelles, un supermarché en prise directe sur les terroirs. Au marché du samedi, on snobe les opportunistes du bio et leurs fruits globe-trotteurs. Et pour se ravitailler le dimanche, on fonce chez les vrais maraîchers du marché de La Batte à Liège. Le  » locavorisme  » a plus que jamais le goût de l’évidence.

LA VOGUE DES GOULOTS MODESTES

Dans les planques à bobos, on biberonne toujours aux mêmes vins nature ? C’est vrai, mais on sent comme un début d’alternative. Des flacons timides issus d’appellations encore inconnues au compteur (coteaux du Vendômois, fiefs vendéens…) ou de cépages rares (pineau d’Aunis de Loire ou bianco gentile de Corse). Chouchou actuel des £nophiles : le jasnières, bonne fille de la Sarthe, où elle occupe une petite langue de vigne de 5 km de long sur 300 m de large. Elle devient pépite lorsqu’elle est travaillée, en blanc seulement, par les vignerons dont vous devez désormais connaître le nom : Jean-Pierre Robinot (Les Vignes de l’Angevin) et Eric Nicolas (Domaine de Bellivière). Pour glaner des perles rares, on frappe à la porte de cavistes atypiques comme Fruits de la Passion à Wastines, L’Odyssée des Arômes à Grez-Doiceau ou Le Bistro de la Poste à Bruxelles, un resto qui joue également les importateurs.

ÉCAILLES NOUVELLE VAGUE

Après la sardine et le maquereau, les mascottes de la bistronomie des années 90, d’autres espèces de poissons montrent le bout de leur nageoire au resto : le lieu jaune fait souvent la doublure du cabillaud, la limande se prend pour une sole, le merlan frit nous fait à nouveau de l’£il, et le pagre, le maigre ou le tacaud jouent les outsiders face aux sempiternels turbots, bars et autres saint-pierre. Triple bonne nouvelle : ces nouvelles écailles sont moins chères, gustativement inédites et surtout issues de stocks non menacés. Les plus militants des écomangeurs privilégient une adresse en matière d’éthique poissonnière : La Poissonnerie de Frédérick Lebe, à Etterbeek.

LE CAFÉ DU COIN EN POINTE

Côté restaurateurs, coup de frein sur les investissements colossaux, la saison de la chasse aux bistrots décatis est définitivement ouverte. Sur les rangs, la génération des néo-bistrotiers qui réenchantent le quotidien du café du coin. La recette : laisser gentiment mijoter dans un vieux fonds de Formica déglingué, de néons blafards et de zincs usés par des millions de coudes, saupoudrer d’humeur néo-popu et ajouter au dernier moment des nourritures ficelées avec esprit. Le Tournant, du côté de la chaussée de Wavre à Bruxelles, en est un bel exemple avec une cuisine zéro prétention qui ne craint ni le porc cuit dans la graisse, ni le b£uf mijoté au vin. Et le buzzomètre s’excite ces temps-ci sur une adresse de sentiment par excellence : À Bout de Soufre, petite enseigne ficelle ouverte par deux passionnés, harponne les Saint-Gillois à coups de salade de joues de porc laquées, de planches charcutières et des meilleurs flacons nature.

LA GOURMANDISE SANS FRONTIÈRES

Et si les talents étrangers installés en Belgique nous aidaient à cultiver notre goût de l’authentique ? Même s’il officie dans une adresse prestigieuse, le New-Yorkais Alex Joseph a fait souffler sur la carte du Bruxellois Rouge Tomate un vent de simplicité salutaire façon  » back to basics « . Il mitonne entre autres une entrée à base de betteraves rouges, de camembert et de noix de pécan qui fait l’unanimité. Sans parler de son ris de veau au sautoir, poireaux, artichauts et gnocchis poêlés. Dans la foulée, ce hors-venu met à contribution les terroirs et les circuits courts en important la formule  » farm to table  » qui fait tant parler d’elle à New York. Qui a peur de l’envahisseur ? Pas nous.

LES NÉO-PALACES TOMBENT LA VESTE

 » Oser une cuisine brute au sens où elle fait du bon avec du simple.  » Ce n’est pas un chef scandinave et tatoué qui nous parle depuis son restaurant-scierie en banlieue de Malmö mais… Alain Ducasse, qui décrit la  » révolution  » entreprise cet automne dans son 3-étoiles du Plaza Athénée (Paris VIIIe). Nouveau chef et nouvelle carte au plus proche du produit, plus pragmatique dans ses intitulés (turbot, coquillages, blettes, ou sole meunière, cèpes), que dans son addition, toujours cosmique. Nouveau décor aussi, comme au Royal Monceau (Paris VIIIe), réinventé en palace arty pour  » casual VIP  » selon Philippe Starck, sans or ni marbre, avec force volailles sur rôtissoire, pour public voulu cool et pour l’heure très col (blanc).

Carnet d’adresses en page 64.

PAR MARIE-ODILE BRIET, FRANÇOIS-RÉGIS GAUDRY, ELVIRA MASSON ET MICHEL VERLINDEN

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