Une coiffeuse qui décoiffe, c’est rare et beau. De Paris à Bruxelles, Marianne Gray a toujours tout fait comme elle l’entendait. Du naturel, de la beauté, de l’art et surtout, surtout beaucoup d’amour. Sans bigoudis.

Il faut monter l’escalier d’une maison alambiquée, juste sur le coin qui départage la rue de la Violette et celle des Chapeliers. A l’ombre de la statue de saint Michel et de son dragon qui veillent sur la Grand-Place, à Bruxelles. Elle niche au dernier étage de cette ancienne confiserie devenue son salon de coiffure, avec institut de beauté en sous-sol. Le plancher est brut, les murs gris. Une sculpture d’Athéna en bronze, deux tableaux de son amie Diagne Chanel, on dirait des icônes. Des livres partout, d’art surtout et des romans. On pensait parler cheveux, il n’en sera rien – ou presque.

Chapitre premier, un peu de philo, paragraphe bonjour tristesse. Marianne Gray a fait une vilaine chute, fracture, opérations, broches et un £dème qui vient compliquer le tout. On comprend mieux pourquoi d’emblée et dans un souffle, elle confie :  » On n’est pas doué pour le bonheur, ce n’est pas naturel, c’est un combat. Comme le vieillissement. Même pas : vieillir, c’est un massacreà  » Elle a relu il y a peu la correspondance de Sigmund Freud et de Stefan Zweig, elle y a trouvé le même constat, guère rassurant. Alors elle en rit. Un petit rire juvénile, tout doux. Puis comme un mantra, elle répète presque en haussant les épaules, comme le ferait une fillette :  » Nager à contre-courant, quelle ineptie ! Il faut se laisser un peu couler « . Elle est comme ça, Marianne Gray. Entière, donc fissurée.

Chapitre deuxième, un peu de cheveux, paragraphe je n’en fais qu’à ma tête. Car quel autre choix quand vous vous sentez  » exclue « , que vos parents vous prennent pour  » une folle « , que vous avez une mère qui aurait rêvé que vous eussiez de belles anglaises et qui vous traîne chez le coiffeur pour vous permanenter de force. Les petites filles ne naissent pas toujours dans les roses. Grandir quand même, à Belfort, France, en chignonnant à qui mieux mieux. Peigner les franges des rideaux, crêper les cheveux des copines, passer son brevet haut la main, s’émanciper, filer à Cannes, ouvrir un salon dans un garage, avec chaises achetées en brocante,  » kitsch mais sympa « . Puis monter à Paris, en 1974, chercher un endroit où se sentir chez soi, atterrir rue Saint-André-des-Arts, dans le Quartier Latin, au milieu des nouveaux philosophes, des acteurs de théâtre, des petits éditeurs, ça lui convient ; les décoiffer, ça leur convient. Total respect.

Chapitre troisième, un peu d’intime, paragraphe trouver l’amour. D’un homme, Jean-Pierre Mas, pianiste et compositeur français dont elle collectionnait les disques et qui tombera amoureux d’elle, en photo, en passant devant son salon. De deux bébés, qu’ils iront chercher à São Luis do Maranhão, Brésil. Jules a aujourd’hui 23 ans, Marion 22 ; ils reviennent tout juste de ce pays qui les vit naître. A quatre, ils ont refait le voyage en sens inverse, c’était la première fois, si intense. Marianne Gray raconte les petites rues pavées, souvenir des Portugais, les maisons mangées par la végétation, la beauté des gens dans la rue, les filles qui ondulent tout le temps, l’amour. Et elle qui a  » un peu étudié des textes jungiens « , se souvient de ces lectures qui expliquaient combien  » la branche greffée sur un arbre est la plus solide « . Elle précise :  » Ils sont greffés sur moi. « 

Chapitre quatrième, un peu d’art, paragraphe salon littéraire. C’est parce que Marianne Gray a  » toujours cherché quelqu’un à qui parler, écouter, avec qui échanger un titre de livre ou de spectacle  » que ses deux salons, le parisien et le bruxellois, ne ressemblent à aucun autre. Elle y accroche des toiles d’artistes qui deviennent ses amis, coupe les cheveux de femmes et d’hommes qui retrouvent leur essence, interdit l’uniforme par amour du sur-mesure et du feeling,  » respecte la vie jusqu’au bout « , brushing compris. Elle se sent heureuse ici, depuis bientôt presque cinq ans. Sur le chambranle de la porte entre cuisine et couloir, Marianne Gray a pris soin d’écrire cette phrase de Nietzsche :  » Il faut porter du chaos en soi pour accoucher d’une étoile qui danse « .

Anne-Françoise Moyson

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