Il tient les plus belles filles dans son viseur. Les stars et les têtes couronnées ne lui refusent jamais un cliché. Il « shoote » plus vite que son ombre mais prend le temps de parler de ses passions. Rencontre avec un gentleman-photographer.

Mario Testino est à la photographie ce que François Boucher (XVIIIe siècle) fut à la peinture: le meilleur « faiseur d’images » des VIP. Madame de Pompadour, la très jolie maîtresse de Louis XV,

connaît une renommée éternelle grâce au pinceau de Boucher. Diana, princesse de Galles, a été immortalisée par Testino en 1997, peu de temps avant sa disparition brutale (1).

A 48 ans, ce maestro de l’objectif peut arborer, sans caricature, son surnom de « super Mario ». Erotisme léché, glamour pas glacial et provocation plus classe que trash caractérisent un style photographique auquel l’artiste d’origine péruvienne – avec un mélange de racines irlandaises, italiennes et hispaniques – est toujours demeuré fidèle. Dans la seconde moitié des années 1990, lorsque la mode et ses images ne jurent que par le genre trashy dépressif avec des mignonnes (?) maladivement maigres, le sieur Testino persiste et signe avec ses clichés à « haute valeur sexy ajoutée ». Il n’en démordra jamais: la photographie sert à embellir la réalité, point à la ligne. De toutes façons, il est suffisamment riche et célèbre, à l’instar de ses modèles, pour se permettre de revendiquer une totale carte blanche au niveau de son travail. Et ses oeuvres se vendent comme des petits pains, ses bouquins itou (2).

Installé à Londres depuis longtemps, Mario-le-Magnifique a démarré à l’aube des eighties via une série de photos pour le magazine « Vogue ». Il a notamment contribué à la mise en vedette de mannequins tels que Kate Moss. Il a retravaillé l’image et les campagnes de Gucci dès 1996 alors que Tom Ford y prenait les rênes de la direction artistique. Il a redonné un coup de pep’ au label Calvin Klein en zoomant sur des jeunes filles et des jeunes gens en caleçon, occupés à danser sur de la musique techno. Il a lancé la carrière de la très sculpturale Gisèle Bundchen en 1999 et réalisé un mythique calendrier Pirelli à Naples en 2001.

« Les gens veulent du rêve et c’est mon rôle de les faire rêver », déclare celui qui carbure à l’intuition plutôt qu’à la (longue) réflexion. Voilà des propos pas négatifs – un comble pour un photographe -, que l’on retrouve illustrés par une exposition, « Portraits », à voir au FOAM à Amsterdam (3). Lesdits portraits, pris entre 1994 et 2002, ratissent large parmi les beautiful people: Gwyneth Paltrow façon star des années-phares de Hollywood, Madonna en madone puis en mère ultracool avec sa fillette sur les genoux, Kate Moss en Burberry et Gisèle en décolleté d’enfer, le prince Charles en train de nourrir ses poules, Puff Daddy se faisant titiller le téton par Naomi Campbell, Jude Law beau comme un Spartacus du XXe siècle, etc.

Pour Weekend Le Vif/L’Express, Mario Testino prolonge l’image par les mots, flashant juste ce qu’il faut sur cette vision de la vie qui vaut décidément la peine d’être vécue.

Weekend Le Vif/L’Express: Vers quoi s’oriente la photo de mode aujourd’hui?

Mario Testino: Je pense qu’elle va renouer avec une grande fantaisie. Je ne dis pas que la photo de mode contemporaine en manque, surtout quand on la compare au courant grunge des années 1990, sans maquillage, couleurs ou bijoux. Simplement, on traverse des temps agités, où les gens songent moins à la fête, aux paillettes et au divertissement. En ce qui me concerne, j’ai envie d’aller vers les choses plutôt que d’attendre qu’elles viennent vers moi. J’aime la nouveauté pointue, l’énergie pure – le côté passif de la vie m’emmerde -, et c’est grâce à cela que mes images dégagent une certaine force. C’est la même chose pour mon hobby favori, les oeuvres d’art: je cours les galeries le soir, après mon boulot, parce que j’ai la « collectionnite » aiguë et suis curieux de tout.

En cette période de crise mondiale grave, d’économie moribonde, comment photographier le glamour et le chic sans (trop) choquer?

Je ne pense pas que les images de mode actuelles soient spécialement frivoles, superficielles ou choquantes. Cependant, on ne peut pas aller à l’encontre du désir des gens de vouloir des choses belles, lisses, rassurantes plutôt que des horreurs et des images de destruction… C’est une aspiration assez naturelle, je crois. De toutes façons, les magazines et les labels avec qui je travaille savent qu’on ne peut pas prendre trop de risques en ce moment, qu’il faut miser sur des valeurs sûres.

Mon prochain livre, par exemple, sera axé sur les photographies d’enfants de mes amis et les bénéfices dégagés par cet ouvrage iront à une association de charité qui soutient les enfants cancéreux.

D’un autre côté, Mario Testino peut se permettre d’exiger d’avoir carte blanche pour son travail…

Certes mais cette revendication, je l’étaye depuis vingt-deux ans d’un grand respect pour ceux avec qui je travaille. La liberté d’action n’empêche pas la sincérité: si je prépare une campagne pour Gucci et que la collection repose sur le glamour sexy, je suivrai cette voie. S’il s’agit de photos à réaliser pour Burberry, je me coulerai dans l’ambiance propre au label anglais. Mes propres clichés, je les traite comme je l’entends. Quand je travaille pour quelqu’un d’autre, je sais que je dois intégrer mon style dans un univers précis. C’est normal: le photographe est sensé communiquer au public ce que les stylistes ont voulu dire. Le seul pouvoir que j’ai, c’est celui de décider moi-même de ce que je vais faire. J’ai la chance d’être mon propre chef, ce qui n’est déjà pas évident dans un milieu aussi concurrentiel.

Comment arrivez-vous à établir une telle connection avec chacun de vos modèles?

Simplement parce que j’aime les gens et que j’arrive à leur faire aimer l’objectif qui va les photographier. Il y a certainement une bonne part de psychanalyse dans un boulot comme le mienet aussi pas mal de diplomatie. Les stars ont parfois les nerfs à fleur de peau, ou, comme tout un chacun, ne sont pas au top de leur forme – il y a un bouton par ici, un « pli » par là -, au moment des prises de vues. Idem avec les modèles débutants, des gamines de 15 ou 16 ans à qui il arrive de rester pétrifiées face à l’objectif. Avant tout geste artistique, je dois mettre les gens à l’aise, les protéger au besoin. Et pas seulement pendant la séance photos, j’insiste particulièrement sur ce point.

Personne n’a donc freiné des quatre fers devant votre objectif?

C’est délicat de citer des noms ( sourire) et puis, je ne tiens pas à porter des jugements car le comportement des gens est généralement lié à des circonstances, favorables ou non. Moi, je dois juste saisir leur moment de grâce, l’instant ou elles/ils se sentent parfaitement bien. Tous mes modèles ne sont pas mes amis. Je me sens évidemment plus à l’aise avec Elton ( NDLR: John) qu’avec Puff Daddy; je n’ai rien contre ce dernier – la séance photos s’est déroulée dans une ambiance très sympa -, mais sa vie diffère de la mienne, on n’a pas beaucoup de choses en commun.

Qui représente le mieux la séduction à vos yeux d’homme et de photographe?

Au risque de passer pour un prétentieux, j’ai vu, via mon boulot, tellement de jolies femmes complètement à poil que je ne saurais répondre de façon objective à votre question!

Si vous étiez une femme, qui aimeriez-vous incarner?

Sans hésiter Carine Roitfield ( NDLR: l’actuelle rédac’chef de « Vogue France ») avec qui j’ai notamment repensé l’image de la maison Gucci, il y a sept ans. Carine est un peu mon alter ego, ma soeur jumelle. Avec sa sophistication typiquement française, elle m’a aidé à cerner la sensualité et l’ambivalence féminine. On est né la même année – elle déteste que je dise cela ( rires) -, donc on a les mêmes références quant à la mode, au chic, à la transgression. En fait, Carine et moi aimons les choses qui semblent diamétralement opposées au premier abord, telle que l’élégance décalée. Moi je rends notre travail plus accessible au public et elle, à l’élite. C’est une association magique.

Dans deux ans, vous soufflerez vos 50 bougies. Que vous inspire cette étape cruciale de votre existence?

Eh bien, je me dis que la génération qui suit la mienne connaît la gloire beaucoup plus vite. A 22 ans à peine, certains sont déjà « les » photographes du moment. En revanche, j’ai eu le privilège, avant ma cinquantième année, de figurer au musée ( sourires) alors que d’autres artistes plus âgés n’ont pas encore cette opportunité. Au fond mon existence a été, jusqu’à présent, bénie par Dieu; j’ai pu saisir tous les signes que la vie m’a adressés. Et puis les années m’ont permis d’accéder à la sérénité: au début, j’étais assez hystérique, ensuite j’ai compris que pour recevoir, il fallait donner.

Le photographe JeanLoup Sieff disait que la mode meurt jeune, tandis que la photo de mode s’offre un sursis. Quelle est votre secret pour durer dans un univers si éphémère?

Le changement permanent. Dans la rue, on peut me considérer comme une star de la photo mais sur un plateau, il n’y a pas de star, seuls comptent les résultats. Pour les obtenir, il faut se remettre en question tous les jours. Voilà pourquoi je choisis de travailler avec des rédactrices de mode et des équipes qui posent sur mon travail un oeil critique voire féroce au lieu de me dire « Oh Marioooo, c’est subliiiime! » Au studio, je fais systématiquement table rase de mes expériences précédentes, comme si j’étais un tout jeune photographe confronté à sa première mission.

A quand remonte cette passion pour la mode?

J’avais 10 ans à peine: ma mère et ses soeurs étaient très belles, avec un sens rare de l’élégance. Et elles se prenaient souvent en photos. Du coup, j’ai développé une véritable passion pour la mode et sa mise en images. J’accompagnais mon père aux Etats-Unis – il travaillait pour une grande société à New York – et dès l’âge de 14 ans, j’achetais des vêtements pour ma famille. Je leur composais des looks complets, je me fabriquais ma propre garde-robe, etc.

Si vous étiez né avant l’invention de la photographie, quel peintre auriez-vous aimé être?

Personne: j’adore la peinture – Boldini, Gainsborough et Van Dyck par exemple -, mais je suis nul dans cette discipline ( sourires). J’aurais plutôt été consultant en mode, on disait « conseiller » à l’époque, afin d’aider les gens à bien s’habiller avant de poser pour les peintres. Si la machine à remonter le temps existait et que l’on me catapultait dans le passé, j’aurais exercé le même métier, avec les moyens du bord.

Propos recueillis par Marianne Hublet [{ssquf}], (1)Source: The International Herald Tribune, 3 déc

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