Depuis dix ans, cette photographe française ausculte les abîmes de l’artificialité et le culte de l’apparence dans des images à la beauté ambiguë et glaçante. Le Festival international de la photo de Knokke-Heist présente la première rétrospective d’envergure de Valérie Belin en Belgique. Focus sur sa dernière série : la vénéneuse  » Black Eyed Suzan « .

L’exposition est sous-titrée Eyes Wide Shut, du nom du dernier film de Stanley Kubrick (1928-1999). La référence s’avère pertinente à plus d’un titre. Derrière sa beauté stricte et glacée, l’£uvre de la photographe française Valérie Belin (Boulogne-Billancourt, 1964) traduit le même malaise, la même angoisse existentielle qui suintait du chant du cygne du cinéaste américain. Du reste, le motif du masque, élément essentiel d’ Eyes Wide Shut et sujet d’une des séries d’images présentées ici, installe le même doute, nous parle de mensonge, d’apparences trompeuses avec chez les deux artistes un soupçon identique d’empathie désespérée pour l’humanité.

Les modèles de Valérie Belin entretiennent manifestement un rapport problématique avec leur identité et leur corps. Bodybuilders disparaissant sous leur enveloppe de muscles, top-modèles à la plastique aseptisée par la doxa modeuse, sosies bancals de Michael Jackson, tous désirent être un autre. Avatars d’eux-mêmes à l’aide et par la force de l’artifice, ces individus frôlent la monstruosité dans leur quête de beauté. Et paraissent au final plus irréels que les mannequins de vitrine auxquels la photographe a par ailleurs consacré une troublante série. Derrière la surface, qui est vivant, qui est inanimé ? En photographiant tous ses sujets selon le même protocole minimaliste, le vis-à-vis est d’autant plus déconcertant.

On retrouve cette ambiguïté dans Black Eyed Suzan, son travail le plus récent. Valérie Belin a pour la première fois utilisé Photoshop, non pas dans son aspect correctif, précise-t-elle, mais pour servir son propos artistique. L’apport du numérique lui a permis d’incruster dans un décor de fleurs des portraits de femmes fatales aux lèvres carmin qu’on croirait tout droit sorties de la série Mad Men. Derrière l’esthétisme de l’ensemble, sourd une fois encore le malaise. L’écho de l’inconfort social des femmes dans les années 60 se fait de plus en plus insistant. Comme dans le portrait de Marilyn Monroe par Andy Warhol, un parfum mortifère se dégage alors de ces trop jolis visages. Leur regard semble tout à coup bien triste, corseté dans un décor de papier peint.

PAR BAUDOUIN GALLER

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