Barbara Witkowska Journaliste

Un bois, une fleur, une feuille, une épice, un fruit… Interprétés avec talent par les parfumeurs, ces matières jouent les vedettes au cour de fragrances élégantes, raffinées et empreintes d’une personnalité inoubliable.

Carnet d’adresses en page 97.

Serge Lutens est  » l’homme du bois « . Depuis des années, il ne cesse d’explorer les facettes les plus cachées, les plis les plus secrets des essences rares et exotiques : le cèdre de l’Atlas, le santal de Mysore, le bois de Gaïac ou encore l’ébène. Il marie alors leurs notes précieuses aux résines crémeuses, aux épices lointaines et aux fleurs voluptueuses pour composer des nectars de peau feutrés, mielleux et fondants. Leurs noms ? Féminité du bois, Bois de Violette, Bois et Fruits, Bois Oriental ou Bois et Musc. Des parfums  » mémoires  » qui nous transportent dans les temps antiques et mythiques et renouent avec les origines des civilisations, perdues quelque part au c£ur de l’Orient. Et voici que Serge Lutens nous offre Chêne. C’est la première fois que le parfumeur travaille un bois européen. En se promenant dans le parc de l’abbaye royale de Fontevraud, dans le Val de Loire, il a rencontré  » le  » chêne. Isolé et solitaire, âgé de plus de 300 ans, l’arbre est le seul rescapé de l’histoire mouvementée de ce lieu prestigieux, tous ses compagnons ayant été décapités à la Révolution. Face à ce patriarche de la forêt, les images les plus anciennes ont surgi petit à petit des oubliettes de la mémoire. Celle d’Ulysse, consultant  » le feuillage divin du grand chêne de Zeus « . Celle d’Abraham, recevant la parole divine de Yahvé. Celle de saint Louis rendant justice au pied d’un chêne. Celle, enfin, de Richard C£ur de Lion chevauchant avec ses Croisés au c£ur d’une forêt épaisse. Ces ombres légendaires suscitent une seule envie : rendre, pour la première fois, un hommage olfactif à ce symbole universel de la force (en latin, la force et le chêne sont désignés par le même mot : robur), de la fierté, de la sagesse et de l’hospitalité.  » Le chêne est un bois dur et sec, explique Serge Lutens. J’ai donc imaginé une essence de chêne qui n’existait pas. Je l’ai composée à l’orientale, autour du thème des Croisades. Riche en tanins, je l’ai voulue comme un bois sec qui a été trempé dans le rhum.  » Quelques éclats de cèdre, des accents de bouleau et des sèves subtilement sucrées incarnent le chêne en senteur de caractère. La fève tonka du Brésil lui donne une grande richesse, soutenue par un absolu de rhum. Le thym s’y faufile, se mêle aux essences et sublime les résines précieuses. C’est un jus somptueux, sensuel, confortable et palpable.  » S’il devait ressembler à un tissu, ce serait le tweed « , conclut Serge Lutens.

La sensualité de la nature

L’enfance de Victoire Gobin-Daudé a été marquée par un long séjour à Marrakech. Elle y a découvert l’univers magique des odeurs, ces parfums ensorcelants et puissants de l’Orient que l’on retrouvera, par petites touches, dans ses créations futures. Mais, auparavant, cette grande curieuse préfère mener une vie bien éclectique, très enrichissante. Proche collaboratrice de Pierre Cardin pendant de longues années, elle apprend aussi le japonais, pratique l’aïkido et la danse contemporaine. La spiritualité tient aussi une place importante dans sa vie. En 2002, la jeune femme peut enfin faire aboutir ce projet de parfums personnels et différents qui lui tient à c£ur depuis si longtemps. Dans son travail, elle recrée le riche univers de beauté, de douceur et de sensualité qu’elle a connu autrefois. Des ambiances orientales, mais aussi tous les paysages merveilleux croisés lors de nombreux voyages, forment la trame de ses parfums.  » Tous mes parfums sont l’essence même de la nature, confie-t-elle. J’aime explorer toutes ses facettes, sa puissance animale et généreuse, son côté sauvage ou apprivoisé, doux et brutal, ardent et frais.  » Sous le Buis est une création remarquable qui évoque les balades dans les jardins à la française. L’idée de Victoire Gobin-Daudé était de partir de cette petite feuille verte pleine d’énergie et persistante qui, multipliée à l’infini, borde nos maisons, se blottit contre des murets, égaye les dallages des terrasses.  » La nature, on peut s’en inspirer, mais on ne peut pas la copier, car elle est parfaite, souligne Victoire Gobin-Daudé. Dans un parfum, l’odeur du buis doit être construite, interprétée, entourée d’autres essences.  » Sous le Buis est conçu comme une Eau de Cologne joyeuse qui illumine les journées grises. L’envolée est verte et pétillante. Dans le c£ur, la lavande fait une apparition triomphante et se marie progressivement au néroli. Quelques traces de lentisque apportent cet aspect velouté, glissant et caressant comme une seconde peau. Chic, élégante et pleine de tempérament, cette senteur végétale est comme un cocon de bonheur qu’on déploie autour de soi.

Rosa, rosae, rosam…

Marie-Hélène Rogeon est tombée dans le parfum quand elle était toute petite. Ses aïeux, fabricants de parfums, fournissaient, notamment, Napoléon III. Plus tard, ses grands-parents ont assuré la réalisation des fragrances de Paul Poiret. Le célèbre couturier du début du XXe siècle était singulièrement fécond en la matière. Durant sa carrière, il a lancé environ une cinquantaine de parfums ! Ils n’étaient pas vendus sous sa griffe, mais sous le nom générique Les Parfums de Rosine (Rosine étant le prénom de sa première fille). En 1991, Marie-Hélène Rogeon planche sur le concept d’une autre parfumerie, sortant des sentiers battus, plus personnelle et plus exigeante. Elle a alors la bonne idée de faire revivre Les Parfums de Rosine. Mais pas question pour elle de copier ou rééditer les fragrances du passé.  » Nous faisons des parfums contemporains, en essayant de garder une structure classique « , précise-t-elle. La Rose de Rosine, le premier-né de la série, célèbre la rose rouge, somptueuse et opulente, aux pétales de velours épais et charnus. Les créations suivantes, elles, ne cessent de décliner toutes les facettes, connues et méconnues, de la reine des fleurs. Roseberry, plus vert, évoque un buisson de roses sauvages. Leur arôme capiteux est admirablement contrasté par les notes vertes des feuilles de framboisier, puis sensuellement enroulé de santal et de vétiver. Rose d’Eté, l’un des best-sellers, chante la rose jaune, sereine, épanouie et lumineuse. Le tilleul apporte une facette légère et transparente. Dans Poussière de Rose, la reine des fleurs est délicatement fanée, elle exhale une odeur enveloppante, douce et profonde, légèrement moite. Ecume de Rose a été inspiré par des balades sur les plages des Pays-Bas, dans les environs de La Haye. Des buissons de roses sauvages y répandent des arômes extraordinaires, mais de courte durée. Ecume de Rose capte ces senteurs à l’instant où elles se marient avec les parfums des embruns. Rosa Flamenca, enfin, est un souvenir olfactif de Séville au mois de mai, quand les massifs de roses au parc Maria Luisa, mêlent, le soir, leurs effluves charnels à ceux de la fleur d’oranger et de jasmin.

Un jus qui ne manque pas de piment

Derrière les Parfums Caron se cache le génie et le talent d’Ernest Daltroff. Homme d’affaires inventif et téméraire, il décide, en 1904, de se lancer dans le métier de parfumeur et rachète l’affaire d’un chimiste-parfumeur du nom d’Emile Cahen. Ce qui n’est pas très glamour… Daltroff cherche alors un nom court, à consonance française et facilement prononçable dans toutes les langues. A l’époque, l’engouement pour le cirque est énorme et Caron, célèbre acrobate, est le chouchou de tous les Parisiens. Ce nom convient parfaitement, mais il est évidemment impossible de le plagier. Coup de chance : Daltroff découvre dans Paris une mercerie ancienne à l’enseigne Anne-Marie Caron. Au bout d’une négociation éclair, la mercerie et le nom Caron deviennent la propriété du jeune homme entreprenant. Les Parfums Caron prennent un réel envol, lorsqu’une jeune modiste, au nom prédestiné de Félicie, rejoint l’équipe. La complicité entre Daltroff et la jeune femme est totale. Lui, s’occupe surtout du marketing, même si le terme n’existe pas encore. Félicie, avec son goût exquis, assure le  » stylisme « , dessine flacons, étiquettes, rubans et écrins. Au fil des ans, Caron devient une véritable référence dans la parfumerie de luxe. Les best-sellers de la première moitié du XXe siècle s’appellent Tabac Blond, Narcisse Noir, Bellodgia, Pour un Homme ou Fleurs de Rocaille. Après la Seconde Guerre mondiale, la maison n’a rien perdu ni de sa vigueur ni de sa notoriété. En 1954, Félicie (elle a 80 ans !) présente à l’hôtel Ritz, devant un parterre impressionnant de people new-yorkais et parisiens, Poivre, une senteur explosive.  » Poivre était destiné pour la fourrure, commente Jean-Marie Hattemberg, spécialiste du patrimoine de la parfumerie du XXe siècle et auteur d’un beau livre sur Caron (aux éditions Milan). C’est le premier parfum de l’après-guerre qui est entièrement épicé. Sa dominante poivre est une illusion olfactive à base de girofle. Il n’y a pas une seule fleur dedans !  » Voluptueux et extrêmement entêtant, Poivre existe toujours. La rumeur dit que Madonna en raffole. Comme tous les produits de vrai luxe, rares et précieux, Poivre se mérite. On peut le trouver uniquement dans l’une des boutiques Caron à Paris où il est présenté dans une magnifique fontaine Baccarat. Sur demande, il sera conditionné dans un joli flacon de style Art déco.

La chair de la figue

L’Artisan Parfumeur, ce nom créé par Jean Laporte il y a un quart de siècle, continue d’être aujourd’hui une parfumerie de création dans le droit fil de la tradition d’un art artisanal. Les créations de L’Artisan Parfumeur privilégient souvent le parfum figuratif (comme en peinture) avec des odeurs concrètes qui évoquent des souvenirs. Simples et authentiques, conçus autour d’une note majeure, ils sont aisément identifiables. Ainsi Premier Figuier qui fête cette année son 10e anniversaire.  » Le figuier est un arbre proche des hommes qui aime se coller aux maisons, note Pamela Roberts, directrice de la création de la maison. Il est associé à des moments heureux, passés dans la nature.  » Dans l’envolée, on perçoit l’odeur verte des feuilles qui, une fois séchées et froissées, sentent le lait de coco. Dans le c£ur s’épanouit un délice fruité et gourmand, celui de la chair douce des figues. Il est relayé par des notes lactées de la sève de l’arbre que la créatrice Olivia Giacobetti a réussi pour la première fois à capter dans un parfum. En final, le tronc du figuier ainsi que son écorce grise et lisse donnent leur structure à ce parfum à la fois lacté et boisé, riche, enveloppant et voluptueux. Dix ans de succès, cela se fête. Le designer Pierre Dinand a dessiné une robe d’apparat sous forme d’une figue de verre de couleur bleutée. Le flacon contient Premier Figuier Extrême, une nouvelle version, plus sensuelle, avec davantage de sillage. Il est présenté dans un joli écrin décoré de feuilles de figuier.

Barbara Witkowska

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