Aujourd’hui, les cités du désert de Mauritanie sont enfin préservées. Du Sahara occidental aux rives du fleuve Sénégal, elles abritent des tribus nomades aux rivalités ancestrales.

Le nez aquilin, le regard aussi aiguisé que celui du fennec, Ali décèle le moindre signe de vie, fût-il le plus imperceptible… Il se dirige soudain vers une touffes d’herbes haute, plonge la main dans fourré et provoque aussitôt la fuite éperdue d’un lièvre des sables…Fier de son exploit, l’homme sourit de toutes ses dents, blanches comme l’ivoire. Puis il se baisse, caresse le sable de ses doigts et ramasse quelques gros débris d’oeufs d’autruche, témoins muets et dérisoires d’une vie sauvage autrefois plus abondante et décimée voici quelques décennies par les fusils des colons français. La sécheresse a fait le reste…

Eleveur depuis sa naissance, l’homme mène fièrement un petit troupeau de chèvres et de beaux dromadaires filiformes. C’est bien peu de chose en apparence, mais ce sont tous les biens qu’il possède avec sa famille. Cela leur suffit pourtant. Par la force des choses et fidèles à la tradition d’ascèse des tribus nomades de Mauritanie, ils se contentent de peu.

Naviguant dans cet océan de sable au rythme lent de ses trois chameaux, Ali ould Bahmemida rejoint son campement. Situé au confluent de deux rivières désespérément vides de toute eau, le camp de Foum Lekhweyib regroupe une quinzaine de belles tentes noires. Dans ce désert brûlé par le soleil, le lieu fait figure d’oasis : les tentes sont ombragées par de grands acacias, et un puits plonge dans le ventre de la terre pour étancher la soif des hommes et de leur cheptel. Ici, l’eau c’est la vie. Tous les Maures du Sahara connaissent la valeur du précieux liquide. Qu’il soit limpide et cristallin ou au contraire boueux et malodorant, il permet la survie de tous ceux et celles qui adoptent, aujourd’hui encore, ce mode de vie hors du commun.

Le nomade chamelier est un expert qui connaît chacune de ses bêtes. Des animaux exceptionnels auxquels il voue un respect inconditionnel et dont il connaît et satisfait les moindres besoins. Ses maigres ressources seront consacrées si nécessaire à l’achat de sel pour équilibrer l’alimentation du troupeau. S’il le faut également, Ali se lancera à la poursuite des nuages pour trouver les verts pâturages. Ici, parfois, il ne pleut pas pendant plusieurs années. Il faut alors partir vers le sud, dans le Tagant, une merveilleuse région verdoyante annonçant les prairies de l’Ouest africain… Un trajet de plusieurs centaines de kilomètres, une bagatelle pour les fils de la grande tribu des Ida ou Ali.

Clans millénaires

Au-delà de la connaissance parfaite de l’art de l’élevage, les Maures ont développé une maîtrise inouïe de l’espace infini dans lequel ils évoluent. Ce savoir, Ali l’a reçu de son père. Lorsqu’il pouvait à peine marcher, l’ancien lui inculquait déjà l’art de diriger les petits cabris que l’on garde à proximité des tentes. Premiers pas dans la grande université du désert… Mais ce monde fascinant est parcouru de frontières invisibles, qu’il faut impérativement apprendre à reconnaître. Telle région appartient aux Teknas ou aux redoutables R’Guibates du nord ou encore aux Amgarîges que les Ida ou Ali se plaisent à dépeindre comme des culs-terreux, des gens de rien, sans foi ni loi…

Si le temps des rezzous meurtriers est bien révolu, le monde d’Ali est toujours régi par d’obscures rivalités tribales. Mieux vaut être issu d’une tribu d’origine noble, revendiquant à raison parfois, à tort le plus souvent, une filiation directe avec le prophète Mahomet. S’il est indéniable que quelques clans sont venus d’Arabie au cours du dernier millénaire, les Maures sont bien pour la plupart les descendants des premiers habitants du Sahara : Noirs besogneux ruinés par l’assèchement du désert et convertis de gré ou de force aux contraintes du nomadisme ou devenus berbères chameliers.

Toutes les tribus maures semblent partager la même obsession : renier leurs origines et s’inventer de glorieux ancêtres. Cependant, toutes ne sont pas rivales. Cinq tentes du campement d’Ali appartiennent aux Laghlal. Une amitié séculaire unit les deux groupes. Ensemble, ils ont fondé la ville sainte de Chinguetti, située à 20 km de Foum Lekhweyib. Les savants conservent précieusement l’histoire de leur cité. Ils peuvent donner sans hésitation les noms des quatre fondateurs et l’année de la fondation : 660 de l’Hégire, 1261 de notre ère…

L’alliance de ces renards du désert est à l’origine d’une fabuleuse épopée culturelle. Des lettrés de tout le monde musulman, des commerçants caravaniers trafiquant l’ivoire, la poudre d’or, les esclaves et de précieux corans enluminés ont bâti la réputation de cette ville prestigieuse qui rayonna sur tout l’ouest du Sahara. La mosquée, dont le minaret de pierre est surmonté d’oeufs d’autruche, est une merveille de simplicité, sobre joyau de pierre serti dans un écrin de dunes.

Aujourd’hui, les caravanes ne sont plus qu’un souvenir. La vieille ville se meurt. Les murs éventrés, les portes arrachées évoquent la fin d’une époque. La population de la région peine à se maintenir. Les hommes des sables semblent aimantés par ce nouveau mirage, inconnu de leurs ancêtres : la grande ville de lumière, située à des centaines de kilomètres au sud-ouest… Vers les années 1930, Nouakchott, la capitale, n’était qu’un relais de la célèbre Aéropostale et ne comptait que 200 habitants. Accueillant des tribus entières de nomades fuyant l’aridité d’un pays sans eau et sans avenir, elle compte maintenant 800 000 âmes ! Un tiers de la population végète dans ce que les premiers habitants imaginaient être un eldorado.

Rassemblement nomade

Mais chaque mois de juillet, ceux qui ont réussi cette aventure reprennent la route, entassés par familles entières dans d’énormes 4 x 4 ou de rutilantes Mercedes. Dans la fournaise de l’été saharien, ils convergent vers Chinguetti. Portées par le même désir, toutes les familles nomades, les broussards déguenillés et les riches éleveurs reviennent s’installer pour quelques semaines dans des tikitt, petites huttes éphémères aussitôt délaissées. La raison de cette soudaine transhumance se lit dans la cime des palmiers. Couverts de lourds régimes de dattes rouges, ils annoncent le temps béni de la Guettna, la fête de la récolte du précieux fruit au goût de miel.

La Guettna est un moment de bombance, de retrouvailles familiales. Pas de fantasias, ni de cérémonial impressionnant. Simplement le bonheur d’être ensemble, de se gaver de dattes et de lait de chamelle. Le soir, les adolescents s’éloignent pour un  » tamtam « . Ils se retrouvent dans les dunes ou sous une tente nomade, loin du regard inquisiteur des adultes. Sous des myriades d’étoiles, le chant si doux et si aigu des jeunes filles aux yeux de gazelle pénètre le coeur des jeunes hommes. Le rythme du tobol, souvent un vulgaire jerrycan, donne des ailes à leur imagination.

Parfois, le fils facétieux d’Ali se grime. Il se métamorphose à volonté. Le pantalon remonté découvrant des jambes maigres et musclées, un turban en forme de tresse allongée noué sur la tête, il se transforme en une gracieuse cigogne qui danse devant nous !

L’assemblée s’en amuse, les rires fusent, la séduction du jeune garçon opère. En un clin d’oeil, le voici mué en mouton, en lapin ou en oiseau. Les demoiselles pouffent et le battement du tambour redouble, frénétique. Pour ces enfants de l’immensité, le Sahara est ce qu’il a toujours été : une école de courage, une promesse de liberté…

Paul Lorsignol/Planet Pictures

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content